Drogue

La jouissance suspendue : comment la 3-MMC bousille votre conception du plaisir

« C'est comme si t'étais à deux doigts de jouir, mais la jouissance n'arrive jamais. »
CM
Brussels, BE
3MMC cercle plaisir
Photo : Javier Esteban via Unsplash

Avertissement : VICE n'encourage pas l'utilisation de drogues, quelles qu’elles soient. InforDrogues fournit des informations complémentaires sur la législation et les risques liés à l’usage de drogues.

Romain Giraud, la trentaine, travaille pour Bus 31/32 à Marseille, une association de recherche, d'accompagnement et de réduction des risques liés à la prise de drogues. Il a consommé de la 3-MMC de manière régulière pendant un an et demi, et définit très bien la force de ce genre de substance. 

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Ce qui se passe lors de la prise est identifiable, notamment parce qu'on situe la 3-MMC dans la famille des cathinones, qui a des points communs avec des drogues plus connues. Elle partage des similitudes avec des substances comme l’amphétamine et la MDMA. Dans les effets recherchés on note l'euphorie, l'intensification des sensations et de la capacité d’empathie, le désir de contact avec autrui, la stimulation mentale, l'augmentation de la sociabilité et l'excitation sexuelle. En pratique, c’est par contre plus pernicieux. La lune de miel lors de la montée constitue l'entrée dans un cercle du plaisir que Romain me décrit avec précision. On parle de cercle, car il y a une sorte d'éternel retour aux premières sensations. Le produit est peu coûteux ; c’est donc facile d'alimenter ce cercle par de nombreuses prises, étirant la nuit, la baise, la fête jusqu'à quelque chose qui ressemble à l'infini. Ça peut durer 12 heures, 36 heures, 48 heures, peu importe, si on ne pose pas de limites, on saute, jusqu'à la prochaine stimulation qu'on espère mieux que la précédente. 

Avec la 3-MMC, on croit toucher au but à chaque fois. À chaque prise, on est à deux doigts d'y arriver, alors inévitablement, on continue. La drogue offre une sorte de satisfaction toujours renouvelée qui, en devenant cyclique, n'est donc jamais une satisfaction réelle. C'est le paradoxe d'une faim assouvie et inassouvie à la fois. « C'est la drogue du FOMO, introduit Romain. Ça t'éclate complètement la notion de plaisir. C'est comme si t'étais à deux doigts de jouir, mais la jouissance n'arrive jamais. » Le circuit de la récompense est brisé. C'est ce phénomène qui engendre l'addiction, plus que le produit en lui-même. « En fait, c'est pas qu'on est accro à la drogue. C'est pas le produit. C'est ce scroll de plaisir. Ce “Ah, la fois d'après va peut-être être plus intéressante”. » 

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S'il n'y a plus de produit, il n'y a plus de libido.

Ne jamais en finir. De la jouissance suspendue. C'est dans cette spirale qu’est tombé Romain pendant un temps. La 3-MMC était d'abord pour lui un « plus » qu'il déclenchait occasionnellement, dans le sexe. Juste un stimulant supplémentaire, un euphorisant, qui n’a, au départ, pas pris la forme ou l’importance d’un fil rouge dans sa sexualité – ni dans sa vie en général d’ailleurs. 

Cette quête du plaisir ultime commence en fait dans le chemsex. L’essor de la consommation des cathinones de synthèse débute dans les années 2000, renforcé par la disponibilité de ces substances sur internet et par une utilisation dans un contexte sexuel visant à intensifier le plaisir, stimuler le désir ou encore améliorer les performances physiques. Pour Romain, c'est petit à petit que ce bonus s'est transformé en nécessité. En fait, la libido se synchronise sur le produit. S'il n'y a plus de produit, il n'y a plus de libido. On observe là le revers le plus violent de cette drogue. La descente physique est peut-être difficile, mais la descente psychologique l’est encore plus, avec des complications plus importantes. Par cette rupture du désir et de la satisfaction se crée un vide, une apathie généralisée très dure à supporter. Celle-ci peut s'étendre sur plusieurs mois et il est souvent difficile de s'en défaire sans passer par l'option de facilité, à savoir un autre tunnel de consommation. Tout vous pousse à consommer à nouveau, la frustration devient un quotidien. 

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La consommation de 3-MMC a augmenté ces dernières années mais, contrairement aux idées véhiculées par certains médias traditionnels, cette augmentation ne représente rien de vraiment nouveau dans le milieu festif. Ce genre de drogue a toujours existé de manière plus ou moins répandue avec la méphédrone (ou 4-MMC, chimiquement différente mais dont les effets recherchés sont sensiblement identiques). C'est aujourd'hui la 3-MMC qui prend le relais. Cette dernière n'est pas la « nouvelle cocaïne », mais plutôt un nouveau produit de synthèse (NPS) parmi tant d'autres. En réalité, il faut bien distinguer la prise de 3-MMC, plutôt marginale, dans un cadre public et festif, de celle plus répandue dans un cadre privé, principalement pour le chemsex. La traçabilité de ce produit étant toujours compliquée, les dangers existent aussi lors d’une consommation très occasionnelle en soirée, mais ils semblent, selon Romain, décuplés dans le cadre intime où l’on prend plus, plus longtemps. Et si le chemsex reste largement pratiqué par les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, la diffusion de certaines pratiques au-delà de leur communauté d’origine est anecdotiquement observée, mais existe.

Romain ajoute qu’il existe donc différents profils de consommation, ce qui rend les usager·es inégaux face à cette situation. En effet, une habitude au niveau de la prise de drogues – notamment en milieu festif – ou le réflexe de faire tester ses drogues peuvent permettre la réduction des risques. Mais de nombreuses personnes se retrouvent à prendre des cathinones – dans un contexte sexuel, par exemple –, sans jamais avoir pris d'autres substances psychoactives auparavant. « Même si t'es pas sous l'emprise du produit, dans ta vie en général, t'es jamais satisfait, poursuit-il. Le circuit de la récompense qui est complètement éclaté, c’est tout le temps, même sobre. J'ai la chance de m’en rendre compte, parce que c'est mon métier. Beaucoup de gens se retrouvent avec ce problème, parce qu'ils ne viennent pas du milieu festif. Ça fait 20 ans que je prends des drogues en faisant la fête, c'est pas le cas de tout le monde. Y’a des gens pour qui la 3-MMC est leur première drogue. » Romain émet l’hypothèse que le groupe social qui se laisserait séduire par la 3-MMC malgré une possible première expérience décevante est plus jeune et/ou plus pauvre, parce que c’est une substance moins chère que la cocaïne, et que l’on imagine moins coupée que le speed. 

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Romain continue de me parler de son expérience : « Quand je me suis retrouvé à en prendre aussi dans des fêtes et que ç’a commencé à prendre plus de place que j'aurais voulu, au bout d'un moment, c'était difficile de maîtriser. J'ai vu ma santé mentale se détériorer drastiquement. Aujourd’hui, ça fait plus trop partie de mes pratiques, ou occasionnellement, avec des personnes que je connais bien et des règles sur les quantités et les durées de prise. Genre on se dit : “Bon bah voilà, on a 1 gramme on finit à 2 heures du matin.”  »  

La 3-MMC aurait plutôt la capacité de tordre notre plaisir contre lui-même.

Si on a une bonne connaissance en matière de réduction des risques, la prise de 3-MMC ne se traduit pas fatalement par ce cercle infernal de consommation-frustration. Une grande partie des dangers liés à ce genre de NPS vient, comme souvent, du peu d'informations fiables disponibles à leur sujet. Les cathinones sont facilement accessibles sur internet, mais c’est un peu comme la roue de la fortune, on ne sait jamais sur quoi on va réellement tomber. C’est encore plus criant depuis que la 3-MMC a changé de catégorie de classification aux Pays-Bas, en 2021, pour être beaucoup plus contrôlée et surveillée par les autorités judiciaires et sanitaires. C’était un produit populaire et identifiable chez les consommateur·ices et tout ça a été renforcé par l'effet loupe provoqué par la publication de certains articles à ce sujet. La 3-MMC était devenue un produit phare, au pouvoir marketing important. De ce fait, les plateformes de vente en ligne continuent de mettre en avant la vente de produits présentés sous le nom de 3-MMC alors qu'elles font principalement circuler ses dérivés – le plus répandu étant la 3-CMC, aux effets entactogènes et empathogènes moins forts, plus proche des amphétamines et avec une descente beaucoup plus dure. 

On ne peut que rappeler ici l'importance de faire tester ses produits, notamment auprès d'associations telles que celle où travaille Romain. Le problème, c'est que les usager·es de 3-MMC sont difficiles à atteindre. Il n'est pas simple d'approcher les personnes qui prennent des cathinones dans un cadre privé et même au sein de celui-ci, on observe une nouvelle tendance encore plus recluse : des consommateur·ices solitaires. Romain pense que ce phénomène est loin d'être anecdotique. « T’as de plus en plus de gens qui consomment dans un cercle encore plus privé, qui vont taper leur trace de “3” chez eux, observe-t-il. Je travaille sur un projet numérique qui se focalise sur la réduction des risques. J'accompagne au maximum des personnes. Certaines viennent me voir et me décrivent leurs prises en solitaire. Elles vont rester toutes seules à la maison et consommer pour faire de la musique, regarder du porno, jouer à des jeux vidéo, faire de la couture. Il y a sans doute un lien avec le premier confinement, la peur du monde extérieur, la possibilité de rester chez soi des jours entiers. Ce mode de conso solitaire est sans doute celui qui augmente le plus, même s'il est difficile à quantifier. » 

Imaginer qu'on puisse prendre de la « 3 » en solo pour faire de la couture, c'est vrai que le tableau est cocasse, mais il reflète surtout l'enfermement dans ce fameux scroll du plaisir. Finalement, que l'on soit seul·e ou accompagné·e, pour du cul ou pour danser, dans une chambre ou en club, on joue au chat et à la souris avec son propre plaisir. Au début de mes recherches, j'étais persuadé que la 3-MMC s'installait comme un simulacre de drogue parfaite, un soma du pauvre. Accessible et unique. La tendance majoritaire est loin de cet eldorado. La 3-MMC aurait plutôt la capacité de tordre notre plaisir contre lui-même. C'est seulement une fois qu’on se retrouve dans ce cercle dessiné chimiquement qu’on se rend compte qu'il est difficile de retrouver les frontières de sa propre satisfaction. « L'effet négatif, il est complètement psychologique et tu mets beaucoup de temps avant de retrouver du plaisir après, conclut Romain. Même pendant plusieurs mois, t'as plus aucun plaisir dans rien. Tu t'emmerdes, tu t'emmerdes. »

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