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Du rififi au royaume des grands maîtres

Le n°1 Magnus Carlsen n'était pas censé perdre contre Hans Niemann. Depuis sa défaite, le monde des échecs est secoué par les rumeurs de tricherie.
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Image : Dean Mouhtaropoulos / Getty Images

Tout a commencé par un évènement qui ne devait pas se produire : le 5 septembre dernier, le grand maître norvégien, Magnus Carlsen, 31 ans, classé meilleur joueur du monde par la Fédération internationale des échecs (FIDE), était battu au troisième tour de la Sinquefield Cup – dont il était le tenant du titre – à St. Louis par Hans Niemann, 19 ans.

Même si Niemann, jeune prodige des échecs américain, avait remporté une de leur précédente confrontation un mois plus tôt, Carlsen restait sur 53 parties classiques sans perdre. Il avait un classement ELO supérieur de plusieurs centaines de points à son adversaire et jouait les Blancs, ce qui lui offrait un léger avantage statistique ainsi que l’initiative.

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Si la défaite de Carlsen eu l’effet d’une déflagration sur la communauté échiquéenne, c’est parce que le Norvégien ne s’est pas contenté de perdre. Chose très inhabituelle, il annonçait quelques heures après la partie se retirer du tournoi – finalement remporté par Alireza Firouzja – via un tweet énigmatique accompagné d’un court extrait d’une célèbre interview après-match de José Mourinho datant de 2014. On peut y voir l’entraîneur de Chelsea (à l’époque) persifler contre l’arbitrage : « Je préfère ne pas parler. Si je parle, j'aurais de gros problèmes... et je ne veux pas avoir de gros problèmes ».

Les sous-entendus de Carlsen ont été immédiatement commentés. Niemann aurait-il triché ? Si oui, comment ? Dans le monde des échecs, ces accusations ne sont pas légion et souvent difficiles à prouver. Un tsunami de ragots et de théories plus ou moins fumeuses s’est déversé sur les forums dédiés. 

Pour les parties sur échiquier IRL, la triche prend généralement la forme de conseils extérieurs sur les meilleurs mouvements à effectuer. Ces conseils circulent par le biais de systèmes de communication cachés. Un post devenu viral sur Hacker News décrit par exemple des boutons vibrants placés dans les chaussures d'un joueur, connectés avec un Raspberry Pi Zero exécutant le moteur d'échecs open source Stockfish et donc capables de prédire les résultats en fonction des coups et de fournir les recommandations idoines.

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Une autre théorie farfelue – qui semble avoir été lancée comme une blague mais a été reprise par de nombreux internautes – suggère que Niemann aurait triché en utilisant la technique susmentionnée mais en troquant les boutons vibrants contre des perles anales électroniques. Plus prosaïque, le Guardian suggère que l’analyse d’avant-match de Carlsen a pu être divulguée à Niemann via un tiers, la structure de la partie ressemblant à celle bien connue contre l'Anglais Michael Adams en 2006.

« Je voulais simplement être mieux classé pour pouvoir jouer contre des joueurs plus forts, alors j'ai triché dans des parties aléatoires sur Chess.com. »

La tricherie aux échecs en ligne est nettement plus courante et les scandales entachent régulièrement les tournois ces dernières années. Sur Twitch, le grand maître américain Hikaru Nakamura qui diffusait la partie entre Carlsen et Niemann a rappelé que ce dernier avait un passé de fraudeur : « Il y a eu une période de 6 mois où Hans n'a pas joué de tournois pour de l'argent sur Chess.com. C'est tout ce que je vais dire. » Niemann a admis avoir triché sur Chess.com par le passé, ajoutant qu’il s'agissait de parties insignifiantes et qu'il n'était qu'un adolescent lorsque cela s'est produit.

« Je voulais simplement être mieux classé pour pouvoir jouer contre des joueurs plus forts, alors j'ai triché dans des parties aléatoires sur Chess.com », a-t-il confessé. « C'est la plus grande erreur de ma vie et j'en ai honte. Je le dis au monde entier parce que je ne veux pas qu’il y ait de mauvaises interprétations ou des rumeurs. Je n'ai jamais triché lors d’une partie sur plateau. »

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Jusqu’à présent, aucune preuve concrète n'a été révélée mais Niemann a été à nouveau interdit dans la foulée de jouer sur Chess.com, la plus grande plateforme d'échecs en ligne du monde. Il peut continuer de le faire sur Chess24, la deuxième plus grande plateforme d'échecs en ligne. C’est sur celle-ci, dans l’après-midi de ce lundi 19 septembre, qu’il rencontrait à nouveau Magnus Carlsen en match préliminaire de la Julius Baer Generation Cup.

« Mon rêve s'est réalisé, je l'ai vécu pendant une journée en battant Magnus, et puis tout cela est arrivé. »

Une revanche qui a tourné court : en signe de protestation, Carlsen a joué deux coups avant de se déconnecter, éteignant sa webcam et disparaissant sans dire un mot. Le n°1 mondial n'a pas fait d'autres déclarations à ce sujet. Ni lui ni Niemann n'ont répondu à la demande de commentaire de VICE.

Carlsen est soutenu par Emil Sutovsky, directeur général de la FIDE, qui a fait remarquer qu’il n'était pas le genre de joueur à quitter un tournoi par rancune : « Peu importe le déroulement de ses compétitions, @MagnusCarlsen n'a jamais abandonné. Il devait avoir une raison impérieuse, ou du moins il croit l'avoir. Ne le traitez pas de mauvais perdant ou d'irrespectueux. Je ne spéculerai pas sur les raisons de son retrait, mais je m'attends probablement à ce que TD les diffuse. »

Les organisateurs de la Sinquefield Cup n'ont pas voulu spéculer sur la motivation de ce départ abrupt, ni commenter la longue litanie de rumeurs qui ont accompagné sa sortie. « La décision d'un joueur de se retirer d'un tournoi est une décision personnelle, et nous respectons le choix de Magnus », a déclaré Tony Rich, directeur général du Saint Louis Chess Club dans un communiqué. « Nous sommes impatients de l'accueillir lors d'un futur événement à Saint Louis ».

Beaucoup de membres de la communauté échiquéenne ont quant à eux publiquement apporté leur soutien à Niemann. Le grand maître russe, Garry Kasparov a déclaré à TASS : « Bien sûr, nous ne pouvons pas dire avec certitude que Niemann n'a pas triché, mais Carlsen a joué étonnamment mal l'ouverture avec les blancs et s'est automatiquement retrouvé dans une position de faiblesse. »

Jacob Aagaard, grand maître danois-écossais qui a été champion britannique en 2007, a apporté son soutien à Niemann en qualifiant les accusations d’« évidemment fausses ». Le champion d'échecs français Maxime Vachier-Lagrave a quant à lui qualifié le scandale de « chasse aux sorcières ».

Niemann a exprimé sa déception sur la façon dont l'un des meilleurs moments de sa carrière est devenu rapidement l'un des pires. « Pour moi, observer mon héros absolu essayer de ruiner ma réputation et le faire d'une manière aussi frivole, c’est triste. Mon rêve s'est réalisé, je l'ai vécu pendant une journée en battant Magnus, et puis tout cela est arrivé ».

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