Drogue

Une discussion avec le fils de Timothy Leary, l’icône drogue des années 1960

Pionnier en matière de psychédéliques, « l’homme le plus dangereux d’Amérique » a été emprisonné pour ses convictions. Il m’a aussi appris à prendre de l’acide.
Timothy Leary, wife Barbara Chase and son Zachary Leary attend a Hollywood premiere in 1988
ZACH LEARY (AU MILIEU) AVEC SON PÈRE TIMOTHY LEARY ET SA MÈRE BARBARA CHASE LORS D’UNE PREMIÈRE À HOLLYWOOD EN 1988. PHOTO : RON GALELLA/RON GALELLA COLLECTION VIA GETTY IMAGES

Que feriez-vous si Nixon, alors président des États-Unis, qualifiait votre père « d’homme le plus dangereux d’Amérique » ? C’est une question difficile, mais c’est l’une des nombreuses interrogations qui se sont posées à Zach Leary, aujourd’hui âgé de 49 ans, alors qu’il grandissait dans l’ombre de son père, Timothy Leary (alias le « joueur de flûte des 60’s psychédéliques »).

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 Au fil des ans, Zach a tenté de s’éloigner de ce lourd héritage patriarcal, espérant tracer sa propre voie. La tâche n’a pas été facile : il faut savoir que Leary Senior a inspiré les Beatles, a été renvoyé de Harvard pour avoir fourni du LSD et de la psilocybine à des étudiant·es, a fondé une communauté psychédélique expérimentale et, plus tard, a escaladé un mur pour s’échapper de prison après avoir été incarcéré pour possession d’herbe, vivant ensuite comme fugitif.   

Bien qu’il ait été initié à l’acide à l’âge de 14 ans, Zach a mené une belle carrière dans la pub et est même devenu manager dans le marketing digital, bossant avec de grandes marques comme Apple ou des mastodontes du rock tels que U2, Depeche Mode et Coldplay. Mais ces expériences ne lui ont pas apporté les réponses et la satisfaction qu’il cherchait ; un peu plus tard, il sombre dans la toxicomanie. Après une période chaotique, il parvient à la sobriété et ne touche plus aux psychédéliques pendant des années. Sous la direction spirituelle de Ram Dass, l’un des yogis les plus célèbres d’Occident et ami personnel de son père, Zach entame alors une formation de facilitateur psychédélique.

Aujourd’hui, en plus de sa morning routine qui consiste à chanter pendant neuf minutes en l’honneur d’Hanuman, le dieu singe hindou, il dirige le MAPS Podcast sur les psychédéliques, qui fait suite au succès de son propre podcast, It’s All Happening. Et bien évidemment, il organise des cours éducatifs sur le net à propos de ces substances. Son premier livre, Your Extraordinary Mind – Psychedelics in the 21 st Century and How to Use Them, sera publié par SoundsTrue dans le courant de l’année.

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On s’est rencontrés en Jamaïque, où il anime des trips aux champis hallucinogènes pour Evolution Retreats, dans un lieu de villégiature que, pure coïncidence, il a fréquenté avec sa famille lorsqu’il était gosse. Mais à l’époque, il s’agissait encore de « voyages » qui n’avaient rien à voir avec les psychédéliques. Son père aurait kiffé.

Zachary Leary smiling in Jamaica

ZACH LEARY EN JAMAÏQUE. PHOTO : MATTHA BUSBY

VICE : Bon Zach, sois franc avec moi. Est-ce que psychédéliques vont sauver l’humanité de l’avidité, de la gloutonnerie et de la paresse ?
Zach Leary
: Ah ! C’est la question à un million de dollars, pas vrai ? Genre quand on me demande si Donald Trump devrait prendre de la MDMA ou de la psilocybine, du style « est-ce que ça le changerait ? ». Eh bien non, je crois pas. Quelqu’un comme lui est bien trop perché ; ça ne ferait probablement que le rendre encore plus amoureux de ses propres inepties. Mais pour la plupart d’entre nous, je pense que ça ne ferait certainement pas de mal.

L’un des plus grands avantages du mouvement psychédélique moderne, c’est que des gens qui n’auraient jamais pensé tripper sont maintenant des adeptes du trip. Il y a encore cinq ans, il s’agissait essentiellement de personnes qui évoluaient dans le milieu. Mais on approche d’un point de bascule, avec des individus issus de milieux socio-économiques et politiques très différents qui font des expériences positives avec les psychédéliques. Ces substances ont le potentiel de sauver le monde de son propre cycle d’avidité. On a actuellement l’impression d’être dans la tempête qui précède l’accalmie.

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Ton père a vraiment initié un million de trips et changé l’histoire avec sa célèbre devise « turn on, tune in and drop out » (« vas-y, mets-toi en phase, et décroche ») ?
C’était le genre de personnage qui n’existe qu’une seule fois au sein d’une même génération. Il était en première ligne. La plupart des gens ne supportent pas d’être persécutés ; il a littéralement passé quatre ans en prison pour ses idées. Sa vie peut sembler plus folle qu’un récit de fiction. Mais il a réellement fait tout ça, et je suis incroyablement fier de lui.

Et toi, comment tu t’es « mis en phase » ?
J’ai travaillé dans le marketing digital et la publicité pendant treize ans. Le but était d’essayer de m’éloigner le plus possible de l’héritage de mon père. J’avais besoin de trouver ma propre identité, de savoir qui j’étais. Je pensais que c’était la solution, mais j’avais tort. J’ai fait un burn-out émotionnel et spirituel. Je n’avais plus le cœur à l’ouvrage. Un jour, assis dans le salon de Ram Dass, j’ai eu une vision de moi à 80 ans et j’ai eu peur de me réveiller un jour en me demandant où avait filé ma vie. J’aspirais à plus de sincérité et d’authenticité. J’ai donc repris le chemin de la spiritualité : j’ai pratiqué le yoga et la méditation et j’ai expérimenté les psychédéliques.

Et maintenant, t’es maître de cérémonie pour accompagner les psychonautes. Comment t’es devenu facilitateur psychédélique ?
À Los Angeles, on m’a parfois invité à guider des trips. Ces personnes m’ont dit que je pouvais devenir vraiment bon dans ce domaine. Très vite, je me suis mis à bosser sérieusement, j’ai trouvé de nombreux mentors et j’ai vraiment été happé par le truc. Aujourd’hui, c’est incroyablement gratifiant d’aider les gens à trouver l’éveil à leur manière – après un deuil, une perte, une crise de milieu de vie ou une faillite spirituelle – et à dénicher l’étincelle qui les guidera vers une vie plus épanouissante. J’ai personnellement été témoin d’innombrables transformations de ce type, même après une ou deux séances de thérapie psychédélique. Ces gens repartent tout simplement avec une nouvelle passion pour la vie.

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Que dirait ton père s’il te voyait maintenant ?
Je pense qu’il serait comblé. Au cours des sept dernières années, j’ai travaillé avec énormément de personnes qui ont trouvé en moi un intermédiaire capable de les aider, et tout ça par le biais de la médecine psychédélique.

Quand as-tu réellement entamé ton voyage avec les psychédéliques ?
C’est assez drôle, quand les gens me posent la question, je ne me souviens pas de ma première fois. Mais je sais que ça avait un lien avec Grateful Dead et que j’avais environ 14 ans. Il faut savoir que j’ai été un Deadhead de 1987 à 1995. À un moment donné, il se racontait que Grateful Dead contrôlait 50% de l’approvisionnement de LSD en Amérique. On traînait aux concerts et on prenait de l’acide. À la surprise générale, mon père n’était pas d’accord pour que j’en prenne si jeune. Il m’avait dit : « Tu dois attendre, fais-moi confiance. » Et bien sûr, j’ai pas attendu. Puis, à l’âge de 16 ou 17 ans, il s’est vraiment placé en mentor. Il m’a conseillé sur la meilleure manière d’utiliser ces produits, toujours avec sagesse et prudence. Très vite, j’ai eu quelques centaines de trips à mon actif.

Et ensuite, il s’est passé quoi ?
À cause de la tristesse, des traumatismes et du refus d’accepter mon côté sombre, j’ai développé une grave dépendance aux opiacés : errer dans les rues de Los Angeles, la prison, etc. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, j’étais un vrai toxico, tout en bas de l’échelle. J’étais totalement perdu : je voulais pas vivre, mais je voulais pas mourir non plus. Quand j’entends ces histoires sur les traitements à l’ibogaïne, j’aurais aimé que ça existe il y a vingt ans, quand moi-même je me droguais. Mais j’ai réussi à me désintoxiquer et j’ai passé beaucoup de temps en Inde, où j’ai découvert les traditions orientales comme le yoga et la méditation.

 Que peuvent apprendre les psychonautes en herbe de tes essais et tribulations ?
Quand j’ai réintroduit les psychédéliques dans ma vie après neuf ans d’abstinence, j’ai envisagé de les intégrer à ma pratique spirituelle. En fait, il faut disposer d’un système capable de vous soutenir une fois que les effets du produit se seront dissipés, afin de ne pas se retrouver dans la recherche constante d’ascension, avec le besoin d’un nouveau trip tous les quinze jours.

 Si la société est réellement en train de changer de regard sur les psychédéliques, quel avenir se profile pour les grandes boîtes pharmaceutiques et leur modèle de santé mentale ?
J’aime à penser que leurs jours sont comptés. La crise des opioïdes et le prix des médicaments d’ordonnance suscitent une indignation nationale, tandis que le système de soutien à la santé mentale échoue à aider les populations. Je suis d’avis que la révolution de la santé mentale est devenue inextricablement liée aux psychédéliques. Mais il faut faire attention à ne pas remplacer un système par un autre, similaire. Si l’avenir des psychédéliques consiste à se rendre dans le cabinet d’un·e thérapeute, à parler de ses problèmes, à s’allonger sur le canapé et à gober des médocs, c’est très bien, mais il y a quand même quelque chose qui se perd. La médicalisation des psychédéliques et la création d’une culture clinique corporadelique enlèvent tout le côté mystique. Ça mène à une certaine stérilité. Le cœur cherche quelque chose d’un peu plus ésotérique : s’adresser à la conscience, à l’esprit, au corps et à l’âme.

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