Société

Avec la première femme imam de France

En fondant sa mosquée, Kahina Bahloul ne s’est pas fait que des amis. Mais l’imam espère bien changer les mentalités.
Justine  Reix
Paris, FR
femme imam de France
Kahina Balhoul en février 2021. LUCAS BARIOULET / AFP

« Bonsoir, bonsoir à tous, j’ai eu un petit problème technique au lancement de la vidéo tout à l’heure. Bonsoir, salam aleykoum, je vois que des gens nous rejoignent, j’espère que vous allez bien malgré les annonces du Premier ministre » raconte Kahina Bahloul à sa caméra. Lunettes sur le nez et chemise à fleurs, elle se filme depuis son bureau en direct sur Facebook pour « La causerie du vendredi ». Un moment de recueillement, de prière et de réflexion sur le Coran pour les fidèles qui ne peuvent pas se déplacer en raison de la crise sanitaire. Et chose qui en étonne toujours plus d’un, l’imam est une femme et c’est une première en France.

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Entre ses interviews, son travail d’imam et la publication de son livre (Mon islam, ma liberté aux Éditions Albin Michel), Kahina Bahloul a de quoi s’occuper. Après son annonce fracassante de vouloir ouvrir une mosquée « inclusive », les journalistes du monde entier se sont bousculées pour la rencontrer. À tel point que la jeune femme a fini par refuser toute nouvelle interview pour avancer sur ce projet. Voilà, un an qu’on lui court après chez VICE alors on n’allait pas rater l’occasion de la rencontrer.

De père algérien musulman et de mère française dont la mère était juive polonaise et le père français catholique, Kahina Bahloul a baigné d’un méli-mélo culturel depuis toute petite. Une différence qu’elle n’a pas toujours vu comme une richesse. « Ce n’est jamais simple d’être au milieu d’histoires et religions différentes, d’être partagée entre deux mondes. J’ai mis du temps à trouver ma place en acceptant mes appartenances . » C’est pourtant cette diversité de modèles qui lui a offert un regard critique sur le monde qui l’entoure.

Née à Paris, elle passe son enfance et adolescence en Algérie. Dans les années 90, elle assiste à la décennie noire qui plonge le pays dans la violence et le chaos total. Cette guerre qui oppose islamistes au gouvernement militaire fait entre 100 000 et 200 000 victimes. Les attentats n’épargnent personne et laisse, à la fin de la guerre, une population meurtrie. Cet épisode traumatise Kahina Bahloul. « On attaquait des femmes à l’acide parce qu’elles ne portaient pas de voiles, on les a défiguré. Certaines ont même été assassinées pour ça. » Après étude et démonstration des versets coraniques, la jeune femme préfère retirer son voile en dehors des mosquées car elle « n’arrive plus à le voir comme un simple bout de tissu mais  [elle]  comprend et respecte les femmes qui veulent le porter même s’il ne doit jamais être une obligation. »

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Après une formation de juriste en Algérie, elle décide de s’installer en France et y trouve un emploi dans les assurances. Il faudra attendre plusieurs années pour que Kahina Bahloul découvre sa vocation avec les attentats qui frappent la France en 2015. « Étant donné que j’avais déjà une expérience du terrorisme islamisme et une connaissance de l’islam qui m’avait été transmise dans le cadre familial, j’avais envie et besoin de m’engager pleinement. » Elle se fait le souhait de ne plus voir de jeunes musulmans partir faire le djihad et donner leur vie en martyr.

Elle se forme alors en islamologie à l’EPHE (École Pratique des Hautes Études) pour étudier les différentes lectures théologiques et recherches autour du Coran. Avec des amis, elle cofonde un site pour déconstruire la lecture fondamentaliste de l’islam qui gangrène les réseaux sociaux. « On voulait offrir un discours alternatif aux jeunes. » Puis, Kahina Bahloul ressent le besoin d’aller plus loin. Elle veut un lieu de culte qui prône l’égalité entre les hommes et les femmes. « Dans les mosquées classiques, les femmes sont reléguées dans des endroits secondaires, souvent indignes comme dans les sous-sols ou dans les tentes à l’extérieur de la mosquée. Ce n’est plus possible au XXIème siècle. »

« Il y a une superstition délirante par rapport à la femme, comme quoi elle est impure ou ne peut pas se mettre à l’endroit où est l’imam. »

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Alors pour la première fois, une femme se présente comme imam en France. Une place encore réservée aux hommes dans la plupart des mosquées et qui n’a pourtant jamais été interdit par le Coran selon Kahina Bahloul. « On a ancré profondément dans les esprits que la religion était le domaine des hommes. Il y a une superstition délirante par rapport à la femme, comme quoi elle est impure ou ne peut pas se mettre à l’endroit où est l’imam. La misogynie n’a jamais été sacrée, elle est complètement humaine. » Mais comme pour toutes les nouveautés, il y a toujours des détracteurs.

À chacune de ses interventions médiatiques, les dislikes s’accumulent sous les vidéos et les discours haineux envahissent les commentaires. Les insultes et menaces pleuvent depuis les premiers prêches de Kahina Bahloul qui ne se laisse pas abattre même si elle avoue ne pas y être insensible. « C’est souvent très dur à vivre surtout quand cela vient de sa propre communauté religieuse. Il faut les prendre à leur juste mesure, il s’agit souvent de jeunes qui profitent d’être derrière un écran pour être lâche. » Pour se protéger, l’imam a décidé de passer ses comptes Twitter et Facebook en privé pour éviter les attaques gratuites.

Parmi ses opposants les plus raisonnés, beaucoup prônent un islam « pur » et immuable. Une vision qui n’étonne pas la jeune femme. Régulièrement sous le feu des critiques, les musulmans y voient une nouvelle attaque. « Ce n’est pas possible de dire que la religion doit d’être figée car elle a toujours évolué. L’Islam du VIIème siècle ou encore du XVème siècle est différent de celui qu’on pratique aujourd’hui. C’est normal et c’est le cas pour toutes les religions. » C’est la raison pour laquelle l’imam sort aujourd’hui un livre dans lequel elle espère abattre, chapitre après chapitre, l’instrumentalisation du Coran.

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Kahina Baloul plaide pour un islam du XXIème siècle qui accorde aux femmes une place dans le discours religieux pour reléguer le patriarcat au placard. « Il faut redonner la possibilité à la femme de se réapproprier les textes. L'idée est de déconstruire les courants fondamentalistes et de donner des outils et clés de lectures. » Son parcours en a, d’ailleurs, inspiré plus d’une qui souhaitent un jour pouvoir prêcher comme elle en tant que femme et imam.

« Il faut un islam en France. »

Mais pour Kahina Bahloul, trop peu d’imams en France ont été formés dans l’hexagone. « Il faut un islam en France. » Aujourd’hui, des imams viennent encore de pays musulmans. « Ils ne sont pas au fait de la culture française et n’ont souvent pas grandi dans des démocraties, l’égalité entre les femmes et les hommes est très loin dans leur tête. » En imaginant un islam féministe, Kahina Balhoul plaide pour une vision de l’homme musulman qui n’est pas uniquement réduit à son désir. « On s’en tient à cette idée qu’une femme amène à des désirs bestiaux et diaboliques. Ils ont un regard très irrespectueux qui les diminue beaucoup, ça donne une image très dévalorisante de l'homme encore plus lorsqu’il est supposé être en communion avec Dieu. » L’imam en est persuadée, donner à la femme plus d’égalité, redonnera aux hommes une image plus respectueuses d’eux-mêmes.

Avec du recul, le plus dur dans cette aventure pour la jeune femme n’auront pas été les critiques mais sa médiatisation. Si elle s’était occupée seule de la publication de son livre, l’imam n’aurait jamais parlé de son expérience et ne se serait jamais confié sur sa vie. C’est son éditeur qui a insisté pour qu’elle dissémine au fil des pages quelques pans de sa vie. Contente du résultat, il n’a pas été évident de coucher sur du papier son histoire. Malgré sa soudaine notoriété, elle a su rester simple et déteste « le culte de la personnalité en particulier sur des sujets aussi importants que la religion. »

Avant la crise sanitaire, la mosquée Fatima de Kahina Bahloul n’avait pas encore d’adresse fixe et changeait régulièrement de lieu en attendant de trouver la place idéale. D’ici la fin du Covid-19 pour trouver, l’imam attend avant de définitivement poser ses bagages dans une mosquée. Tous les vendredis, elle communie donc en ligne en direct. Et si la mixité n’est pas encore au programme dans toutes les mosquées, elle l’est dans les commentaires où fidèles, hommes comme femmes, partagent ensemble une prière. Parfois même au-delà des frontières. « Grâce aux réseaux sociaux, on est suivi par des Belges ou des Canadiens. »

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