Société

Le scandale de la fête de la musique : tiens, encore la faute « des jeunes »

Cette année, ce ne sont pas les reprises reggae de Nirvana qui ont provoqué l'indignation. Plutôt le fait que des gens sortent faire la fête, alors même que cette dernière avait été autorisée, voire même encouragée par le gouvernement. Étonnant, non ?
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
Fête de la musique coronavirus

En prenant le métro en début de semaine pour la première fois depuis quatre mois, je me suis surpris à lancer un regard noir à une dame qui avait eu le culot de s’asseoir sur le strapontin à côté du mien en dépit des règles sanitaires en vigueur – je suis à peu près sûr qu’elle s’est également fendue d’un « j’en ai rien à foutre », ce qui m’a valu de rediriger ce même regard en direction de mes chaussures.

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Du coup, je peux facilement comprendre que dimanche 21 juin au soir, à Paris lors de la fête de la musique, la vision d’une ribambelle de jeunes teufeurs déconfinés sur de la musique fonctionnelle de danse ait pu interpeler la ménagère de moins de 50 ans calée devant BFMTV. C’est sans doute cet outrage populaire qui a poussé les chaînes d’information en continu à passer les mêmes images en boucle pendant toute la soirée, toute la nuit, toute la journée du lendemain, et une partie de la nuit qui a suivi. Visiblement, dans la tête du service politique de l’info en continu, ces images avaient au moins autant de gravité que la résurgence de l’affaire Fillon ou les derniers mots de Cédric Chouviat adressés aux forces de l'ordre avant de mourir. Mais comment a-t-on pu en arriver à de tels débordements ?

Préalablement, il faut savoir que le Conseil scientifique avait autorisé des rassemblements dans le respect des gestes barrières, le port de masque et la distanciation sociale. Soit tout ce qui n’a pas eu lieu à Paris, dans le 10e arrondissement notamment, où on a pu voir tout un tas de petits saltimbanques se rôtir sans masques, mais avec des lunettes de soleil sur le nez probablement dans le but de protéger leurs pupilles dilatées suite à l’absorption de substances pour le coup bien prohibées par Jérôme Salomon. À partir de là, on peut légitimement se demander pourquoi ce sont les 3 pauvres mêmes images qui ont été utilisées et diffusées en boucles, des plans de fêtes qu’on imagine bien plus isolés que généralisés. D’accord, c’est comme ça que fonctionne le régime d’image de la télé en continu, mais ça n’empêche pas le procédé d’avoir des fières allures de lavage de cerveau.

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Une culpabilisation individuelle pour masquer la responsabilité publique

En plateau, Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France, affirme
« qu’il faut faire la différence entre les personnes qui ont eu la chance d’avoir un jardin et celles qui étaient coincées dans un appartement avec des enfants en bas âge, tout autant que comprendre la nécessité de se rencontrer, la nécessité de faire la fête. » Ce qui n’empêche pas le bandeau de la chaine de titrer en gros : « Fête de la musique : le grand n’importe quoi ? », suivi de « Fête de la musique : le virus relancé ? », puis du carrément polisson « Fête de la musique : une insulte aux soignants ? ». Laurent Neumann notamment, éditorialiste de BFM TV, trouve qu’il y a quelque chose de profondément hypocrite dans le fait de sortir faire la fête aujourd’hui, alors que ce sont sûrement « les mêmes jeunes qui applaudissaient les soignants à leur fenêtre il y a trois semaines. »

Toujours sur la même chaîne, l'éditorialiste Anna Cabana, elle, nous dit que le problème c’est « qu’il n’y a pas de volontaire pour se faire tester, les tests je peux vous le dire ils sont en place, et le gouvernement s’étonne de voir à quel point il y a peu de Français qui viennent se faire tester. » Toute à son sens de la mesure et de la nuance, elle poursuit : « Il faut faire attention à ne pas mélanger la morale et la politique. Ça fait 4 mois que la morale a pris le pas sur la doxa politique, et que la question de l’infantilisation par le discours public prend le pas sur tout. Dans ce cas précis, on ne peut faire autrement que de s’en remettre à la responsabilité individuelle. »

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Ce qui est triste à dire, c’est qu’elle a raison… jusqu’à un certain point. Personne ne niera le fait que ce n’est pas très malin d’avoir enfourché ses plus belles rouflaquettes et de risquer de contaminer ses grands-parents lorsqu'on ira les voir en EHPAD ensuite, voire d’entraîner une deuxième vague de Covid-19 pour le reste de la population. Et même si on a le droit de trouver ces jeunes gens parfaitement cons ou simplement parfaitement inconscients, on peut aussi se dire qu’ils ont le droit de se débrouiller avec leur conscience.

Surtout, s’en référer éternellement à la responsabilité individuelle de chacun permet souvent de balayer sous le tapis les consignes et les politiques publiques. Dans le cas présent, cela permet surtout de ne pas signaler que les manifestations publiques ont été d’un côté interdites par la Préfecture de Police, alors que la fête de la musique a quant à elle été autorisée. Il y a quelques jours, le ministre de la Culture Franck Riester déclarait notamment que la fête de la musique était « dans l’identité de nos compatriotes. On parlera musique, on verra musique. Il y aura un grand rendez-vous de musique. »

« Au-delà du piège rhétorique qu'il y a à vouloir culpabiliser les gens – et donc, indirectement, à déresponsabiliser le gouvernement dans ses actions –, il y a tout de même une certaine cohérence à taper encore et toujours sur les mêmes personnes »

Des déclarations qui viennent à la suite d'une politique de déconfinement globalement floue en ce qui concerne le coronavirus et la stratégie de sortie de crise, alors même que 700 000 tests ont été promis dont on ne voit pas la couleur, ou le fait que 86 plaintes aient été déposées devant la Cour de justice de la République à l’encontre de membres du gouvernement. Récemment, on apprenait également que Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, avait été mis au courant de la pénurie de masques dès 2018. Du coup, dans le genre de « prendre ses responsabilités », on peut en conclure que ces écarts de conduite festifs représentent une goutte d’eau dans le flot d’informations contradictoires dont nous abreuve depuis maintenant plusieurs mois. Sans parler des décisions arbitraires de la part des pouvoirs publics, qui autorisent la réouverture du Puy du Fou mais pas celle des boites de nuit par exemple.

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La fête comme épouvantail moral

Car au-delà du piège rhétorique qu'il y a à vouloir culpabiliser les gens – et donc, indirectement, à déresponsabiliser le gouvernement dans ses actions –, il y a tout de même une certaine cohérence à taper encore et toujours sur les mêmes personnes. À savoir : les jeunes (forcément débiles), les troubadours (forcément inconscients), et a fortiori les artistes (qui se la coulent douce). On a déjà vu comment le dossier de la culture avait été géré par Macron, bras ballants et chemise ouverte, en roue libre totale, totalement à côté de ses pompes. Les acteurs du secteur jugent aujourd’hui ses mesures absolument incompréhensibles, et un fossé semble s’être irrémédiablement créé entre le Président qui affichait des ambitions culturelles tout autres au début de son mandat.

Symboliquement, ce discours paternaliste en ce qui concerne la fête de la musique vient encore illustrer cet écart – on peut également citer la manière dont les vieux croûtenards de l’Assemblée nationale riaient à l’évocation de la réouverture des boites de nuit, alors même que les clubs libertins, les cinémas, les restaurants, les terrasses et les saunas ont quant à eux rouvert la boutique sans que personne n'y trouve rien à redire.

Dans un article publié hier sur le site de Libération, Aurélien Dubois, vice-président des établissements de nuit à l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie et président de la Chambre syndicale des lieux musicaux, festifs et nocturnes, déplore ce qu'il considère comme un traitement et une considération archaïque à l'égard du milieu de la fête. Selon lui, le manque de coopération du gouvernement « consiste à croire que les terrasses des cafés seraient fréquentées par des gens bien éduqués, qui restent à leur place, pendant que dans les clubs, on trouve des gamins qui font n’importe quoi ».

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Difficile de ne pas y déceler une entourloupe politique globale, et de considérer les fêtards (et à plus large échelle des gens de la culture) comme l’éternel épouvantail moral d'un gouvernement aux abois. On nous répète sans arrêt que les artistes, les troubadours, les baladins et autres acrobates, ne constituent pas des métiers essentiels au fonctionnement d'une nation - et donc, indirectement, que la question de leur financement apparait de plus en plus secondaire en période de crise. Soit.

Mais si on suit cette logique, et qu'on en conclut que les soignants ou les caissiers sont absolument prioritaires sur le reste, qu'en est-il de leur financement à eux ? Il s'est passé quoi déjà, le 16 juin dernier ? Ah oui, des milliers de médecins, aides-soignants et infirmiers manifestaient dans toute la France pour protester contre le gouvernement pour « promesses non tenues » concernant la revalorisation de leur travail pendant la crise. Mais bon, visiblement, le problème sanitaire majeur aujourd'hui, c'est les jeunes qui vont écouter de la techno au bord du Canal Saint Martin. On applaudira cette superbe diversion.

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