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Illustration de Benjamin Tejero
Crime

Michelle Martin et Marc Dutroux : tuer main dans la main

Amantes manipulées ou conscientes de ces horreurs, quels rôles jouent les femmes dans ces relations sanglantes ?
Justine  Reix
Paris, FR

Les femmes aussi tuent, se vengent et assassinent. Il peut-être temps de se demander : qui sont-elles, comment tuent-elles, avec qui et pourquoi. Nous leur avons consacré une série, « Les tueuses ».

Verser un neuroleptique dans la tasse de café d’une jeune fille pour aider son mari à la violer quelques heures plus tard fait partie des nombreuses raisons pour lesquelles Michelle Martin a été condamnée à trente ans de prison ferme. Pendant plusieurs années, l’épouse du tristement célèbre Marc Dutroux a participé aux enlèvements, séquestrations, viols et meurtres de plusieurs fillettes et adolescentes dans les années 90.

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Comme eux, d’autres couples ont aussi fait frissonner l’Hexagone pour leurs crimes atroces commis main dans la main tels les amants Fourniret ou encore le couple Laurent Hattab-Valérie Subra. Dans ces circonstances, les femmes bénéficient souvent de peines plus légères que celles des hommes, même à crime égal.

L’ancienne femme de Marc Dutroux, Michelle Martin, a fait couler beaucoup d’encre, en Belgique et en France, lors de sa libération. Après plusieurs demandes de libération conditionnelle refusées, la justice belge y a concédé en 2011. Décision jugée illogique et injuste pour certaines familles de victimes du couple belge.

Sous peine de retourner en prison, Michelle Martin doit à présent se tenir à distance des familles des victimes, ne pas se rendre dans les régions où elle a vécu avec Marc Dutroux, poursuivre sa thérapie et respecter d’autres injonctions.

« L’inconscient collectif a peu évolué dans la conception du meurtre commis au féminin. On repousse toujours l’idée qu’une femme, qui représente la douceur, la maternité, puisse être une tueuse, encore moins méthodique, sans scrupule et sans état d’âme » – Alessandra d’Angelo, journaliste

La journaliste d’investigation judiciaire, Alessandra d’Angelo, a couvert durant de nombreuses années l’affaire Dutroux et a même publié un livre au titre évocateur : Pourquoi il ne faut pas libérer Marc Dutroux : un psychopathe n'est pas amendable. Pour elle, la libération de Michelle Martin est différente de celle de Marc Dutroux, toujours emprisonné, et ne doit pas être remise en question. « Dans une affaire judiciaire telle que celle-ci, se confrontent l’émotion populaire, le légitime, et le droit. La libération conditionnelle de Michelle Martin est l’exemple type des sentiments mêlés que suscitent l’opposition entre auteur et victimes dans le débat pénal. »

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Si la libération de Michelle Martin n’est pas à remettre en cause, il est évident que la justice a été plus clémente avec elle que pour Marc Dutroux. Bien entendu, les faits reprochés ne sont pas les mêmes mais il est maintenant prouvé que la justice est plus indulgente avec les femmes que les hommes à faits égaux. Des mesures alternatives sont souvent proposées : sursis, condamnations plus légères, bracelets électroniques…

Le fait que les femmes commettent moins d’infractions que les hommes et récidivent peu n’explique pas tout. « L’inconscient collectif a peu évolué dans la conception du meurtre commis au féminin. On repousse toujours l’idée qu’une femme, qui représente la douceur, la maternité, puisse être une tueuse, encore moins méthodique, sans scrupules et sans états d’âme, ce pourquoi les tribunaux ont sans doute une tendance à être plus cléments », affirme Alessandra d’Angelo.

Une étude statistique réalisée en 2017 par Faustine Büsh et Odile Timbart, intitulé « Un traitement judiciaire différent entre hommes et femmes délinquants » montre une différence entre hommes et femmes face à la justice. Trois facteurs sont avancés pour expliquer ce traitement de faveur accordé aux femmes : la nature des infractions commises, la complexité de l'affaire, soit le nombre d'infractions impliquées, et enfin les antécédents délictueux ou criminels, soit la question de la récidive ou de la réitération de faits. Mais la différence de traitement n’existe pas pour toutes les infractions comme par exemple les contentieux routiers ou encore l’usage de stupéfiants.

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Les auteures de l’étude se sont concentrées sur ce qu’elles appellent les duos mixtes, c'est-à-dire lorsque des individus sont condamnés le même jour, dans le même tribunal, pour les mêmes faits décrits comme en
« réunion » et commis « le même jour ». Sur les 4 000 duos mixtes étudiés, 54% se sont conclus par des peines de prison identiques pour l'homme et la femme impliqués. Lorsqu’il y a une différence, elle se fait sur la durée de l'incarcération, la présence d'un sursis avec mise à l'épreuve ou un sursis. Dans ces situations que les hommes auront effectivement des peines plus lourdes et les femmes davantage de sursis.

« Quand il était en colère, il me jetait au bas des escaliers, il me frappait à coups de pieds et à coups de poings, parfois avec ses grosses bottines de travail à bout renforcé. C’était un robot en marche que rien ne pouvait arrêter. J’avais peur pour mes enfants et moi-même » – Michelle Martin, compagne de Marc Dutroux lors de son procès

Dans les cas des couples, la femme est presque toujours considérée comme la personne la plus faible, qui peut être manipulée par amour ou par peur. Une défense fréquemment utilisée par les avocats qui a aussi été la ligne de défense de Michelle Martin. Cette dernière se défend de toute implication dans les meurtres des jeunes filles et invoque une soumission à son mari. Elle affirme avoir accepté ces enlèvements parce que son mari lui argumente que séquestrer et violer lui permet de « d’augmenter le temps qu’il passe avec elle et de réduire le temps qu’il réserve à la séduction d’autres femmes ». Elle participe alors à la préparation des crimes.

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Michelle Martin témoigne lors du procès de la violence de Marc Dutroux : « Quand il était en colère, il me jetait au bas des escaliers, il me frappait à coups de pieds et à coups de poings, parfois avec ses grosses bottines de travail à bout renforcé. C’était un robot en marche que rien ne pouvait arrêter. J’avais peur pour mes enfants et moi-même. Un jour, il m’a expliqué qu’il rangeait les gens comme des objets dans des tiroirs et qu’il ouvrait un tiroir quand il en avait besoin. »

En décembre 1995, Marc Dutroux est incarcéré, c’est alors à elle de nourrir des fillettes enlevées quelques mois plus tôt et depuis séquestrées dans la cave du couple. Enceinte de cinq mois, elle est sur le point de devenir mère pour la troisième fois. Loin de l’emprise de son mari, elle ne fait pourtant rien pour libérer les enfants. Lors de son procès, elle expliquera avoir eu peur de représailles lors de la sortie de prison de son compagnon. Michelle Martin les laissera mourir de faim.

De l’expertise mentale de Michelle Martin ne ressort aucun déséquilibre ou affection psychiatrique, seulement une certaine sujétion à Marc Dutroux.
« Michelle Martin était, à l’évidence, capable du contrôle de ses actions. L’hybristophilie, l’attirance sexuelle envers les criminels, ne suffit pas à circonstancier ses actes. Elle a fait preuve d’une abstention coupable, à savoir qu’elle aurait pu dire “non”, un mot qu’elle n’a jamais prononcé. Or, l’abstention coupable, soit la non-assistance à personne en danger en l’espèce, est pénalement répréhensible », affirme Alessandra d’Angelo.

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En 2004, Marc Dutroux est condamné par la cour d’assises d’Arlon à la réclusion à perpétuité pour association de malfaiteurs, enlèvement, séquestration, viol, meurtres et trafic de drogue. Michelle Martin, quant à elle, est condamnée comme coauteur, c’est-à-dire complice, qui lui vaut une condamnation à trente ans de réclusion pour enlèvement, séquestration et viol avec la circonstance aggravante pour la mort des jeunes Julie et Mélissa. L’emprisonnement de ces dernières a été accompagné de tortures ayant entraîné la mort.

Michelle Martin était-elle amoureuse au point d’obéir aveuglement à son mari et d’oublier les atrocités qu’ils commettaient ? A-t-elle manipulé la justice ? Avait-elle des problèmes psychiatriques ? Ces questions se posent toujours lorsqu’un couple de tueurs est découvert. Ce phénomène a pour nom le « syndrome de Bonnie & Clyde » ou l’hybristophilie, le fait d’être attiré par des criminels. Cette préférence sexuelle bien particulière peut se développer pour différentes raisons : « L’hybristophile sous-tend trois types de profils principaux au féminin : les femmes attirées par l’hyper virilité, souvent en manque d’une image de père forte, les sauveuses portées par une âme de secouriste et celles qui partagent les mêmes pulsions criminelles que leur idole. Michel Martin fait probablement partie de la première catégorie », affirme Alessandra d’Angelo la journaliste spécialiste de l’affaire.

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« Cette répartition binaire conduit à justifier que les femmes sont plus atteintes de troubles psychiques, tandis qu'elle expliquerait aussi les raisons d'une plus forte propension au crime chez les hommes » – Cédric Le Bodic

Pour Cédric Le Bodic, docteur psychologue clinicien, tous les maillons de la justice sont influencés par cette vision faussée de la femme trop fragile et manipulée dans le cas de couples tueurs. « Si l'avocat n'échappe pas à ces représentations, il en va de même pour l'ensemble des acteurs, qu'ils soient hommes ou femmes, impliqués dans la chaîne décisionnelle. Le juge comme l'expert psychiatrique ou psychologue fonctionnent aussi avec des représentations. » Difficile pour beaucoup d’imaginer une mère de famille tuer des enfants.

Si les acteurs judiciaires tendent toujours vers une forme d’objectivité et se rattachent à des textes légaux, ils prennent aussi compte de la différence entre les hommes et les femmes qui repose généralement sur les antécédents. Un homme a, a priori, davantage d’antécédents que les femmes. « Pour des faits violents ou criminels, les femmes ne sont, en majorité, pas orientées vers les mêmes services que les hommes. Là où ces derniers verront une procédure judiciaire se mettre en place, les femmes se verront davantage dirigées vers des services médicaux ou sociaux. Il est légitime de penser que ce sont nos représentations de ce que sont et doivent être chacun des sexes qui conduisent à une telle différence de traitement », raconte Cédric Le Bodic.

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Plusieurs spécialistes se sont intéressés à cette différenciation du sexe dans la justice qui est souvent appelée l’ontologisation de la différence des sexes. Il y aurait chez l'homme, les traits violent et hétéro-agressif, et chez la femme, les traits colère et auto-agressive. Cédric Le Bodic a lui-même travaillé sur la notion d’ontologisation des sexes : « Cette répartition binaire conduit à justifier que les femmes sont plus atteintes de troubles psychiques, tandis qu'elle expliquerait aussi les raisons d'une plus forte propension au crime chez les hommes. »

Par conséquent, les femmes qui agressent ou commettent des crimes, prendraient toutes les caractéristiques de l'autre sexe. Mais de nombreux travaux sur le genre ont démontré que ces caractéristiques ne sont que des constructions sociales discutables. Beaucoup envisagent plus facilement une femme influencée par son conjoint, comme dans le cas de Michelle Martin, plutôt qu’une criminelle qui reste femme aux yeux de la société occidentale (mère de famille, douceur, fragilité…). Cette hypothèse n’élimine pas le cas de femmes qui ont agi sous l’influence de leur conjoint mais permet d’entrevoir d’autres mobiles pour les femmes tueuses. Des mobiles qui ne sont pour une fois pas dictés par le sexe du tueur mais seulement par ses actes et sa personnalité.

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