Santé

Essaie-t-on d'éradiquer les trisomiques en France ?

Interruption de grossesse poussée par les médecins, dépistage ADN et manque d'accompagnement. De nombreuses personnes atteintes de trisomie 21 et parents se disent victimes d'eugénisme.
Justine  Reix
Paris, FR
trisomie 21 santé enfance
Une jeune fille atteinte de trisomie 21 / Denys Kuvaiev / Alamy Stock Photo

« Les gens me regardent bizarrement, j’aimerais bien voir des … des gens comme moi. » C’est l’une des rares phrases que Martin, 21 ans et porteur de la trisomie 21, parviendra à exprimer pour parler de sa différence. Pour ses parents, Marlène et Adrien, il est difficile d’intégrer leur fils à la société et faire comprendre aux autres son handicap qui est, selon eux, de moins en moins visible en France.

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En France, toutes les femmes enceintes peuvent faire un dépistage de la trisomie 21. Depuis janvier 2019, ce dépistage a évolué avec la prise en charge par l’assurance maladie d’un nouvel examen moins risqué pour le fœtus et qui peut être pratiqué plus tôt dans la grossesse dès la douzième semaine. Ce test permet de rechercher une surreprésentation du chromosome 21 dans l’ADN circulant dans le sang maternel. Avec un taux de détection supérieur à 99% et un taux de faux positif inférieur à 1%, ce dépistage est presque infaillible. Il doit presque toujours être couplé à l’amniocentèse pour confirmer le résultat, un dépistage plus invasif et plus dangereux. Il est donc plus prudent de le faire le plus tôt possible dans la grossesse.

Un dépistage qui, au premier abord, ne peut être qu’une bonne chose. Il permet de prévenir plus tôt les parents afin qu’ils fassent un choix réfléchi et soient préparés s’ils décident de garder l’enfant. Un choix qui dans les faits semble être de plus en plus difficile à faire selon de nombreux parents. Pour le cas de Martin, ses parents ont appris sa trisomie 21 lors du cinquième mois de grossesse. Une annonce choquante pour les parents, accompagnée de conseils douteux de la part de plusieurs médecins. « On nous a proposé de faire le plus vite possible de faire une interruption médicale de grossesse. Vu que nous sommes catholiques, nous voulions réfléchir plus que la semaine de réflexion obligatoire et prendre le temps mais un médecin nous pressait et nous disait de le faire le plus rapidement possible pour que ma femme se remette plus facilement de cette grossesse », raconte le père de Martin.

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« Elle nous a dit qu’on allait l’avoir sur le dos toute notre vie, que peu réussissait à être indépendant et à trouver du travail, qu’on avait encore le choix de l’abandonner à la naissance »

Lorsqu’une semaine plus tard, le couple a annoncé vouloir garder l’enfant, un autre médecin a cherché à les dissuader en leur affirmant qu’ils avaient la chance de pouvoir avoir un autre enfant. Pour la mère de Martin, cette annonce a été particulièrement éprouvante : « Elle nous a dit qu’on allait l’avoir sur le dos toute notre vie, que peu réussissaient à être indépendants et à trouver du travail, qu’on avait encore le choix de l’abandonner à la naissance. C’était déjà très dur moralement et physiquement pour moi. »

Pour rappel, la trisomie 21 est une anomalie chromosomique qui vient de la présence de 3 chromosomes 21 au lieu de 2. Les personnes avec la trisomie 21 ont certaines caractéristiques physiques communes qui sont accompagnées, chez la plupart, d’une déficience intellectuelle et d’un retard au développement psychomoteur. L’incidence de natalité est d’environ 1 cas pour 770 naissances et augmente avec l’âge de la mère.

Depuis quelques années, Martin exprime l’envie de rencontrer d’autres personnes trisomiques. Ses parents l’emmènent une fois par semaine à un atelier de musique et de théâtre spécialisé. Mais Martin fait partie des plus âgés. Pour ses parents, il est évident que l’avancée médicale et le peu d’information autour de la trisomie 21 amènent à une baisse de personnes avec cet handicap en France. Pour beaucoup de parents, l’arrivée du nouveau dépistage ADN a des conséquences désastreuses sur le nombre de personnes avec la trisomie 21 en France.

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Il est actuellement impossible et illégal de recenser le nombre de personnes porteuses de cet handicap et donc de savoir s’il y a une véritable baisse du nombre de trisomiques en France comme l’affirment ces parents. Ces dernières années, le nombre de dépistages est en légère hausse. En 2018, 646 695 femmes ont bénéficié d’un dépistage par marqueurs sériques maternels contre 637 547 en 2017.

Pour l’Agence de biomédecine, il est pour l’instant impossible de savoir si le nouveau dépistage a une incidence sur les naissances de bébés avec la trisomie 21 : « Les arrêtés encadrant le nouveau dispositif de dépistage ont été publiés entre décembre 2018 et janvier 2019, il est donc trop tôt pour évaluer son incidence sur les naissances d’enfants avec une trisomie 21 ».

Si aucun chiffre ne permet de savoir s’il y a plus d’interruption de grossesse depuis l’année dernière, le dépistage ADN change tout de même la donne. Il permet de savoir dès la douzième semaine de grossesse si l’enfant est trisomique et peut donc recourir à une interruption volontaire de grossesse (jusqu’à la fin de la douzième semaine) et non une interruption médicale de grossesse qui peut être réalisée tout le long de la grossesse. Depuis 2016, le délai de réflexion de 7 jours n’existe plus pour une IVG. Pour l’IMG, un délai de réflexion d’une semaine est toujours imposé.

Face à cette question épineuse qui touche à l’eugénisme et au droit à disposer de son corps, tous les généticiens spécialisés dans la trisomie 21 que nous avons contacté ont préféré ne pas se positionner sur le sujet. Pour la plupart des parents de personnes avec la trisomie 21, il n’est pas question d’être anti-IVG mais de surtout mieux informer les médecins et les parents sur cet handicap qui n’est pas la tare que tout le monde semble présenter.

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« Il y a cette image encore très forte des années 60 où on cachait la trisomie 21, on les appelait les mongoles »

Du haut de ses 31 ans, Jean-Philippe a traversé bien des épreuves. Ce jeune papa de Saint-Omer a vécu toute son enfance avec son frère Paul qui a la trisomie 21 et l’histoire s’est répétée lorsque sa femme est tombée enceinte de jumeaux. « Quand les médecins ont eu un doute, on n’a pas eu le temps de dire stop qu’on était déjà en train de faire un dépistage invasif qui présente des risques de fausses couches alors que ma femme était à 7 mois de grossesse. On n’a pas eu l’impression d’avoir le choix. » Lorsque le diagnostic tombe le couple est sous le choc. Il est extrêmement rare que dans le cas de vrais jumeaux, un seul soit touché par la trisomie 21. Les médecins ont proposé de mettre fin à la grossesse. « C’était très violent, ma femme était à deux mois d’accoucher et on nous apprenait en même temps qu’on avait deux bébés différents et qu’on pouvait aussi les tuer. Il y a une vraie sensibilisation à faire auprès des médecins. »

Pour informer sur la trisomie 21, Jean-Philippe a décidé d’ouvrir un compte Instagram pour mettre en avant ses jumeaux, leurs différences et leurs ressemblances avec pour cibles : les futurs parents, les médecins et les enseignants. « Il y a cette image encore très forte des années 60 où on cachait la trisomie 21, on les appelait les mongoles. On essaye de changer cette idée encore très ancrée. »

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Pour le père de famille, il est évident qu’il y a moins de personnes avec la trisomie 21 en 2020. « Le dépistage ne sert pas à avoir un échange sur le handicap et la vie qu’on peut avoir un enfant trisomique, qui peut être une très belle vie, j’en suis persuadée. Ce n’est pas le test qui est problématique mais ce qui vient après. »

Bien souvent, les choses se compliquent lorsque les enfants deviennent adultes. À la fin de l’école, la plupart restent chez leurs parents et trouvent rarement un travail. Ceux qui intègrent le monde du travail sont bien souvent cantonnés aux ESAT (Établissements et services d’aide par le travail), réservés aux personnes handicapées avec une capacité de travail amoindrie. Un emploi souvent répétitif et peu valorisant, comme par exemple plier du carton toute la journée. Des lieux qui isolent encore plus les personnes handicapées qui ne sont pas en contact avec des personnes ordinaires.

En 2015, Katia Bergamelli a fondé avec d’autres parents l’association Tcap21 pour aider à l’inclusion des enfants comme des adultes trisomiques. L’association propose des appartements pour offrir une autonomie aux adultes ainsi que des formations à la vente et l’activité maraichère. « Il y a des messages d’inclusion qui sont donnés mais rien n’est fait concernant le travail alors que tout passe par là. J’aimerais qu’on montre les handicaps de manière positive. Si on éradique la trisomie 21, comme d’autres handicaps, on sera tous pareil, on a besoin de différence » raconte la fondatrice de l’association. Tous les mois, de nombreux événements sont organisés par Tcap21. Non seulement pour intégrer les jeunes membres trisomiques mais aussi pour que les Français les voient sous un autre jour.

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Antoine Fontenit, vice-président de l’association Trisomie 21 France, a justement retrouvé son autonomie malgré son handicap. Pour lui, le dépistage est un faux problème. Il ne faut pas le remettre en question : « C’est un réel progrès et c’est tant mieux. Ça ne sert à rien en tant que trisomiques de chercher des personnes qui nous ressemblent. On demande à ne pas être jugé sur l’apparence alors il faut faire pareil quand on marche dans la rue et être un citoyen ordinaire. » Une belle manière d’oublier sa différence tout en l’acceptant. Très optimiste, le trentenaire sent que la France tend vers une plus grande intégration des trisomiques.

Pourtant, la trisomie 21 fait encore débat dans l’hexagone. Le 31 juillet dernier, l’Assemblée nationale s’est penchée sur l’élargissement du diagnostic préimplantatoire à la recherche d’anomalies chromosomiques (DPI-A) lors de la PMA (procréation médicalement assistée). Une technique qui consiste à détecter les anomalies de nombre de chromosomes de l’embryon. Aujourd’hui, ce diagnostic est réservé aux couples qui risquent de transmettre une maladie génétique grave à leur enfant. Après des discussions houleuses, les députés ont rejeté cet élargissement considéré par les parents comme un souhait d’éradiquer la trisomie 21.

Dans une vidéo sur Instagram regardée plus de 750 000 fois, la mère d’un enfant trisomique avait appelé à faire barrage à ce diagnostic. Le débat entre les députés a duré plusieurs heures. La droite criant à l’eugénisme et une majorité particulièrement divisée sur le sujet. Certains ont souligné les « souffrances » qui pourraient être évitées à des femmes qui réalisent un processus de PMA déjà « extrêmement difficile ». Des discours qui vont à l’inverse des principes d’inclusion prônés par le gouvernement. Preuve que la fracture autour de cet handicap est toujours présente.

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