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Avoir une sexualité quand on souffre de troubles neurologiques

Paul et Grace souffrent respectivement des syndromes d'Asperger et de Gilles de la Tourette. Ils sont en couple et nous ont parlé de leur sexualité.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
sexe troubles neurologiques
Illustration : Hunter French et Cathryn Virginia 

Paul et Grace sont en couple. Paul et Grace souffrent respectivement des syndromes d'Asperger et de Gilles de la Tourette. La vie sexuelle des personnes présentant des troubles du développement neurologique est souvent un sujet tabou, même pour les médecins et les proches. Beaucoup de gens supposent que les problèmes de communication que posent de telles conditions devraient désexualiser les personnes qui en sont atteintes, ou qu'elles ne veulent pas ou ne doivent tout simplement pas rechercher l'intimité physique.

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Dans certains contextes, les personnes autistes peuvent avoir du mal à comprendre les autres ou à communiquer leurs propres souhaits et besoins. Elles peuvent être aux prises avec des indices non verbaux, un langage abstrait, des normes sociales comme celles qui entourent les limites personnelles ou doivent s’adapter aux besoins d'autrui.

Le syndrome de Gilles de la Tourette, pour sa part, se caractérise par des tics physiques et verbaux qui ne peuvent être supprimés que temporairement, et souvent au prix de pénibles efforts. Dans de rares cas, ces tics peuvent inclure des commentaires ou des actes sexuels involontaires, comme le fait de tripoter quelqu'un sans son consentement. Certains cas s'accompagnent de symptômes d'autres maladies, comme le trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou le trouble obsessionnel-compulsif (TOC), qui peuvent entraîner des problèmes d'attention et d'apprentissage, ainsi que des comportements socialement inappropriés.

Mais la plupart de ces patients ont les mêmes besoins sexuels et les mêmes capacités relationnelles que les individus neurotypiques. Les personnes atteintes d'autisme ou de troubles similaires peuvent avoir du mal à nouer et à entretenir des relations à moins d’avoir reçu une éducation précoce, continue et suivie sur ces sujets, ainsi qu’un soutien pour les explorer. Les personnes atteintes de la Tourette, quant à elles, peuvent simplement avoir besoin d'aide pour contrôler leurs symptômes et communiquer avec les autres.

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Ces dernières années, les militants et organisations pour le trouble du spectre de l’autisme ont contribué à développer et à diffuser des ressources d'éducation sexuelle approfondies et adaptées ainsi que des services de soutien pour les personnes atteintes de ces maladies et leurs communautés au sens large. Des personnes atteintes d'autisme comme Amy Gravino ont commencé à parler ouvertement de leurs expériences sexuelles, les bonnes comme les mauvaises. Un petit groupe d'organisations et de personnes atteintes de la Tourette ont également commencé à partager des guides sur la manière d'introduire et de gérer les symptômes dans les relations, ainsi que des récits personnels.

Nous avons discuté avec Paul et Grace de leurs expériences sexuelles et intimes, ainsi que des obstacles à la communication et aux attentes découlant de leurs conditions. Leurs expériences ne sont pas représentatives de toutes les personnes atteintes d’autisme, de la Tourette ou de troubles similaires, mais elles contribuent à élargir le débat sur le sexe et les relations des personnes souffrant de handicap.

Grace : Petite, quand j'avais le béguin pour un garçon, j'agissais de façon inappropriée pour attirer son attention. Plus tard, j'ai appris que si je voulais attirer l'attention de quelqu'un pour qu'il m'apprécie, il fallait que ce soit une attention positive. J’ai aussi appris que parfois cela ne marche pas, et que dans ces cas là, je dois m’arrêter, réfléchir et me rappeler que je ne peux pas changer ce qu'ils ressentent.

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Paul : Quand j'étais petit, je préférais rester seul et faire du cheval à bascule. Les professeurs essayaient de m'encourager à interagir avec les autres enfants, ce qui était très difficile pour moi. Quand je me sens rejeté, je me réfugie dans mon propre monde et j'essaie d'y trouver du plaisir. Il est parfois difficile d'établir certaines relations avec les Asperger parce que le changement est très difficile pour eux. Vous pensez que la vie se déroule dans un cercle, puis quand d'autres cercles s'ajoutent, cela vous rend fou.

J'avais eu des relations sexuelles avec d'autres femmes avant de rencontrer Grace. Au moment où je l'ai rencontrée, j'étais en relation avec une autre fille, mais nous nous sommes séparés un an plus tard. Ensuite, j'ai été célibataire pendant quatre ans. Pendant cette période, j'ai parlé à Grace au téléphone, et quelque chose en elle m'a excité. C'était sa douce personnalité. Nous avons décidé de donner une chance à notre relation, et elle est magnifique.

Grace : J'ai passé de bons moments quand j’ai rencontré Paul. J'étais vraiment excitée à l’idée d'aller à tous ces événements avec lui, d'aller chez lui et de rencontrer ses amis. C'était très amusant.

Paul : Dans une relation amoureuse, il faut faire des compromis des deux côtés et cela a été difficile pour moi dans le passé. J'ai essayé de l'encourager à se lancer dans les choses qui me passionnent vraiment, comme la lecture et les arts. Mais en raison de son handicap, sa capacité d'attention est plus courte que la mienne, et je l'ai progressivement accepté.

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Grace : Nous ne pouvons pas faire l'amour parce que le pénis de Paul ne rentre pas dans mon vagin. Nous avons essayé plusieurs fois tout au long de notre relation, et c'était incroyablement douloureux. Je ne sais pas comment j'en suis arrivée là. Mais nous avons toujours accepté le fait que nous ne pouvons pas avoir de relations sexuelles. Je suis sûre que tous les mecs n'auraient pas accepté cela.

Paul : C'est quelque chose qui n'a pas fonctionné. Nous n'en avons pas fait tout un plat. Ce qui est amusant, c'est d'être ensemble. On peut toujours se montrer notre affection l'un envers l'autre, et c'est beau.

Grace : Je suis très reconnaissante d'avoir Paul dans ma vie. Et nous faisons d'autres activités sexuelles tout le temps. Nous prenons des douches ensemble. Nous nous touchons. Nous nous embrassons. Nous dormons ensemble. Nous nous serrons l'un contre l'autre. Nous miaulons comme des chats. Il y a une chanson que Paul me chante tout le temps dans la voiture, où il tape dans ses mains et dit : « Nous sommes des chats, nous sommes des chats… »

Paul : Nous sommes des chats. Nous sommes des chats. Nous sommes des chats !

Grace : Et ça nous fait du bien.

Paul : Nous avons des relations sexuelles de différentes manières. On se touche, on se sent, et ainsi de suite. Je me masturbe jusqu'à ce que j'éjacule.

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Grace : Nous nous masturbons tout le temps ensemble et avons beaucoup d'orgasmes.

Paul : Il y a des choses qu'elle aime faire et qui lui donnent du plaisir, et des choses qui me donnent du plaisir. Je peux avoir un désir de pénétration sexuelle ici et là qu'elle ne peut pas satisfaire. Mais nous devons nous efforcer de trouver un équilibre entre tout cela. Nous devons trouver le moyen de faire en sorte que cela fonctionne.

Grace : Je dois parfois lui demander de ne pas être égocentrique et de me comprendre si je ne peux pas faire quelque chose. Je dois aussi accepter cela avec Paul. Mais cela arrive dans n'importe quelle relation. Je suis une personne flexible, et Paul aussi. Dans le passé, il nous était plus difficile d'équilibrer les choses. Quand ma mère est tombée gravement malade du diabète et du lupus après notre rencontre, j'ai dû m'occuper d'elle. Il a eu quelques liaisons dans mon dos au motif que je n'étais pas disponible. C'était très mal de sa part, et j’ai perdu confiance en lui.

Paul : Je ne comprenais pas que tromper n'était pas quelque chose à faire dans une relation. Parfois, je me disais que je voulais quelque chose de plus. Que je manquais de sexe. J'ai fini par réaliser que je ne prenais pas en compte ce que Grace ressentait. Je n’ai plus eu d'aventures après cela.

Grace : Il dit qu'il a appris sa leçon.  Parfois, je lui demande : « En as-tu assez de moi, es-tu fatigué de moi ? » Il me répond : « Non, pas du tout. Nous sommes des chats. » Je me sens très chanceuse d'avoir Paul dans ma vie.

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