Au salon avec les habitants des studios de Bucarest

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Au salon avec les habitants des studios de Bucarest

Le Roumain Bogdan Gîrboveanu a exploré la modeste demeure des voisins de son immeuble.

Le photographe dans son studio

Les villes d'Europe de l'Est comptent de nombreux ensembles d'immeubles qui leur donnent des allures dystopiques. Ces bâtiments divisés en une multitude de petits appartements et studios ont été construits à l'époque communiste pour accueillir les masses de travailleurs qui avaient quitté la campagne pour la ville. Comme vous pouvez probablement l'imaginer, la plupart de ces appartements sont bien plus petits et délabrés que leurs équivalents occidentaux. En réalité, ils sont tellement pourris qu'ils ont attiré l'attention du photographe roumain Bogdan Gîrboveanu.

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Féru d'anthropologie et de géométrie de l'espace, Gîrboveanu a entrepris de photographier tous les studios de son immeuble. Je l'ai appelé pour en savoir plus sur son projet.

VICE : Comment avez-vous eu l'idée de cette série de photos ?
Bogdan Gîrboveanu : Simplement en pensant à mon espace personnel, le lieu que j'habite, où je médite, travaille et fais l'amour. J'ai commencé à prendre des photos de mon studio, et cet espace est petit à petit devenu une obsession – je trouvais qu'il était complètement différent en fonction de l'angle sous lequel je le photographiais. Je pense que je me suis passionné pour ce cube car je suis également obsédé par les mathématiques et la précision.

Et comment en êtes-vous arrivé à rendre visite à tous vos voisins ?
Je voulais voir à quoi ressemblaient leurs studios. Je me demandais s'ils étaient identiques au mien. J'habite au dixième étage, et j'ai eu de la chance avec la dame du dessous, celle qui vit au neuvième. Un jour, elle m'a demandé de l'aider sur une de ses portes qui avait un problème de gonds. Ce qui m'a frappé quand je suis rentré chez elle, c'est que c'était complètement différent. Je veux dire, l'espace était identique, mais le décor totalement différent.

Les Roumains n'aiment pas trop se faire photographier. Comment avez-vous réussi à convaincre vos voisins de vous laisser rentrer chez eux ?
Encore une fois, je me suis basé sur les mathématiques pour tirer profit des connections entre les habitants. Depuis le voisin qui habite au neuvième, j'ai atterri dans l'appart du huitième. Le locataire du huitième connaissait celui du neuvième et du septième, etc… C'était comme un jeu.

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J'ai eu quelques difficultés avec les voisins les plus jeunes qui ne comprenaient pas pourquoi je voulais faire ça tout en rechignant parce que leur petite amie n'était pas là. J'ai dû effectuer pas mal d'allers-retours avant de réussir à rentrer chez eux. Aussi, je prenais des photos d'eux seulement le dimanche – les gens ont tendance à être plus relaxés ce jour-là.

Mme Biţa vit dans son studio du neuvième étage depuis 1967

J'aime le fait qu'un personnage soit présent dans chacune de vos photos.
Ça ne marche pas quand il n'y en a pas. Un ami avait l'habitude de dire qu'une photo sans personnage est comme une carte postale. Beaucoup de gens m'ont demandé pourquoi ils devaient être assis ; je leur ai répondu que c'était ma seule et unique requête. Je ne m'intéressais ni à la propreté des lieux ni à l'endroit où ils s'asseyaient. Je me suis moi-même assis de toutes les manières possibles dans mon propre appartement et j'ai trouvé la position qui faisait la meilleure composition.

Je ne voulais pas qu'ils restent debout car cela aurait donné l'impression que de créer une sorte de ligne droite à travers leur appartement. De plus, même assis, ils occupent beaucoup d'espace ; j'ai toujours aimé l'idée de la composition d'un portrait qui ne capturerait pas seulement le visage de la personne, mais également l'atmosphère du lieu.

Je trouve la décoration des appartements de personnes âgées fascinante et complètement différente de celle qu'on retrouve chez les plus jeunes.
Il y a des schémas en fonction des générations : celui des plus jeunes est minimaliste, plutôt aéré, tandis que les plus âgés ont une approche diamétralement opposée. Je suis convaincu que notre génération, en vieillissant, va également se mettre à accumuler les objets, même si nous aurons peut-être la chance d'avoir des espaces plus grands. Ce n'est pas facile de se débarrasser de toutes ces choses accumulées au long d'une vie, même si les autres ne les trouvent pas jolies.

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Quelle est la chose la plus étrange que vous ayez aperçue dans l'un de ces appartements ?
Je m'intéressais aux raisons pour lesquelles telle ou telle chose était placée à tel endroit plutôt qu'à la nature même des objets. Par exemple, au neuvième étage, des livres avaient été placés sur une garde-robe d'une manière assez marquante. Quand j'ai demandé pourquoi elle les avait placés ainsi, l'habitante m'a simplement répondu : « De cette façon, ils ne tombent pas. » Une pile de livres placés à l'horizontale était succédée par une rangée de livres à la verticale, dans une opposition presque symétrique ; c'était la décoration qu'elle avait choisie.

C'est fascinant de voir à quel point vos personnages sont différents les uns des autres.
Oui. Certains ont affirmé que j'essayais de montrer le mélange des classes sociales, mais j'ai simplement photographié les appartements de mes voisins. La vieille dame que vous regardez, vous ne pouvez savoir que c'est une journaliste qui a des diplômes universitaires. Il y avait une femme au premier étage qui avait été illustratrice pour la Banque nationale de Roumanie, une autre qui était peintre d'intérieur ainsi qu'un monsieur surnommé Don Lukas qui avait fait fortune à l'étranger. Ils ont tous une histoire.

Je trouve que la photo la plus intéressante est celle de la dame avec son lit baldaquin. Quelle est son histoire ?
L'immeuble se trouve tout proche d'un marché, et cette femme héberge parfois des gens qui y travaillent. Ils dorment dans le lit baldaquin. Voilà pourquoi elle a disposé des rideaux sur le côté. Elle, elle dort dans le petit lit juste à côté.

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Comment le syndic de l'immeuble a réagi à ce projet ?
L'un des responsables a ouvert la porte d'un appartement inoccupé pour moi. Il m'a laissé rentré à l'intérieur et on a discuté de façon cordiale. Comme l'appartement était vide, je lui ai demandé de poser dedans histoire d'avoir un sujet dans cet espace.

Comment vos sujets ont-ils réagi lorsqu'ils ont vu les photos ?
Beaucoup m'ont demandé « Pourquoi sommes-nous si petit ? » car je leur avait dit que je faisais des portraits. Ils ne pensaient pas que j'allais y intégrer leur chambre. Du coup, ils m'ont demandé si je pouvais les prendre en photo d'une manière plus restrictive. Ce que j'ai fait. Ça a eu l'air de les satisfaire.