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Les étudiants anglais sont – presque – tous dépressifs

Nos petites têtes rousses croulent sous les responsabilités, le stress et les problèmes personnels : du coup, ils se suicident.

Illustration : Joel Benjamin

Quand je suis arrivé à l'université William & Mary College en Virginie, en août dernier, j'ai cru entrer au paradis. Je n'avais jamais visité les États-Unis auparavant, et je fus surpris d'être accueilli avec l'Union Jack et plusieurs sympathiques acteurs dotés d'un accent anglais plus que discutable, et ce, juste pour me souhaiter la bienvenue. Ce que je ne savais pas encore, c'est que derrière le charme d'apparence de la ville de Williamsburg se dissimulait une réalité bien plus sombre : dans cette fac, les étudiants se foutent en l'air.

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William & Mary a récemment été classé top college par Forbes, et bénéficie d'une excellente réputation en termes de rigueur académique. Les standards y sont très hauts : les deux tiers des candidats en sont rejetés. La fac est un peu le cerveau de la ville de Williamsburg. Étrangement, mes premières semaines là-bas ont consisté à assister à assister à des discours alarmistes concernant les dangers de la drogue et de l'alcool. Tous les gens de là-bas étaient très accueillants, amicaux. J'ai tout de suite eu le sentiment de faire partie de cette gentille communauté.

Au bout de quelques jours cependant, j'ai constaté un soudain changement d'ambiance. Un étudiant venait de se donner la mort sur le campus, laissant toute la communauté étudiante bouleversée. Un mémorial fut organisé ; petit à petit, tout est revenu à la normale. Comme je ne savais encore presque rien des us et coutumes de la fac, j'ai considéré cette mort comme un événement tragique quoiqu'inattendu ; une tache noire sur le costume immaculé de la communauté universitaire.

Mais j'ai vite appris qu'il ne s'agissait pas d'un cas isolé : depuis ma première semaine de fac, quatre étudiants s'y sont suicidés. Sur les cinq dernières années, on en compte neuf. Ce qui rend ces statistiques encore plus troublantes, c'est la petite taille de l'université : elle compte un peu plus de 8 000 étudiants inscrits en 2015-2016. Les tragédies de ce genre sont désormais si fréquentes que Noa Nir, diplômé en 2013, a récemment dit au Washington Post : « J'ai l'impression que je retiens mon souffle tous les jours, attendant le prochain décès. »

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Les morts en série de William & Mary sont, à l'échelle des universités américaines, inquiétantes ; la fac a même été étiquetée d'« école du suicide » par certains esprits chagrins. Cependant, lorsqu'elles sont remises dans leur contexte, les tragédies qui ont lieu au sein de cette petite école propre sur elle révèlent une histoire plus générale – une histoire qui montre que l'occurrence du suicide chez les étudiants est loin d'être une nouveauté.

Au cours des 50 dernières années, le taux de suicide parmi les jeunes Américains a augmenté de près de 200 %. Mais le problème n'est pas le fait des États-Unis seulement ; une tendance similaire est observable en France ou en Grande-Bretagne. Le nombre d'étudiants qui se sont donné la mort en Angleterre et au Pays de Galle est toujours relativement bas, mais il a augmenté de 50 % entre 2007 et 2011 – passant de 75 cas à 112 – malgré le nombre total d'étudiants, qui a seulement augmenté de 14 %.

Bien qu'on ne puisse spéculer sur les raisons ayant poussé ces individus au suicide, il est intéressant de noter qu'il y a eu une augmentation du nombre d'étudiants stressés ayant demandé un suivi psychologique universitaire. Ces dernières semaines, il a été rapporté que les services d'assistance au Royaume-Uni font face à une augmentation annuelle du nombre de sollicitations de l'ordre de 10 %. Les problèmes de santé mentale sur les campus ont aussi connu une hausse rapide, passant de 8 000 à 18 000 durant les quatre années ayant précédé 2012-2013.

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Cependant, s'il est facile de mesurer le nombre de personnes consultant un psychologue sur le campus, il est plus difficile de savoir si la hausse est due à une augmentation du nombre de réels troubles psychologiques ou si elle est simplement le résultat d'un meilleur accès des étudiants à une aide.

« Ces dernières années, on a vu le nombre d'étudiants ayant accès à une aide psychologique augmenter d'année en année, » dit Robert Barnsley, qui travaille pour le service d'aide à l'université de Sheffield en tant que Coordinateur de l'assistance psychologique. « Il pourrait s'agir du résultat d'une prévalence en hausse, ou du simple fait que les étudiants aient moins peur de demander de l'aide à nos services. »

Rosanna Hardwick agit pour la sensibilisation aux problèmes de santé mentale et est consultante senior pour l'association Student Minds. Pour elle, il existe une variété de raisons pour lesquelles les étudiants sont plus à même de souffrir de troubles psychologiques. « Le manque de sommeil, une alimentation déséquilibrée, la pression des examens, le manque d'exercice, et la consommation d'alcool sont autant de facteurs qui peuvent développer certaines difficultés au niveau moral, dit-elle. Aussi, les années passées à l'université sont celles qui coïncident avec l'âge où l'on observe la plupart des débuts de troubles psychologiques ; 75 % de ces derniers se développent en effet juste avant 25 ans. »

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Students Minds pense que « l'intervention d'un pair est à même de changer l'état psychologique des étudiants », et qu'il s'agit là d'un élément clé. Hardwick cite ainsi leur campagne nationale Look After Your Mate qui encourage l'entraide des étudiants au sein de leur campus. « Les jeunes adultes ont tendance à parler à leurs amis lorsqu'ils rencontrent des difficultés, dit-elle. Elle ajoute : un bon réseau social et un groupe sur qui compter ont une influence positive contre la souffrance morale. Une étude récente a montré que le soutien de la famille et des amis était la principale raison pour laquelle les étudiants décidaient de ne pas mettre fin à leur année scolaire. »

« La pression que subissent les étudiants est plus forte que jamais, dit pour sa part Barnsley. Qu'il s'agisse de la transition entre la vie de famille et la vie en solo, l'apparition de responsabilités familiales pour certains étudiants, ou encore l'inquiétude très réelle de ceux qui viennent d'arriver de pays en guerre… »

Il y a, évidemment, plein de raisons qui justifient l'anxiété, et les conseillers sont formés pour essayer de les résoudre. Mais lorsque des pensées suicidaires font irruption, est-il encore temps d'aller voir quelqu'un ? Étonnamment, Barnsley pense que non.

« Lorsque les gens commencent à ressentir des pulsions suicidaires, débuter un suivi sur le campus n'est peut-être pas la meilleure solution pour eux, dit-il. L'assistance qu'on apporte peut laisser les gens dans un état encore pire, sur le court terme. Cela peut déterrer des émotions difficiles. Un suivi hebdomadaire ou bimensuel ne permet pas de répondre à des besoins urgents. »

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Il semble donc que le suivi universitaire ne soit pas fait pour les étudiants au bout du rouleau. C'est même l'inverse.

Jacob [son nom a été changé] est étudiant et souffre de dépression, celle-ci ayant resurgi au moment de son entrée à la faculté. Il a expérimenté les défauts précités du suivi psychiatrique fourni par les universités. « J'ai rempli à l'avance un formulaire en ligne et coché une case confirmant que j'avais eu des pensées suicidaires », raconte-t-il, expliquant qu'après ça, il s'est rendu à plusieurs rendez-vous ayant débouché sur « des sessions excessivement improductives ».

« Au départ, on m'a donné un livre à propos de la dépression, dit-il. Lorsque vous replongez, la dernière chose dont vous avez envie est qu'on vous dise "ce qu'est" la dépression. Forcément, vous savez ça mieux que quiconque […] Et de fait, on n'a jamais abordé mes pensées suicidaires. Le formulaire ne servait qu'à les distinguer. Le suicide est largement tu au pendant un suivi universitaire, et en dehors aussi – à l'instant où vous le mentionnez, ils essaieront de vous envoyer ailleurs. »

L'expérience de Jacob a culminé au point où son conseiller « lui a dit d'aller voir son médecin traitant pour qu'il lui prescrive du Valium. » Lorsque ledit médecin en a eu vent, elle a répondu, furieuse, que « ça [l'enverrait] en désintox avant ses 30 ans ». Jacob résume son expérience du suivi comme « bureaucratique au mieux, inexistant au pire. Je n'ai jamais rencontré personne ayant eu l'impression d'avoir bénéficié d'un soin quelconque. »

En fin de compte, il semblerait que si l'existence de ce suivi psychologique universitaire est nécessaire et importante, elle ne réponde pas du tout aux besoins des étudiants, notamment les plus suicidaires.

Quelles solutions pouvons-nous donc mettre en place ? Il n'existe aucune réponse définitive. Le sujet est encore tabou, tant sur les campus que derrière les portes de certains centres de suivi psychologique. Aujourd'hui, il semblerait qu'il n'y ait qu'une toute petite place accordée à aider ceux qui sont au plus bas au Royaume-Uni ; il est important que cela change.