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Ma vie de délégué de classe (m'a appris à devenir adulte)

Sourire, être sympa et ne servir à rien : il n'y a rien de plus injuste qu'être élu délégué.
Paul Douard
Paris, FR

De mes années lycée, il y a deux choses dont je me souvienne : la première fois que j'ai baisé et la fois où j'ai été élu délégué. Je ne m'étalerai pas sur la première qui, de toute évidence, ne vous regarde pas, mais plutôt sur la seconde. Ces deux expériences ont radicalement changé ma vie.

Histoire de planter un peu le décor, sachez que mon lycée faisait partie de ces établissements publics à bonne réputation où le taux de réussite au Bac est supérieur à la moyenne française. Comprenez par-là qu'il y avait nettement plus de filles que de garçons, ce qui n'était évidemment pas un souci pour le jeune garçon pubère en quête d'éducation sexuelle que j'étais. On y trouvait aussi une certaine bourgeoisie typique d'une vieille ville de province proche de Paris. Ce type de lycée reste toutefois aujourd'hui l'un des deux principaux lieux en France où une fille de radiologue peut croiser un fils de boulanger. L'autre étant le Tribunal correctionnel.

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Avant de voir mon prénom inscrit au tableau noir de la classe avec pleins de bâtons à côté, j'étais un lycéen lambda. Rien, a priori, ne me prédestinait à représenter mes collègues dans leur lutte contre l'oppression intellectuelle et le culte de la connaissance ordonné par l'éducation nationale. Comme beaucoup d'autres petits cons issus de la classe moyenne supérieure, j'étais quotidiennement assis au fond de la classe, près de la fenêtre et du radiateur, afin d'éviter tout contact avec un quelconque membre du personnel enseignant. Je ne faisais pas grand-chose, si ce n'est le minimum pour atteindre un niveau de connaissance jugé suffisant par mes professeurs pour obtenir le droit de continuer à apprendre. De fait, j'étais la grande déception de ces derniers : un jeune garçon apparemment intelligent qui pourrait être en « tête de classe » mais qui préfère « discuter avec ses copains et boucher des serrures de porte avec du chewing-gum ». Contrairement à certains, je n'ai pas eu une vie difficile au lycée. Je n'étais ni le petit gros dont tout le monde se fout de la gueule, ni le binoclard nul en sport qui est toujours le dernier à être choisi dans l'équipe de foot en cours d'EPS. Je côtoyais autant les mecs en jogging que les filles des classes européennes. Je n'étais ni populaire, ni méprisé.

Photo via Flickr

La première fois que j'ai été élu par la voix du peuple, ce fut un véritable hold-up. Alors que j'étais tombé dans une classe de sauvages dont le principal hobby consistait à démonter les portes des toilettes, l'unique personne qui souhaitait nous représenter était la première de la classe. C'est-à-dire une personne parfaite, au sens scolaire du terme. Un comportement remarquable et une faculté à apprendre par cœur hors du commun. Une fille qui était à mille lieues de nous, en somme. Je ne dis pas qu'elle n'avait pas les qualités nécessaires à la rédaction d'un compte rendu de conseil de classe, mais je pense sincèrement que cette personne cherchait simplement à gagner. Par tradition familiale probablement. J'ai compris qu'elle ne pourrait jamais nous aider car elle ne comprenait pas notre point de vue de branleur. C'est comme si, aujourd'hui nos représentants étaient tous des technocrates qui n'avaient jamais posé un pied dans la boue. Je devais m'interposer. Alors que la roadmap de sa vie avait été soigneusement préparée par ses parents, de mon côté, je ne savais pas quand était le prochain contrôle de maths.

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Je n'avais pas de programme, pas d'idée et surtout, aucune légitimité. Je venais d'être élu simplement parce que ma gueule leur revenait.

À la stupeur générale, j'ai proposé ma candidature – simplement en levant la main. Quelques minutes plus tard, les bâtons s'entassaient à côté de mon prénom en formant une courbe maladroite (à cause d'un gaucher qui ne savait pas écrire) et je voyais le regard appuyé de ma concurrente tenter de me faire exploser. J'étais non seulement en train de briser son rêve de tyrannie démocratique, mais aussi de détruire tous les idéaux de citoyenneté modèle que l'école tentait de lui inculquer. En l'espace d'une petite heure, j'étais élu à la majorité. Je n'avais pas de programme, pas d'idée et surtout, aucune légitimité. C'était simplement parce que ma gueule leur revenait.

À partir de là, j'ai pu accéder à tous les privilèges que confère le statut de délégué. Je pouvais siéger aux conseils de classe et ainsi écouter les professeurs se plaindre de l'immaturité d'un adolescent de 16 ans. J'étais aussi la personne compétente pour accompagner le moindre souffrant à l'infirmerie. Ce privilège permet de se tirer de la pression d'une salle de classe, de passer aux toilettes boire un coup puis de revenir en ayant fait le tour du lycée. La seule réelle responsabilité que j'avais sur les épaules était de jouer la balance, c'est-à-dire rapporter à mes potes ce que les profs avaient pu dire d'eux. Finalement, ce statut donnait lieu à plus de droits que devoirs. Une représentation de la France à petite échelle, en quelque sorte.

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Photo via Flickr

Le conseil de classe était LE truc le plus important du semestre. Tout le monde se bat en cours d'espagnol pour obtenir son absurde et injuste 20/20 en participation et ainsi faire grimper sa moyenne générale. Parce que oui, celui-ci est toujours plus crédible qu'un 19/20 en athlétisme.

En réalité, un conseil de classe ressemble un peu aux comparutions immédiates. On y trouve le directeur de l'établissement, qui joue le rôle du juge froid, moralisateur et désagréable. Les professeurs jouent quant à eux, tantôt le rôle de l'avocat, tantôt celui du procureur général. Il y a aussi le prof d'arts plastiques, dont tout le monde se fout pleinement de l'avis. Et puis il y a moi, qui joue le rôle du con crédule dans un monde jusqu'alors inconnu. Le seul avantage que j'avais par rapport aux autres, c'est que j'étais présent à mon procès, ce qui jouait évidemment en ma faveur. Il fallait me regarder dans les yeux avant de me dire que j'étais minable – et le courage n'est pas chose courante dans ce type de réunion.

Le truc, c'est qu'il n'y a pas de jurés dans un conseil de classe. Le directeur décide seul du sort de votre vie, alors si vous voulez faire une école d'art, fermez-la et dîtes que vous voulez devenir médecin, comme papa. Lors des conseils, je dispose aussi d'une minute pour faire remonter les demandes, questions et doléances de mes camarades. Cela va de trucs anecdotiques comme « Les frites sont dégueulasses à la cantine » à des trucs hautement plus importants tels que « On a trop de devoirs en maths ». Après m'être rendu compte de l'inutilité de ma mission, il était temps de m'attaquer aux cas particuliers.

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Un conseil de classe est assez représentatif de la merde qui recouvre notre société. J'ai pu ainsi écouter des professeurs m'expliquer pourquoi Mohammed, qui avait les mêmes notes que moi, devait s'orienter vers une première technique, au moment même où j'avais le droit de continuer en première économique et sociale. Non pas que l'une soit meilleure que l'autre à mes yeux – mais lui n'avait pas le choix. Même si cette injustice a tourné en ma faveur, je n'en ai pas compris la raison et je ne sais pas ce qu'est devenu Mohammed. Je n'aurais pas l'hypocrisie et l'indécence de vous dire que j'aurai préféré prendre sa place, car ce n'est pas le cas. La vie est assez injuste comme ça, inutile de se tirer une balle dans le genou. Seulement voilà, c'est à partir de là que j'ai compris que la méritocratie n'existait pas. Au contraire des notions d'opportunisme et d'apparences.

Photo via Flickr

Ma minable élection était surtout la preuve que le système de vote tel qu'il existe aujourd'hui ne pourrait jamais amener quelque chose de cohérent ; de temps à autre, je me disais : « Merde, ce seront toujours des imposteurs comme moi qui se feront élire. » Puis j'oubliais. De fait, comment vendre un système démocratique à des gamins qui dès leurs 16 ans peuvent gagner une élection simplement en souriant et ainsi accéder à des privilèges non disponibles pour la plèbe lycéenne de base ?

L'injustice qui se dégage de l'écart de privilèges entre les représentants et les gens normaux est mise en œuvre dès le lycée. Évidemment, tout n'est pas de ma faute. Ce sont les votants qui m'ont élu. Ce sont donc eux qui préféraient avoir un branleur comme moi à leur tête plutôt que la Comtesse de Prusse. Ils n'ont jamais pensé aux conséquences, ils voulaient simplement à élire quelqu'un qui leur ressemblait, en espérant que cette proximité de façade jouerait en leur faveur.

Mais le problème est multiple. D'un côté nous avons des votants qui ne veulent que se déresponsabiliser en élisant quelqu'un qui devra régler toutes les emmerdes du monde pour eux pendant qu'ils pourront rester tranquillement assis devant Les Anges de la téléréalité. De l'autre, des candidats trop éloignés socialement des personnes à convaincre pour avoir une quelconque influence sur eux, ou trop proches de ces décideurs pour avoir une quelconque vision des problèmes de son électorat. Dans les deux cas, on est foutus.

Je sais qu'une élection présidentielle ou régionale est un peu plus complexe qu'une ridicule élection de délégué au lycée, mais le principe est exactement le même. Seule l'échelle diffère. À la fin, c'est toujours le type qui n'a rien à faire là qui est élu.

Paul est sur Twitter.