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reportage

Mes vacances totalitaires au Cambodge

On a suivi Sam Rainsy, le seul Cambodgien modéré à faire de la politique.

Photos : Victoria Hesketh

Ça fait un petit moment que le Cambodge n'a pas connu de jours heureux. Au moment où j'y passais mes vacances, des ouvriers du textile en grève se faisaient tirer dessus par la police, provoquant ainsi cinq morts et de nombreux blessés. Depuis, beaucoup d'organisations de défense des droits de l'homme ont contesté les réactions violentes du gouvernement cambodgien, déplorant le fait qu’il « se soucie plus des intérêts et des profits des employeurs […] que des travailleurs et de leur droit à un salaire décent. »

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Cette situation dramatique fait l’objet des préoccupations des membres du parti opposant, le PSNC (Parti du Sauvetage National du Cambodge). Quand je me suis rendu au siège du parti  – un jour après que Mu Sochua, députée et membre du PSNC, a donné de l'argent à des manifestants hospitalisés – on venait d'apprendre que 11 militants du parti avaient été violemment arrêtés par la police.

Les militants ont fait circuler des pétitions auprès des ambassades étrangères afin de mettre en lumière l'arrestation de 22 personnes lors de la dernière manifestation des ouvriers du textile. Mais le gouvernement leur a fait savoir que tout rassemblement de plus de 10 personnes allait à l’encontre de la loi.

Sam Rainsy

Je me suis rendu au siège du PSNC pour rencontrer Sam Rainsy, un des leaders controversés de l'opposition. Il est notamment réputé pour embarrasser ses collègues avec ses nombreuses gaffes – par exemple, il a récemment déclaré que le premier ministre cambodgien Hun Sen était « plus faible qu’une femme ».

Le bureau du PSNC

En plus de ses remarques sexistes, Rainsy est aussi accusé de véhiculer une forme de xénophobie anti-vietnamienne afin de s’attirer les faveurs des Cambodgiens qui gardent un souvenir amer de l’occupation.

Quand je l’ai confronté à ce sujet, il a essayé de faire passer ça comme un « cliché à la mode » avant de décrire le Vietnam comme étant une combinaison de l'Allemagne nazie et de la Russie impérialiste. « Pour un Européen, c’est peut-être plus pertinent de comparer le Cambodge à la Pologne, m’a-t-il expliqué. On ne peut pas dire que les Polonais détestent les Russes et les Allemands. Mais quand on analyse l’histoire de leur pays, on constate que la Pologne était prise en sandwich entre l'Allemagne et la Russie. Jusqu’à la fin de la Guerre froide, les Polonais avaient peur des Allemands et des Russes, mais ils n'étaient pas racistes pour autant. »

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Nous nous sommes dirigés vers le parking, où une foule s'était rassemblée pour se rendre en voiture dans la province de Kandal, la circonscription d'origine de Hun Sen. Pendant une dizaine de minutes, les personnes présentes se sont accusées mutuellement d’avoir perdu les clés de la Lexus noire du parti. Finalement, nous avons pu nous engouffrer à l’arrière d’un 4x4.  Quelques agents de sécurité du PSNC sont venus nous rejoindre, et nous avons pris la route pour Phnom Penh. Rainsy était censé nous suivre.

À l’approche de Kandal, des jeunes partisans du PSNC se sont mis à applaudir et à crier en apercevant notre véhicule officiel. Des adolescents souriants qui portaient de fausses casquettes New Era nous ont salué en faisant le chiffre 7 avec leurs mains, afin de représenter la position du parti aux dernières élections – ils sont arrivés derniers.

Des membres du PPC devant le bureau de Kandal

À Kandal, nous avons repéré des partisans du Parti du Peuple Cambodgien (PPC) dans la foule. L’ambiance était beaucoup plus sinistre : c’était la première fois de la journée qu’on tombait sur une milice civile approuvée par l’État. Accompagnés de policiers, ils avaient pris soin de cacher leur visage derrière des casques de moto ou des masques chirurgicaux pour intimider l'opposition.

Nous sommes restés au milieu de la foule pendant quelques minutes avant que notre agent de sécurité nous demande de revenir dans la voiture. Après 15 minutes de conversations enflammées par talkies-walkies interposés, notre chauffeur nous a dit qu’il serait plus sage de retourner à Phnom Penh. Le meeting était annulé.

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« Nous ne sommes pas en sécurité ici » nous a expliqué notre agent de sécurité, esquissant un geste vers les policiers et les milices rassemblées de l'autre côté de la rue. Il m’a expliqué qu’il était certain que les membres du PPC présents étaient des mercenaires apolitiques payés par le gouvernement. « Ils nous ont dit que si Son Excellence Sam Rainsy arrivait et que la cérémonie prenait place, ils allaient engager le combat. »

La police et la milice, devant un temple de Kandal

De retour au quartier général du PSNC, Rainsy était visiblement très déçu. « Il fallait qu'on annule. Nous ne devons pas tomber dans le piège de la violence. »

Le personnel de sécurité du PSNC

En plus de ses remarques sexistes, on peut reprocher à Rainsy d'émettre des promesses trop fantaisistes – par exemple, doubler les salaires et assurer une retraite à tous les Cambodgiens. Mais à l’image de l'ancien ministre des finances, il semble convaincu de pouvoir mener à bien ses projets tout en luttant contre la corruption.

« Notre corruption se traduit par des chiffres très simples à comprendre, » m'a-t-il assuré. « Les impôts qu'on ne perçoit pas à cause du marché noir sont littéralement en train de tuer ce pays… En freinant ce problème, nous pourrions dégager plus d'argent pour les retraites et doubler le salaire des ouvriers. »

Le Cambodge a récemment été classé comme étant un des pays les plus corrompus de la région. En 2005, l'ancien président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, a déclaré  que les trois problèmes au Cambodge étaient « la corruption, la corruption et la corruption » – il y a donc un peu de vrai dans le discours de Rainsy.

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Sam Rainsy est clairement un homme du peuple, comme en témoigne son discours sur les salaires : « Nous nous posons les mauvaises questions, a-t-il expliqué. Quand on ne peut pas donner suffisamment d’argent à quelqu'un pour qu'il puisse vivre décemment – et il a été prouvé que vivre avec 75€ par mois [le salaire minimum pour un ouvrier du textile cambodgien] n'est pas suffisant ici – c’est qu’il y a un problème.

Nous devons nous interroger sur le minimum nécessaire pour vivre correctement. Et pas uniquement sur ce qui nous permet de faire tourner les usines. Cette situation est terrible. Au lieu de pointer les travailleurs du doigt, il faudrait réprimer la corruption pour obtenir plus d’argent. Et peut-être qu’un jour, nous aurons assez confiance en notre monnaie pour rivaliser avec les autres pays d’un point de vue économique ».

On peut reprocher beaucoup de choses à Sam Rainsy, mais il semble s’adresser aux problèmes des Cambodgiens de manière plus directe que le PPC. Et ce serait sans doute une bonne chose que le parti au pouvoir commence à étudier les revendications de son peuple mécontent.

Récemment, Hun Sen a fait un drôle de discours lors de l’inauguration d'un village pour enfants. Il a poussé une petite râlote contre les personnes qui exigeaient sa démission, en précisant que Surya Subedi – le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme au Cambodge – lui avait expliqué qu'il n'était pas obligé de se retirer.

Mais la majorité des personnes qui ont subi le régime du PPC sont loin d'être optimistes quant à la possibilité d'un vrai changement dans le pays. L'interdiction de manifester qui était en place depuis janvier a été levée le mois dernier. Pour l’instant, l’opposition devra se contenter d’organiser plus de manifestations, dans un vague espoir de faire changer les choses.