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L’État français embauche des chercheurs pour étudier votre drogue

Une scientifique de l'Observatoire des drogues m'a parlé des nouvelles substances légales et des gens qui les produisent.
Quelques exemples de drogues légales disponibles sur le site coffeesh0p

Aujourd'hui, les dealers vendent n'importe quel produit pour ce qu'ils ne sont pas, pourvu qu'ils provoquent des bouffées de chaleur ou une légère anesthésie des gencives. Bien sûr, il reste toujours le deep web, les Bitcoins et les déclinaisons de Silk Road. Plus simple et accessible, il y a aussi les sites de vente en ligne de produits présumés psychoactifs et présentés comme légaux. Et un mélange de toute cette merde se retrouve dans la rue, les appartements et les festivals, si bien que l'on ne sait plus trop où en en est.

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Il en va de même pour les pouvoirs publics. Dans ce cas de figure, l'État commande une enquête à des chercheurs, histoire d'y voir plus clair et de faire le point. C'est la mission qui a été confié à I-TREND (pour Internet Tools For Research in Europe on New Drugs), un groupe de 18 chercheurs répartis dans cinq pays européens chargés d'étudier le phénomène des legal highs et des Nouvelles Substances Psychoactives – également appelés Nouveaux Produits de Synthèse (NPS) – qui cherchent à imiter les effets des produits connus. Au plan européen, c'est l'Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies qui est à l'origine de la recherche et la pilote en France via son dispositif TREND (Tendances récentes et nouvelles drogues) . Débuté en avril 2014 pour une durée d'un an, et prolongé de trois mois, le projet s'attache à regarder en priorité « les substances illicites ou détournées, à faible prévalence d'usage. »

Récemment, j'ai rencontré Magali Martinez, chargée d'étude à l'OFDT, pour parler de ces molécules et leur dynamique, des marchés et des gens qui les vendent, les consomment et les fabriquent.

VICE : Combien de variantes d'une drogue va-t-on trouver sur le marché ?
Magali Martinez : Je ne peux évaluer combien circulent réellement sur le marché mais, par exemple, une étude a recensé qu'il existait plus de 600 cannabinoïdes de synthèse connus. Il faut ensuite faire la distinction entre le nombre de molécules qu'il est possible de créer techniquement et le nombre de molécules qui vont avoir, entre effets indésirables et désirables, une balance suffisamment équilibrée pour attirer les consommateurs. Ce que l'on constate à travers toute l'Europe, c'est que la majorité des consommateurs semblent continuer de préférer les produits classiques et se « rabattent » sur les NPS pour des questions d'accessibilité.

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Quelles familles de NPS sont les plus dynamiques ?
Parmi les nouveaux produits identifiés, les familles les plus souvent vues en Europe sont les cannabinoïdes de synthèse et les cathinones. Ces dernières ont la même origine que la substance présente dans le Khat, une plante originaire de la corne africaine. Au-delà des cathinones, tous les stimulants empathogènes sont très dynamiques. La France se distingue par un intérêt particulier pour les phénéthylamines, une très large famille qui comporte des hallucinogènes parfois également stimulants et/ou empathogènes. La nouveauté, c'est que nous sommes amenés à affiner la classification chimique en distinguant certains groupes de substances qui représentent une tendance de consommation. Par exemple, la famille de la methoxétamine, qui est un dissociatif aux effets proches de la kétamine, est devenue une famille à part entière.

L'équation chimique de la 2C-B. Image via Wikicommons

D'où sortent toutes ces molécules ?
Comme leur nom l'indique, elles sont synthétisées, ce sont donc des molécules créées de toutes pièces. Avant, quand on parlait de produits de synthèse, on entendait par là, le speed ou l'ecstasy, qu'aujourd'hui on redécouvre sous son véritable nom, la MDMA. Désormais, on redécouvre certains « fruits » de la recherche pharmaceutique du XXème siècle. À cette période, les laboratoires pharmaceutiques ont produit de nombreuses molécules qu'ils n'ont finalement pas exploitées. D'autres substances, telles que les phénéthylamines et les tryptamines ont été développées par des personnes comme Alexander Shulgin, considéré comme le père du psychonautisme. Dans les années 1960-1970, des personnes comme lui ont exploré l'usage de psychédéliques dans un cadre thérapeutique. Plus tard, des individus sont revenus sur ces molécules et en ont fait un véritable business.

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Comment peut-on les créer ?
Au sein d'une famille, ces molécules partagent une structure moléculaire centrale commune, qu'il suffit de modifier à la marge pour obtenir une autre molécule. Celle-ci peut avoir des effets semblables avec des différences marginales ou des effets beaucoup plus différents et parfois une toxicité particulière. Des molécules très différentes peuvent aussi avoir des effets proches.

Image via Wikicommons

Quels sont les gens qui ont conduit ces recherches ?
On ne le sait pas précisément. Disons que ces NPS proviennent de trois ou quatre sources différentes : 1) de l'industrie pharmaceutique 2) de chimistes, comme Shulgin, qui les ont expérimentés sur eux-mêmes 3) plus récemment, d'autres chimistes isolés s'inspirant des travaux déjà menés mais n'ayant pas en-tête de les utiliser dans des cadres thérapeutiques 4) et enfin, elles ont pu être créées récemment uniquement pour les besoins du marché. Mais il est difficile de donner un poids à ces différentes sources.

Des liens entre l'industrie pharmaceutique et le marché noir, le monde organisé des dealers, ont pu exister au XX ème siècle. Par exemple quand l'industrie pharmaceutique a dû trouver des variantes pour certains médicaments. Alors des vols de formules ont pu se produire, des données sortant des laboratoires étant ensuite reproduites. On a alors parlé de designer drugs.

Puis cette situation a « croisé » Internet ; mais déjà bien avant celui que nous connaissons, le psychonautisme avait rencontré Arpanet, son ancêtre. C'était un réseau très axé sur le partage de savoirs et peu de personnes y avaient accès.

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Au cours des années 1990, la situation évolue, ainsi que l'évoque un journaliste anglais Mike Power dans l'ouvrage intitulé, Drugs 2.0, The Web Revolution Thats's Changing How The World Gets High . Dans des groupes de discussions spécialisées sur les drogues, qui restaient très confidentiels, avant que n'existent les forums comme on les connaît aujourd'hui, se tenaient des échanges sur la manière de produire de la MDMA par exemple. Certains de ces « pré-forumers » évoquent alors un malaise, tiraillés entre leur volonté de partager un savoir et la crainte de l'usage qui pourrait en être fait. C'est à partir des années 2000 que la dynamique change, que cet état d'esprit s'étiole et que l'on assiste davantage à des échanges de « recette » comme la procédure de synthèse de la méphédrone, la fameuse Meow-meow qui a sans doute circulé sur les réseaux.

En résumé, les NPS sont les héritiers de ces deux phénomènes : le psychonautisme et Internet.

Donc la plupart des molécules en circulation maintenant ont été synthétisées à cette période ?
Pour une grosse part, oui. Il y a ces deux livres écrits par Shulgin, TiHKAL et PiHKAL, qui ont pu servir de base à d'éventuels chimistes. Aujourd'hui, on est arrivé à une ère de production industrielle et de commercialisation. Cela a débuté doucement au début des années 2000 et en 2004-2005, on a commencé à vraiment basculer dans des démarches commerciales.

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On sait où sont fabriquées ces substances ?
Oui et non. Les substances ou leurs précurseurs sont issus de laboratoires dont les sites de production sont en Asie. Les substances sont ensuite transformées ou conditionnées en Europe mais on connaît mal ces acteurs et leurs motivations. Ce sont des circuits de criminalité encore mystérieux. Il s'agit sans doute d'entrepreneurs opportunistes, ce n'est pas comme s'il y avait des cartels, on est dans un autre schéma que l'on connaît partiellement, principalement grâce aux douanes et à leurs saisies. En tout cas, il y a des équipes qui conditionnent et d'autres, ailleurs, qui animent le site Internet et vendent depuis un serveur basé encore dans un autre lieu.

Comment sont gérés les produits qui ne figurent ni dans la liste des médicaments ni sur celle des produits stupéfiants ?
Jusqu'ici, les États ont tous développé des dispositifs juridiques spécifiques pour réagir. Les Anglais, eux ont quasiment interdit toutes les substances mentionnées dans les ouvrages de Shulgin à la fin des années 1990.

En France, on a eu recours au classement générique concernant les cathinones ce qui a permis d'interdire d'un coup de nombreuses substances. Et la possibilité de procéder de même pour d'autres familles de produits comme les cannabinnoïdes de synthèse est d'actualité. Mais surtout, comme dans la plupart des pays européens, un des principaux moyens utilisés a été de qualifier de médicament par fonction ces produits afin de pouvoir les retirer de la circulation. Ainsi, les douaniers qui voient arriver de la poudre blanche et se doutent bien que ce n'est pas, contrairement à ce qui est indiqué un engrais pour des plantes, l'envoient pour analyse, au laboratoire des douanes qui transmet le résultat au pharmacien des douanes. Si un produit est considéré comme un médicament par fonction, alors il doit répondre à la législation sur les médicaments. Et si ce n'est pas le cas, les douaniers peuvent le retirer du flux.

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Photo via l'utilisateur Flickr Alpha

Je vois. Est-ce qu'on remarque une évolution du marché sur Internet et des stratégies marketing ?
De plus en plus, les vendeurs aménagent des espaces de ventes moins visibles entre le web de surface et le deep web. Ils mettent en place des stratégies pour sélectionner leurs clients et rester dans une diffusion discrète. Ces clients « de confiance » bénéficient d'arrières boutiques où l'on trouve des substances interdites qui ne sont pas affichées sur le site. L'échelon inférieur, c'est le deep web. Et là on trouve de tout, comme sur le marché illicite. Ceux qui animent la démarche commerciale s'adaptent clairement aux préférences nationales des consommateurs et aux législations.

Et finalement quelles sont les différences entre les « originaux » et les copies qui cherchent à les imiter ?
D'un point de vue pharmacologique, toutes ces molécules, copies ou non, jouent sur le circuit de la récompense et donc sur des mécanismes qui génèrent, plus ou moins rapidement selon les produits, une dépendance. Par contre, concernant leur toxicité, les NPS étant des produits récents, on a très peu de recul par rapport aux produits classiques.

La première différence majeure avec les originaux, c'est leur puissance. La perception du produit, le savoir-faire relatif à sa préparation et sa consommation est totalement bouleversé. Avec ces substances, il faut utiliser des doses qu'on doit peser à la balance de manière très précise ce qui requiert une forme de technicité que l'on n'avait pas avant. Le risque de surdose est très important, d'autant plus important que ces substances sont très nombreuses, avec toutes des effets et des dosages différents.

Comment un consommateur peut-il évaluer ce qu'il a en main ?
Un des principes de base de la réduction des risques « On ne sait pas ce qu'on achète » s'applique particulièrement aux NPS. Sur Internet, ils sont vendus de deux manières, soit, sous leur nom chimique dans des pochons, soit sous des formes commerciales, avec des noms et des emballages soignés et attirants. Cette forme là, peut laisser supposer que les vendeurs ont déjà fait un dosage correct pour une prise. De plus, même si les sites web se donnent une apparence professionnelle, on ne peut avoir aucune certitude sur le fait que le produit reçu corresponde à ce qui a été annoncé, ni même au contenant ou encore s'il s'agit de produits naturels ou synthétiques. Les risques de surdoses sont alors majeurs.

Un NPS peut également être revendu directement par un dealer l'ayant acheté sur Internet, le plus souvent sous le nom d'un produit connu. L'usager qui le consomme comme le produit attendu s'expose à des problèmes. Par exemple, il y a eu récemment des alertes à la PMMA présente dans des comprimés vendus comme ecstasys. Le problème, c'est que cette molécule est non seulement très puissante, mais surtout, met beaucoup plus de temps que la MDMA à faire effet : le consommateur prend le produit, attend une demi-heure, une heure, et il ne se passe rien. Il reprend donc un comprimé et là, il y a surdose.

Avec les effets indésirables qui vont avec.
Au niveau des conséquences, les effets secondaires sont multiples et variables : sudation, palpitations et potentiels troubles psychiques. Il y a notamment un syndrome appelé syndrome sérotoninergique. Ce syndrome était connu par les professionnels comme résultant d'une interaction entre plusieurs médicaments qui ont un effet sur la sérotonine. Aujourd'hui, ce sont les consommateurs de produits, notamment les forumers ou les associations auto-support et plus généralement toutes les personnes concernées par une consommation de MDMA, qui relaient l'existence de ce risque parce que les polyconsommations sont dominées par des produits plus axés qu'auparavant sur la sérotonine.

Merci beaucoup Magali.