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Grandir en France

Je viens de la campagne française, et elle n’a rien d’un film de Dany Boon

Les jeunes ruraux ne sont pas si « sympas » que les gens veulent vous le faire croire.
Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de l'auteur

De ma naissance à ma majorité, j'ai grandi dans un village de 2 500 habitants dans le Maine-et-Loire à 80 kilomètres d'Angers et une centaine de kilomètres de Nantes. Pas de transports en commun, ni de cinéma. En revanche, des lotissements et des champs à perte de vue. La vie était-elle plus douce chez moi ? Certainement plus que pour celle d'un gamin grandissant aujourd'hui en ZUS. Mais ça n'a jamais – et ça ne ressemblera jamais – à cette carte postale idyllique que le cinéma français d'aujourd'hui tient à nous vendre.

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Prenez par exemple le blockbuster Bienvenue chez les Ch'tis, la série P'tit Quinquin de Bruno Dumont ou le plus ancien Une Hirondelle a fait le printemps. Tous ont ceci d'agaçant qu'ils dépeignent une grande partie de leurs personnages comme de sympathiques autochtones, rustres d'apparence mais rempli d'une gentillesse et d'un sentiment de satisfaction confinant à la débilité. Comme si le fait de vivre éloigné de l'agitation des grandes métropoles faisait de vous un être voué à la bonhomie. Cette assertion est fausse, et mensongère. Mais pire, elle est révélatrice d'une forme de caricature que les personnes vivant en milieu rural se font également d'elles-mêmes.

À trop s'imaginer les citadins – et particulièrement les Parisiens – comme des personnes arrogantes, nerveuses et snobs, les ruraux s'inventent en permanence un personnage semblable à celui décrit dans le paragraphe précédent. Ils se complaisent dans cette posture du mec gentil et un peu stupide. Mais, au même titre que les habitants des villes, la plupart des ruraux peuvent être des connards narcissiques et brutaux.

Lorsqu'on est adolescent en milieu rural, ce qui vous attrape le plus, c'est l'ennui. À moins d'aimer la pêche ou les balades à vélo sur de longues routes au milieu de rien, tout ce qu'il vous reste les mercredis, samedis et dimanches après-midi, ce sont d'interminables parties de PlayStation avec vos potes. Ou à peu près. Sans moyen de locomotion motorisé, votre horizon se limite aux 10 km2 entourant votre maison.

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Je me rappelle très bien avoir établi mon campement chez l'un de mes potes d'alors, au grand dam de ses parents, simplement parce qu'il avait GTA III et la console appropriée pour y jouer. Lorsque j'ai reçu le même cadeau au Noël suivant, notre amitié était consommée.

Vite, j'en suis donc venu à fantasmer la ville comme un eldorado de tous les possibles. Je me disais qu'en ville, il y avait toujours quelque chose de neuf et d'accessible à faire. En réponse à ce fantasme de gamin, les adultes de mon patelin m'avaient prévenu : « la ville est menaçante », « les gens qui la peuplent sont désagréables » ou encore « l'air est à peine respirable ! » Selon eux, j'avais de la chance : j'habitais dans une maison donnant sur un jardin. C'était mieux. Même les odeurs de fumier étaient « préférables à vivre aux côtés des gens prétentieux et violents de la ville ». Ce qui se tient soit, mais qui n'est pas du tout vérifiable.

Selon une étude récente par exemple, le nombre de suicides pour 100 000 décès s'élèverait à 28,9 en Bretagne – région encore fortement rurale – contre 9,3 en Île-de-France, paradigme de la « zone urbaine ». S'il existe bien sûr un facteur économique pour expliquer ces chiffres, il est cependant difficile d'exclure totalement le rôle que peut jouer l'environnement géographique. Les régions les moins peuplées sont en effet peu ou prou celle où le taux de suicide par habitant est le plus élevé.

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Il en va de même pour d'autres spécificités rurales sinistres. Les assassins Émile Louis, Marc Dutroux ou Michel Fourniret n'ont par exemple pas commis leurs actes en petite couronne. La campagne a son lot d'horreurs qui ne peuvent être commises ailleurs. Les rues sont désertes dès la nuit tombée et, entre les forêts et les hameaux isolés, il y a peu de chances que quelqu'un vous entende hurler. Enfin, niveau amour de son prochain, en écoutant parler les gens autour de moi j'ai réalisé très tôt qu'il ne valait mieux pas être Arabe ou homosexuel et vivre dans mon village. Les mots « bougnoules », « pédés » et « tapettes » faisaient partie du langage commun une fois les gens accoudés à la buvette du stade de l'équipe de football locale.

Outre la prétendue solidarité entre les habitants et les élans de haine commune, ce qui définit aussi les rapports en zone reculée, c'est l'éloignement. La première fois qu'on en fait l'expérience, c'est à l'école. OK, il y avait une école primaire dans ma commune, mais pour le collège, j'ai dû aller dans un autre patelin, situé dix kilomètres plus loin. Entre les deux, un trajet en bus scolaire. Le bus passait prendre tous ceux qui allaient au collège vers 8 h 30 le matin et nous redéposait le soir à 18 heures Pendant ces trajets de quinze minutes, une soixantaine d'êtres vivants unis par l'âge – le plus ingrat de leur existence – se retrouvaient ensemble, dans un espace confiné, avec pour seule autorité celle du chauffeur de bus qui, clairement, avait autre chose à foutre que de passer son temps à gueuler.

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Et qu'est ce qui se passait là-dedans à votre avis ? Une exacte reproduction de Sa majesté des mouches en huis clos. Les plus forts imposaient leurs lois tandis que les plus faibles feignaient de ne pas exister pour espérer traverser quinze minutes de paix en attendant les quinze prochaines. Des classiques joutes verbales où les attaques ciblent en premier lieu les physiques disgracieux, la situation pouvait s'envenimer jusqu'à ce que les bombes de déodorant, plongées dans nos sacs de sport, servent d'ultime moyen de défense. Les yeux larmoyants, la gorge sèche et les vêtements imprégnés d'Axe Phoenix, nous étions les acteurs de conflits aussi véhéments que pathétiques.

Je parle de ces moments au passé, mais je sais que le bus continue aujourd'hui de ramasser les mêmes mini-ordures – dont je n'exclue pas avoir fait partie.

Un peu plus tard, l'adolescence nous a offert ce salut motorisé qu'est la possession d'un scooter, d'une mobylette ou d'une « 50 ». Plus besoin de demander aux parents de vous emmener chez vos potes qui ont le malheur d'habiter trop loin. Assez peu passionné de mécanique, je roulais en Peugeot TKR, un classique sans étincelle mais qui faisait le job. En parallèle, le tuning de deux roues s'était pourtant répandu dès la classe de quatrième. Un mec de mon village parvenait à faire monnayer ses services pour débrider les moteurs ou y ajouter de nouveaux composants. Grâce à lui, de nombreuses mobylettes d'occasions parvenaient à atteindre les 90 ou 110 km/h, devenant de véritables armes entre les mains d'adolescents irréfléchis.

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Qu'importe, puisqu'avec l'aide de ces bécanes, un nouveau pan de l'existence s'ouvrait à nous : le monde de la nuit.

En l'occurrence, ce que l'on appelait les « discos » étaient le point culminant de la semaine. Le terme disco ici n'ayant ici rien à voir avec le genre musical ; il s'agissait de soirées organisées par des associations ou comités des fêtes locaux dans des salles municipales permettant à tous les jeunes du canton de se rejoindre dans un même espace, de 22 heures à 2 heures du matin. L'alcool y était abondant. Le DJ – un mec d'une vingtaine d'années ayant claqué une bonne partie de sa paye annuelle pour s'acheter son matériel sono – pouvait quant à lui enchaîner chanson française de type Michel Sardou avec les Béruriers Noirs, puis de la makina espagnole – cette variété de techno hard-core espagnole horrible – sans ménager ses transitions.

Généralement, à peu près tout le monde terminait ivre mort, dans une orgie de sueur, de vomi, et de frustration. Les plus chanceux avaient chopé pendant le quart d'heure slow. Les moins chanceux, eux, finissaient leur soirée plantés dans un fossé entre la D246 et la D756, attendant qu'un parent vienne les sortir de leur enlisement.

Ces histoires n'ont pas vocation à présenter la vie rurale comme un ballet de culs-terreux ni même à témoigner de quelques expériences anxiogènes. Ce que je veux dire, c'est que les hommes y obéissent aux mêmes règles qu'ailleurs ; en ville notamment, quoique les codes culturels puissent différer. Loin des clichés propres au cinéma et à la télévision française, vivre dans une région reculée n'affecte d'aucune manière vos capacités de raisonnement ou votre aptitude au bonheur.

Simplement, j'ai tiré de mes expériences à la campagne et en ville un constat. À la suite de deux années passées à Paris dans le cadre de mes études, je peux vous assurer que les habitants de mon village d'origine ne sont pas fondamentalement plus gentils ou accueillants que ceux de la capitale. On y compte en proportion le même nombre de petites frappes, d'escrocs minables et de personnes dans la merde. Mais évidemment, ce type de personnage semble toujours difficile à intégrer dans le paradigme de la fiction et de l'imaginaire français.