Les humains sont devenus des experts du mensonge

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Les humains sont devenus des experts du mensonge

J'aimerais pouvoir affirmer que je dis toujours la vérité, mais ce ne serait pas vrai.

J'aimerais pouvoir affirmer que je dis toujours la vérité, mais ce serait un mensonge.

En fait, l'un de mes premiers jobs était de mentir. Il y a environ six ans, alors que je travaillais pour le magazine culinaire d'un journal national, je devais appeler des restaurants et faire semblant d'être l'agent d'une célébrité qui avait des demandes farfelues. Je me souviens de la première fois où je l'ai fait. Je me suis trouvée un pouf dans un coin tranquille du bureau et, en tenant mon Nokia 1100 d'une main, j'ai dit au manager du Wagamama, à Londres, que j'avais quelques Daleks en ville pour le weekend et que je voulais vérifier que le restaurant avait suffisamment d'accès handicapés.

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Je me suis assise et j'ai attendu, en changeant nerveusement de position. Est-ce que ce gentil monsieur allait vraiment me croire ? De plus, est-ce qu'il goberait que l'un des convives était végétarien ? Hé bien, en étant méthodique, il s'avère que j'ai réussi à me rendre crédible. Le manager est immédiatement sorti de l'établissement, a vérifié l'ascenseur et a repris le téléphone pour me confirmer que ça pouvait déplacer une tonne d'acier et que « ça devrait donc aller ». Il a ensuite énuméré les plats du menu qui comprenaient du tofu.

Il n'y a pas de mot pour décrire le sentiment qu'on ressent quand on réalise qu'on est un alchimiste de la connerie. En conséquence, j'ai passé les six mois suivants à terroriser les restaurants pour payer mon loyer.

Bien que mes demandes devenaient de plus en plus étranges au fil du temps, j'ai toujours réussi à vendre mes conneries. Tandis que je réclamais au restaurant Bodean, à Soho, une table assez grande pour accueillir les cheveux de Grace Coddington, j'expliquais au manager de Gaucho qu'un activiste vegan nommé Georges Clooney aimerait réserver pour deux personnes mais ne pourrait pas être assis à moins de 100 mètres de viande rouge. J'étais une excellente baratineuse.

Au bout de six mois, on m'a supprimé ma rubrique. Ça m'a soulagée. Mentir est un travail difficile. J'étais non seulement dégoutée par le dévouement de mes interlocuteurs, mais aussi par ma propre créativité. Après tout, être une bonne menteuse n'est en rien une qualité.

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Alors, pourquoi mentons-nous au point que ça devienne une habitude ? Pourquoi racontons-nous des mensonges même à ce que nous aimons ? Pour de l'argent ?

Mis à part pour des raisons professionnelles (trouver un travail, décrocher un contrat, vendre un produit, etc), nous le faisons en partie parce que nous voulons rétrécir l'écart entre le fantasme de notre être et la réalité, mais aussi car nous voulons généralement braver les interdits.

Pamela Mayer, auteur du livre Liespotting, l'a très bien expliqué : « Nous sommes contre le fait de mentir, mais nous sommes secrètement pour dans le sens où notre société punit le mensonge depuis des siècles et des siècles. C'est aussi vieux que de respirer. Ça fait partie de notre culture et de notre histoire. »

Pour autant, beaucoup n'ont pas envie de l'admettre. Un sondage récent a montré que 91 % d'entre nous embellissaient régulièrement les choses en mentant, mais je parie que vous ne vous considérez pas vous-même comme un menteur.

Néanmoins, nous sommes fascinés par les menteurs et certaines personnes sont devenues célèbres grâce à leurs mensonges – et nous l'acceptons.

Nous savons que des mensonges sont prononcés chaque jour et nous nous en foutons. Nous sommes devenus indifférents quand des chargés de communication embellissent la réalité pour nous vendre quelque chose et que des politiciens nous gavent de conneries pour accéder au pouvoir. Sans les mensonges, la société telle qu'on la connait n'aurait pas de sens.

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Ralph Keyes, auteur de The Post-Truth Era : Dishonesty and Deception in Contemporary Life, pense que le mensonge a atteint des niveaux pandémiques et indique que nous vivons dans une « société post-vérité » – un monde dans lequel la « malhonnêteté occasionnelle » fait désormais partie de notre quotidien. Il pense que le problème est intrinsèque au monde moderne : « On peut expliquer le phénomène par un mépris post-moderne pour la vérité et un manque de jugement. Et plus le nombre d'étrangers et de connaissances dans nos vies augmente, plus les opportunités pour "travestir la vérité" sont importantes », explique-t-il.

Bien évidemment, aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, mentir est devenu très différent. Il est désormais plus difficile de le faire et les risques de se faire pincer sont plus importants. Le sujet a récemment été abordé dans le podcast très médiatisé Serial. L'un des épisodes suivait une affaire de meurtre d'il y a plus de 15 ans dans laquelle une étudiante de 17 ans, Hae Min Lee, s'est fait étrangler à mort. L'ex-petit ami de Lee, Adnan Syed, 17 ans à l'époque, qui avait rompu avec elle un mois avant sa mort, a été accusé du meurtre et condamné à la prison à vie. La journaliste Sarah Koenig pense qu'il a été accusé à tort et a entrepris de prouver son innocence mais, étant donné que les événements ont eu lieu en 1999 – c'est à dire avant Facebook –, cela s'est avéré doublement difficile.

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Pourriez-vous vous rappeler de ce que vous avez fait un vendredi soir il y a un mois sans l'aide des réseaux sociaux ou de la technologie moderne ? Et il y a quinze ans ? Et que feriez-vous si on vous forçait à vous en souvenir ?

Vous tenteriez de deviner ? Vous mentiriez ? La dernière option est probablement ce qu'il s'est passé dans l'affaire Lee. Néanmoins, selon la psychologue Bella DePaulo, il est probable qu'on ne le sache jamais. Pourquoi ? Parce que les humains ne sont pas très doués pour détecter les mensonges. « Les gens ont raison environ 54 % du temps quand il s'agit de savoir si quelqu'un ment ou dit la vérité », a-t-elle expliqué au New York magazine.

Parfois, bien sûr, le fait de mentir est OK. Ce n'est pas forcément bien, mais c'est parfois nécessaire. Ces mensonges fonctionnent parfaitement quand ils sont utilisés avec une intention honnête – c'est à dire pour le bien commun. Par exemple, j'ai menti à ma mère concernant l'horaire d'arrivée de mon train parce qu'elle est toujours en retard. Traitez-moi de connasse si vous voulez, mais ça m'énerve vraiment. Ainsi, cet acte anodin a empêché une dispute.

Selon Pamela Mayer, vous allez mentir à votre épouse lors d'une conversation sur dix. Si vous n'êtes pas marié, le risque serait encore plus élevé. De plus, les hommes mentiraient plus que les femmes. Quand ces dernières le font, ce serait surtout pour protéger les autres. Des recherches ont suggéré que nous sommes vraisemblablement plus enclins à mentir ou à tromper les autres pendant l'après-midi ou en soirée, quand notre cerveau est fatigué.

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Un parent et un petit ami m'ont déjà menti de manière terrible mais, en tant qu'auteure qui écrit parfois sur sa vie, je suis assez chanceuse pour être capable de compenser les dégâts causés en écrivant sur ce sujet et en analysant les actes des autres en échange d'argent.

Tout le monde n'a pas cette chance. La psychothérapie nous a appris que les menteurs ont une vie relativement plus simple. Les moins sociopathes d'entre nous peuvent parfois ressentir une haine d'eux-mêmes après avoir menti, mais après, ils ont le pouvoir d'être en mesure de retourner les choses en leur faveur et de reconstruire leur récit. Pour les victimes du mensonge, c'est une toute autre histoire.

Les mensonges nous déstabilisent et nous font remettre en question chaque vérité sur laquelle nous avons construit notre vie. La victime d'un mensonge vit une expérience bien pire que celle du menteur. De plus, un ami thérapeute m'a expliqué que la victime avait tendance « à se tenir responsable de ce qui s'est passé ». Si on vous a déjà menti, vous savez le mal que peut causer le fait d'être dupé.

Ainsi, quelle est la solution ? Affronter le menteur et risquer de comprendre que c'est un sociopathe ? Ou avaler ses mensonges ? J'aimerais pouvoir dire que la première solution est certainement la meilleure mais ce serait un mensonge.

​@morwennastar