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Culture

Le nouveau Bruce LaBruce n’est pas un film porno

Il s’agit d’une histoire d’amour entre un jeune homme et un vieux de 80 ans.

Au milieu des années 1990, tandis que le cinéma indépendant américain se complaisait dans la citation à destination des fayots cinéphiles, le film Hustler White de Bruce LaBruce a rappelé à ces gens que le-cinéma-où-il-ne-se-passe-pas-grand-chose était encore intéressant. Depuis, le réalisateur de Toronto – qui vient d'avoir 50 ans et écrit toujours régulièrement pour nous – est devenu l'un des chantres internationaux du cinéma queer hardcore. De fait, et alors que ses comparses se sont peu à peu institutionnalisés en livrant à intervalles réguliers des films emo ultrachiants à l'industrie du cinéma, LaBruce s'en est tenu à ce qu'il savait faire : du cinéma cru, graphique et violent – jusqu'à obtenir un semblant de reconnaissance professionnelle en 2010 pour L.A. Zombie.

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En 2014, le cinéma porno est devenu acceptable et en conséquence, Bruce LaBruce a une fois de plus pris la tangente. C'est pourquoi Gerontophilia, son dernier film, en salles en France depuis la semaine dernière, est une bluette gérontophile bien sous tous rapports. Comme je me suis dit qu'il devait bien avoir quelque chose derrière la tête, j'ai profité de sa venue à Paris pour lui demander si les vieux et les gens normaux n'étaient pas les nouveaux révolutionnaires. Mais le premier truc que j'ai remarqué, c'est qu'il avait un embarrassant badge Punks Not Dead sur le revers de sa veste.

Extrait de Gerontophilia. Photo publiée avec l'aimable autorisation de Le K

Bruce LaBruce : J'ai trouvé ce badge par terre dans un club gay new-yorkais la semaine dernière. T'y crois ou pas ? Y a encore des mecs pour porter ça aujourd'hui ? J'y ai vu un signe, du coup je l'ai gardé.

VICE : Vous y croyez encore, vous ? Vous n'avez jamais eu autant d'argent pour faire un film que sur Gerontophilia.
En fait je me suis surtout servi de ce blé pour choper une bonne caméra, du matos et une grosse équipe. Je suis passé à une autre échelle. J'ai eu un mois pour préparer le film, un luxe que je ne m'étais jamais autorisé.

Cette production, c'est un truc que vous fantasmiez depuis longtemps ?
Déjà à l'époque de Hustler White, en 1996, j'avais des projets plus ambitieux. Ils n'ont jamais abouti alors j'ai continué à faire du porno – c'était une façon de ne pas cesser de tourner. D'autant plus qu'un pote était entre-temps devenu producteur de porno, donc je me suis mis à bosser pour lui.

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Pour en revenir à votre nouveau film, la gérontophilie – soit, lorsqu'une jeune personne est attirée sexuellement par un vieux ou une vieille – est une chose qui vous travaillait depuis longtemps ?
Je l'avais déjà évoquée dans certains de mes films précédents, dont Hustler White où des vieux payaient pour choper des mecs plus jeunes. Mais c'est surtout en rencontrant des gens ces dernières années que je me suis rendu compte que cette pratique était installée. J'ai rencontré des mecs qui m'ont raconté qu'ils s'étaient faits dépuceler par des vieux de 50, 60 ans. J'avais un pote à New York, un Noir magnifique, qui me racontait qu'il ne couchait qu'avec des vieux bear juifs de 50 ans. Ce genre de monomanie sexuelle m'a toujours intéressé.

Vous pensez qu'il s'agit d'un sujet aussi sensible que la pédophilie ?
Ça en fait réagir certains, en tout cas. Il existe des groupuscules conservateurs en France qui pensent que la gérontophilie est assimilable à de la pédophilie ou de la zoophilie. L'année dernière, j'ai vu des mecs qui disaient que si l'on acceptait le mariage gay, on était prêts à accepter le mariage avec sa mère, son chien ou Dieu sait quoi. Dans Gerontophilia, je voulais toucher un autre extrême : un gamin de 18 balais se tape un mec qui en a 81. Seule Anna Nicole Smith a réussi à faire mieux !

Le film est plus soft que vos précédents. Est-ce à cause de l'avènement de la pornographie au sein du cinéma institutionnel ?
Disons que j'ai une nature contrariante. Si tout le monde se met à faire du porno, j'aurais tendance à faire l'inverse. Je n'ai plus rien à prouver à ce niveau. J'avais cette envie de choquer les gens en faisant un truc pas choquant du tout. L'idée que le cinéma arty devrait forcément tourner autour de personnages torturés, motivés par des pulsions nihilistes, ça m'ennuie. Le défi, c'était de faire un film léger et optimiste. Ça m'intéressait de faire ça après mes films précédents. C'est une révolution par la douceur.

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Comment ça ?
Le truc qui me fascine en ce moment, c'est ce que j'appelle les « révolutionnaires réac », qui revendiquent leur vie chiante à en crever. Le milieu gay en est rempli. C'est aussi ce que voulaient les étudiants français qui manifestaient il y a quelques années. Ils demandaient l'assurance d'une carrière toute tracée ! Ça allait complètement à l'opposé des idéaux de 1968.

C'est ce qui s'est passé l'année dernière avec le mariage gay, où les gens qui manifestaient étaient des mecs de droite.
Complètement. Aujourd'hui, les conservateurs militent plus que la gauche. Aux États-Unis, on commence à voir des mecs se révolter contre la science. Ils remettent en question des concepts millénaires et le revendiquent à mort.

Selon vous, que peut revendiquer la gauche aujourd'hui ?
Je n'en sais rien… Aujourd'hui, le socialisme est aussi décevant que le capitalisme. Regardez le Venezuela – le régime est complètement corrompu. Mais c'est le destin de toutes les révolutions. Elles finissent toujours par imiter ce contre quoi elles ont démarré. D'autant plus que le monde entier s'est incroyablement droitisé… Ça n'aide pas, quand on cherche une gauche dure.

Les gays et les femmes se battent aujourd'hui plus pour ressembler à leurs oppresseurs que pour faire accepter leurs valeurs ! C'est chiant.

Beaucoup vous considèrent comme le cinéaste queer de référence. Gerontophilia demeure un film queer, bien qu'il aborde un thème assez inédit.
À un moment, j'ai commencé à me sentir enfermé dans ce que je faisais. À chaque fois, on s'attendait à ce que j'aille plus loin que dans mon film précédent. Mais mes films underground ne pourront jamais être reconnus comme des œuvres pop – et puis prêcher des convaincus, ça commençait à devenir lassant. Mais je trouve Gerontophilia provocant, quoiqu'il ne provoque pas de la même manière.

Ça fait quelques années que le cinéma queer tel qu'on l'entendait dans les années 1990 n'est plus pertinent.
Oui, et il y a d'autres manières de renverser le statu quo. Dans Gerontophilia, les personnages ont une ambivalence sexuelle qui les rend transgressifs. Et ce faisant, ils sont plutôt cool, en plus. C'est une manière plus douce de faire passer des idées qui jusque-là étaient souvent exprimées de manière violente.

Le personnage de ce vieux dandy, c'est une projection de vous-même dans 30 ans ?
En tournant, j'ai réalisé que j'étais à l'âge intermédiaire de celui des deux amants du film. C'était un point de vue intéressant parce que ça m'a permis de me projeter à la fois dans un sens et dans l'autre. D'un côté ce jeune mec qui pense qu'il ne mourra jamais et de l'autre, ce vieux mec qui n'a plus d'avenir.

No future, en effet. Les vieux sont les derniers punks, hein.
Ça se pourrait bien. Tous ces vieux assistés sur-médicamentés, ils ont toujours une vie sexuelle. On la leur refuse, mais il existe une vie sexuelle dans les maisons de retraites et les sanatoriums. Si on les laissait vivre, si on leur accordait plus de crédit, il pourrait bien se dresser une sorte de grey power. Et puis, les gamins sont tellement antirévolutionnaires aujourd'hui. J'attends toujours le nouveau mouvement de la jeunesse qui changera les choses, mais ces adolescents sont tous corporate ! Du coup, c'est peut-être aux vieux de prendre les choses en main.

Gerontophilia est actuelement diffusé en salles. Allez-y.