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Music

Seul Rodrigo Amarante saura te guider dans le brouillard de la Société-Internet

Le songwriter brésilien a survécu à tout : le succès, les Coupes du Monde foireuses, et Devendra Banhart.

Tout ce qui vient du Brésil est cool, c'est comme ça. Les Brésiliens s'amusent mieux que nous, rigolent plus que nous, baisent plus souvent que nous, et se battent plus salement que nous. Enfin, c'est ce qu'on croit. Parce qu'il faut bien reconnaître que'on ne s'intéresse au final que très rarement à l'histoire et à la véritable identité de ce pays-continent en permanente mutation. Il en va évidemment de même pour sa musique, qu'on réduit encore trop souvent aux hymnes pétés des Favelas et à la pop exotique. Et si les radars s'affollent lorsque l'on évoque Rodrigo Amarante, c'est avant tout parce qu'il a collaboré avec Devendra Banhart ou Fabrizio Moretti, le batteur des Strokes. Il a même fini par emménager à L.A. où est né Cavalo, premier album solo minimal et bouleversant, chanté dans trois langues (portugais, anglais et… français), qu'il présentera à Paris ce vendredi. J'en ai profité pour faire un tour complet du propriétaire en lui posant quelques questions sur la philosophie tropicaliste et le journalist-bashing.

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Noisey : En tapant ton nom sur Youtube, je suis tombé sur une vidéo où tu ridiculisais un journaliste dont tu avais trouvé la question stupide. Du coup, je flippais un peu à l'idée de te rencontrer.
Mon agent de l'époque m'a un peu donné l'image d'un mec difficile, alors que c'est tout le contraire. Je suis très flatté que tu viennes m'interviewer. Beaucoup d'artistes considèrent que les journalistes sont à leur botte et se contentent d'un discours ni intéressant, ni élégant, ni pertinent. Le mec dont tu parles savait déjà la réponse qu'il était venu chercher. Je lui ai dit que ce qui me dérangeait, c'était sa fainéantise.

Tu étudiais toi-même le journalisme en 1997 quand tu as rencontré les membres de Los Hermanos.
J'ai toujours rêvé d'être peintre, mais à cette époque j'avais abandonné l'espoir de survivre de cette manière et décidé de devenir réalisateur. J'ai été accepté dans une école de cinéma qui se trouvait malheureusement à 60 kilomètres de chez moi. Je vivais alors dans la lointaine banlieue de Rio. Du coup je me suis rabattu sur le journalisme.

Comment s'est opérée la transition entre l'apprenti journaliste et le musicien à succès ?
La formation m'a vite déçu. Le travail de journaliste semblait noble, mais je n'étais pas fait pour ça. Au second semestre, j'ai pris tous les cours qui sortaient du champ journalistique. J'ai même fondé un club Mathématiques & Philosophie. La musique faisait partie de ma vie depuis toujours puisque j'ai grandi dans une école de samba. Sur le campus, il y avait des locaux gérés par les étudiants, où on jouait pendant notre temps libre. C'est là que j'ai rencontré Marcelo Camelo, qui m'a invité à rejoindre son groupe. On a rapidement suscité un intérêt dans la scène underground. Nos démos s'échangeaient sur des cassettes faites main, on ne gravait pas de CD, ça paraît remonter à des siècles. En 1999, on a signé notre premier contrat pour un album qui a eu un succès gigantesque… à cause d'une chanson.

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« Anna Júlia », le plus gros hit de 99 au Brésil.

Une chanson que nous considérions comme une blague. Elle n'a rien à voir avec le reste du disque et encore moins avec la scène hardcore à laquelle on appartenait. On a composé cette bluette pop 60's pour Alex, un membre caché du groupe, qui était amoureux de cette fille. C'était marrant de penser à la présentation sur scène quand Anna Júlia serait dans le public : « voilà, c'est de la part d'Alex ». Mais c'est devenu un énorme tube et on a commencé à être invité partout.

Le contexte international en 97-99 était particulièrement moche pour lancer un groupe de rock. Pareil au Brésil ?
Il y avait beaucoup de groupes bruyants dans l'underground. Mais la radio vomissait le même mix de boucles électroniques et de mélodies folk, manière ennuyeuse de faire du neuf avec du vieux. On détestait les musiciens comme Djavan qui copiaient Caetano Veloso ou Gilberto Gil sans avoir leur talent. Au départ on était très violents sur scène, mais nos paroles étaient influencées par les artistes du samba des années 30-40. C'était le style de Marcelo, très romantique. Puis j'ai proposé d'écrire aussi et on a entamé un dialogue par chansons interposées, qui a beaucoup compté dans l'évolution du groupe. Il fallait se montrer à la hauteur de l'autre.

Sais-tu combien d'exemplaires du premier album vous avez écoulés ?
Je sais que c'était la plus grosse vente au Brésil, à l'époque. On a eu deux nominations aux Grammys. Tu imagines la folie pour une bande de gamins bizarres aux barbes sales ? Notre succès a fait sens, quelque part, mais il restait indésirable. Pour nous il signifiait accepter les choses telles qu'elles étaient, c'est-à-dire abominables. On a commencé à refuser des propositions que personne n'avait jamais refusées dans ce contexte, comme le grand show télé du dimanche. La question était : que gagne-t-on à se plier à leurs exigences ? L'exposition médiatique. Sauf qu'on était déjà le groupe le plus exposé. Alors pourquoi ne pas proposer une alternative ?

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Ce qui expliquerait le fossé entre Los Hermanos et Bloco do Eu Sozinho, votre deuxième album.
Le premier était une simple mise en boîte de nos morceaux live. Pour le suivant, j'ai proposé qu'on s'isole dans une maison au milieu de nulle part. J'avais accumulé plusieurs chansons, des arrangements de cuivres, je me suis mis à la basse et à la guitare. Quand on a présenté le résultat à notre maison de disques, ils ont pensé qu'on avait pété un plomb. « C'est de la merde, il faut tout réécrire et trouver un autre producteur ». On leur a dit d'aller se faire foutre. Dans le doute, ils ont préféré nous garder, mais n'ont rien fait pour promouvoir le disque. Il nous a fallu un an et demi de tournée pour voir le public évoluer, des fans monomaniaques d'Anna Júlia à ceux qui appréciaient la nouvelle direction. Et les critiques étaient favorables.

C'est grâce à cette attitude que vous avez été perçus comme un groupe « alternatif », alors que sur le plan musical, vous avez intégré de plus en plus d'éléments brésiliens classiques.
L'alternative tenaient aussi à notre style d'écriture. Il ne s'agissait plus juste de punk rock avec des paroles romantiques. On s'inspirait de la MPB, du vieux samba et des musiques de films comme celles de Mancini. Notre façon de mélanger des éléments inconciliables en théorie ressemblait au tropicalisme, sans en porter le bagage esthétique. La meilleure métaphore du tropicalisme, développé dans les années 20 par Oswald de Andrade, c'est la digestion. Ce qui doit rester finit par rester. Il n'y a pas d'échelle de l'art, tout est horizontal. Pas Mozart en haut et Nelson Cavaquinho en bas. Notre musique a été créée dans cet état d'esprit.

Du coup comment considères-tu le contexte musical actuel, où l'horizontalité est le discours et la pratique dominants ?
Quand les musiciens brésiliens des années 60 ont repris à leur compte les idées tropicalistes, c'était pertinent parce que les institutions et la censure étaient encore puissants. Aujourd'hui l'horizontalité vient de la possibilité d'accès à tout. On vit dans un monde de banalité, les mots ont été vidés de leur contenu. Si tout est meilleur, rien n'est meilleur. C'est terrible à dire mais j'en viens presque à regretter les prêtres ! Eux au moins moins lisaient des livres, parlaient plusieurs langues et remplissaient une mission. Je préfère discuter avec un prêtre qu'avec un publicitaire. Je ne dis pas que le monde est pire qu'avant, je considère la violence qu'il m'inflige. Rodrigo Amarante dans sa meilleure imitation de Tom Hanks Tu as pourtant enregistré Cavalo à Los Angeles, où tu vis depuis cinq ans.
Oui, mais je me suis enfermé dans le bureau d'une usine de pantalons. J'ai enregistré des percussions et divers trucs dans une immense salle de stockage que les ouvriers vidaient en fin de journée. Il y avait une vaste réverbération naturelle… enfin, industrielle. Mais pour répondre à ta question, vivre aux Etats-Unis est déjà une forme d'exil. Je me sens loin des gens qui connaissent ma musique et attendent quelque chose de moi.

Comment as-tu pris la décision de déménager ?
Quand le quatrième album de Los Hermanos (4, sorti en 2005) est paru, mon écriture et celle de Marcelo s'étaient radicalement éloignées. C'est à ce moment que Devendra Banhart m'a invité aux Etats-Unis pour participer à Smokey Rolls Down Thunder Canyon (2007). J'ai aussi commencé à jouer avec Binki Shapiro et Fabrizio Morretti, que j'avais rencontré à un festival au Portugal avant le début de The Strokes. On a enregistré un morceau, puis deux, puis trois, et décidé de sortir un disque (Little Joy, 2008). Mais on n'a jamais envisagé Little Joy comme un groupe. La preuve, on a pris pour nom celui du bar au coin de la rue.

On connaît moins ta collaboration avec Moreno Veloso, le fils de Caetano.
On participe ensemble à Orquestra Imperial, fondé il y a douze ans par le producteur Kassin, qui a réalisé certains disques de Los Hermanos, et Seu Jorge, que tout le monde connaît. Le disque qu'on a enregistré l'an dernier devrait sortir en Europe. Moreno est l'un de mes meilleurs amis. Il produit le prochain album de Gilberto Gil sur lequel j'ai aussi travaillé. Orquestra Imperial est le groupe le plus fun auquel j'ai participé, avec un formidable brassage générationnel, puisque le plus âgé des musiciens a 77 ans. C'est le légendaire Wilson das Neves, peut-être le plus grand batteur brésilien de tous les temps. Rodrigo Amarante sera en concert ce vendredi au Café de la Danse. Cavalo est disponible depuis le 28 janvier sur Rough Trade. Michaël Patin est un but, et un cheval. Nul ne sait qui il est vraiment, mais tout le monde a déjà croisé sa route au moins une fois. Évidemment, il n'est pas sur Twitter.