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Music

Acid Arab n'ont aucune envie de devenir « les Muezzins de la Techno »

On a discuté avec le duo parisien de leur succès insensé, de la qualité des mp3 égyptiens et des journalistes qui parlent d'eux sans écouter leurs disques.

Acid Arab

est le genre d'affaire qu'il est, a priori, facile de détester : encensé partout, présent sur toutes les scènes possibles, des salles des fêtes de Béziers aux clubs de Tel-Aviv, le projet de Guido Minisky et Hervé Carvalho a formé en un peu moins d'un an un consensus unilatéral aussi suspect -toujours se méfier des gens que tout le monde adore, toujours- que réjouissant : il suffit de les voir une ou deux fois sur scène pour définitivement lever toute réserve et les accueilir le coeur grand ouvert et les bras levés comme des antennes vers le cosmique.

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Comme vous l'avez peut être lu précédemment, on a été les rencontrer à l'occasion de leur passage au festival Less Playboy Is More Cowboy à Poitiers

, histoire de discuter de leur succès, de leurs projets, et de la qualité sonore de la musique orientale actuelle, à la fraîche, autour d'un Pastis, loin de la pression parisienne.

Noisey : Depuis la sortie d'Acid Arab Collections en début d'année, on vous voit partout. Vous enchaînez les dates en France, en Europe, en Afrique du Nord. Vous êtes perçus comment dans tous ces pays que vous traversez ?

Hervé Carvalho :

Ça varie énormément, selon qu’on joue dans un club branché de Tel-Aviv, ou dans un festival World au fin fond de la Ruhr avec des groupes de troisième zone.

Guido Minisky :

Le genre avec des djembés partout, des mecs avec des dreads qui passent par le trou de la casquette…

Hervé Carvalho :

Déjà parce que les lieux sont très différents, et ensuite parce qu’on n’est pas forcément accueillis de la même façon.

Guido Minisky :

On a senti beaucoup d’excitation à Istanbul, par exemple.

Hervé Carvalho :

À Istanbul, au Caire…

Guido Minisky :

Par contre, en Allemagne, tout le monde s’en foutait, mais alors total

Hervé Carvalho :

Mais c’est bien, ça t'aide à te forger et puis ça t'oblige à t’adapter. À Marseille, on a joué dans une fête de quartier par exemple, un truc ultra populaire. Du coup on a joué plus tradi, plus downtempo.

Guido Minisky :

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Par contre quand tu te retrouves dans des soirées plus psychédélico-branchées, plus vénères, avec des drogues et tout, tu vas jouer plus acid, plus club.

Vous avez fait la Tunisie, l’Egypte …

Guido Minisky :

Ouais la Tunisie, devant des touristes, c'était chelou. On espère aller au Liban bientôt.

Hervé Carvalho :

On a été au Maroc aussi, mais c’était assez spécial, c'était un truc high society, à Marrakech, un bar ultra-branché de jet setteurs locaux, pendant le festival du film… En gros c’est comme si on était à Cannes, c’était pas

vraiment

le Maroc.

En France, vous avez un statut particulier. J'aime bien lire les chroniques que vous avez sur les sites ou les magazines anglo-saxons. C'est beaucoup plus naïf, plus sincère. On sent qu'ils parlent vraiment de ce qu'ils ressentent. Ici, j’ai l’impression qu'on vous réduit assez vite à une formule, à quelques codes bien précis.

Guido Minisky :

Oui, surtout qu’Acid Arab c’est un sujet hyper facile pour un journaliste qui n’a pas écouté le disque. Tu peux facilement broder autour du projet. Moi j’étais correcteur dans la presse pendant longtemps, j’ai l’habitude de lire les articles, donc en lisant tous ces trucs, j’ai l’impression que les mecs se disent plus « ah cool je vais pouvoir placer un papier » plutôt que « ouais, ce projet m’intéresse vraiment ». J’ai l’impression que là les mecs ne réfléchissent absolument pas au truc.

Hervé Carvalho :

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Et n'écoutent pas le disque. Surtout.

Guido Minisky :

Cela dit il y on a eu des articles super en France, faut pas non plus généraliser. Mais c’est vrai que si t’es un peu malin, tu peux broder facile. Un petit jeu de mot oriental et c’est parti.

Hervé Carvalho :

Ouais, « les Muezzins de la Techno », « les 1001 nuits d’Acid Arab »…

Au début, les gens voyaient le truc de manière assez schématique : ok, deux gars qui mélangent musique orientale et musique electronique. Mais depuis, c’est beaucoup plus flou, ça va bien au dela de ça, il y a des choses vraiment surprenantes dans vos sets. Comment vous gerez ça ? Vous arrivez à capter le public en face de vous rapidement ?

Guido Minisky :

On marche encore un peu sur des oeufs, pour être franc.

Hervé Carvalho :

Ouais, c’est compliqué. Notre résidence chez Moune par exemple, il n'y’avait aucune limite : on y allait à fond, on expérimentait plein de trucs. Mais quand on arrive sur une grande scène dans un festival, qu'on doit tenir 1h30, 2h, on a donc tendance à préparer un minimum le set, et à moins tenter de trucs, même si on s'adapte évidemment en fonction de la réaction des gens.

Guido Minisky :

Mais c’est vrai qu’on a encore du mal à capter quand il faut juste jouer nos remixes ou quand on peut se lâcher, si on a des gens un peu plus

next level

en face.

Hervé Carvalho :

Cela dit, ça nous a vachement aidé à former notre son. Au début on faisait de gros écarts, on se permettait parfois de jouer carrément house. Là, c'est plus resserré.

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Vous avez pas peur de tomber dans le cliché, le truc de festivals…

Guido Minisky :

Oui et non, moi j’ai l’impression que c’est ce truc là qu’on doit faire. Alors faisons-le.

Hervé Carvalho :

Et puis ça évolue, on a des phases très acid, des phases plus uptempo avec de la musique tunisienne…

Guido Minisky :

On est revenus à la house aussi, récemment… Mais l'équilibre est toujours là.

Autour de moi, l'impression générale, c'est que ça marche grave pour vous en ce moment.

Guido Minisky :

Ben ouais, la preuve. On est là, au soleil, avec du Pastis, du maïs grillé [

Rires

]

Hervé Carvalho :

Non, faut reconnaître, c’est plutôt cool ce qui nous arrive, mais faut pas perdre de vue que ça reste un projet qui démarre. Il y a eu un peu de presse, ok, mais on est juste un tout petit truc. Cela dit, c’est la première fois que j’arrive à vivre de ma musique, et c’est génial.

Guido Minisky :

Après, vu l’engouement des gens quandon jouait chez Moune j’ai quand même senti qu’il se passait un truc…

Hervé Carvalho :

Mais de là à se retrouver à enchaîner La Réunion, Barcelone, Poitiers et la Suisse en une semaine, non [

Rires

]

Guido Minisky :

Les conditions sont parfois délirantes. Il y a des trucs qu’on est obligés de refuser.

Hervé Carvalho :

Le Fügen en Allemagne, par exemple. C'est un festival énorme, un genre de Burning Man entre Hambourg et Berlin, organisé par une communauté hippie, dans des hangars desaffectés de l'armée allemande. Je révais d’y aller mais on a dû le zapper à cause d’une autre date. Donc ouais, on hallucine tous les jours. Mais c’est pas aussi énorme que certaines personnes le croient.

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Le truc marrant c’est qu’on a jamais été autant informés et que tout le monde sait qu’il n’y a plus une thune dans la musique, mais que les gens continuent malgré tout à s'accrocher au mythe, à l'image hyper glamour…

Hervé Carvalho :

Ça, c'est vrai. Je le vois autour de moi, mes potes, ils hallucinennent parfois. Mais c’est ultra éphémère, tout ça. Dans une semaine, un mois ou un an, tout le monde s’en branlera d’Acid Arab et je retournerai servir des bières chez Jeanette. [

Rires

]

Là, vous vous apprêtez à passer un autre cap avec la sortie de vos propres prods et de votre premier véritable album .

Hervé Carvalho :

Ouais, on vient de signer pour un album avec Versatile. Là on prépare un live pour octobre, la première date, ce sera dans une salle où on fera une résidence une semaine avant, après il y aura une date à Paris, à la Gaîté Lyrique, et une au Plan, à Ris-Orangis. Et en préparant ce live, on a pas mal d'idées qui nous sont venues pour l'album. Il y aura toujours des invités, mais ce sera plus des featurings que des collaborations comme sur

Acid Arab Collections

. Mais c’est ce premier projet qui nous a menés à la prod, qui nous a mis le pied à l'étrier.

J’ai l’impression justement que les invités sur ce disque vous ont permis d’affiner votre idée, de l'élargir aussi. Je pense notamment au remix de Crackboy du « Shift Al Mani » d'Omar Souleyman . De l'extérieur, on dirait qu'il y a vraiment eu un avant et un après.

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Hervé Carvalho :

Ah oui complètement, ça a été un titre ultra fondateur

Guido Minisky :

Cela dit, Crackboy ne nous a pas vraiment enraîné ailleurs, il a plutôt concrétisté le truc autour duquel on tournait.

Hervé Carvalho :

Oui, il a assis le concept. Ce titre, c’était vraiment un cadeau du ciel. Quand le truc est arrivé on a fait « ah ouais, ça y'est, c’est ça ! ». Après, comme tu disais il y’en a d’autres qui nous ont montré de nouvelles voies, comme Professor Genius avec son morceau « Couronne », ce truc ambient un peu cold… Il y a aussi le morceau de Mattia qui n'est pas du tout arabisant mais qui rentre complètement dans le truc.

L'avantage avec toutes ces dates, c'est que ça doit faciliter le digging, vous devez trouver de nouveaux morceaux à passer un peu partout.
Guido Minisky : Ah oui, carrément. Là, dans les derniers trucs sur lesquels on a bloqué, il y a les finlandais de Eazy & Center Of The Universe, un groupe roumain qui s’appelle Khidja… Il y’en a tellement ! On a aussi découvert Biazia, un mec de 18 ans qui fait de la trap rebeu… Et puis il y a toujours des trucs incroyables dans les sorties plus « larges » : DJ Snake, l'album de Mr Flash… C’est sans fin, mais c’est normal parce que personne ne fait vraiment de la musique orientale, c’est toujours un mélange entre plusieurs styles, il y a toujours des samples, des emprunts, des inspirations. On ne fait rien de nouveau au final. Des tas de gens l’ont fait avant nous ce mélage.
Hervé Carvalho : Rien que Prodigy, par exemple. Mais il y’a eu un regain d’intérêt pour ce type de mélanges depuis quelques années avec Omar Souleyman, Sublime Frequencies.
Guido Minisky : Oui, complètement. Un mec comme Omar Souleyman a vachement ouvert de portes.
Hervé Carvalho : Pour moi, cette musique, c’est comme la jungle, il y’a un type qui scande, un pied…
Guido Minisky : Ça pourrait être Manchester…
Hervé Carvalho : Ou Spiral Tribe. Moi, ce que j'aime, c’est que ces musiques ont souvent un son pourri, ultra aggressif.
Guido Minisky : La musique orientale a souvent un son pourri, parce qu'elle a été mal enregistrée, que les disques sont mal pressés. Ce sont souvent des copies de copies qui devienennt des mp3
Hervé Carvalho : On a eu cette discussion avec Mahmoud Rufer, qui est un peu le mec qui tient la musique underground au Caire. Il bosse avec des studios des labels, il fait des trucs avec Hyperdub en ce moment. À un moment on lui demandait « mais pour ces morceaux, t'as pas des fichiers wav ? » Et lui nous répondait « mais de quoi tu me parles ? » [Rires] Les gens, là-bas, ils écoutent ça sur leurs téléphones. Le support principal de l’electro chaabi, c’est YouTube ! Ils en ont rien en foutre des wav et des disques. Acid Arab démoliront le Cabaret Sauvage ce dimanche pour la soirée de clôture de la Villette Sonique, aux côtés de Gavin Russom, Todd Terje, Shit Robot et Paranoid London. Et j'espère que vous avez vos places parce que c'est évidemment archi-complet. Lelo Jimmy Batista est le rédacteur en chef de Noisey France. Il a des mp3 en 96kbps dans son iTunes. Il est sur Twitter - @lelojbatista