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Music

Shay n'est pas une balance

La rappeuse découverte par Booba continue à faire tomber la monnaie dans son dernier clip.

Photos - Melchior Ferradou-Tersen

Le rap français est une hérésie, une anomalie qui a pu séduire au début, dans ses formes les plus pures, dans ses balbutiements. Aujourd’hui, les seuls rappeurs français qui réussissent sont ceux qui acceptent ce constat, refusent les standards et les featurings pétés avec Patrick Bruel. Pour être un bon rappeur français, il faut enculer le rap français. S’en détourner, s’en distancer, sans jamais le remercier ou le revendiquer. Shay fait ça. Pour ceux qui ne se souviennent pas, la rappeuse est apparue sur

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Autopsie IV

de Booba, sur le titre «

Cruella

», un morceau qui a catalysé tous les espoirs.

Pourtant, deux ans ont passé sans aucune nouvelle de signature officielle sur Tallac Records. Montrer son allégeance à un clan a été longtemps nécessaire dans le rap pour se faire entendre, mais à l’ère d’Internet, le rappeur reste complètement arbitre de son destin. Shay a choisi de prendre son mal en patience et a sorti « Perpétuité » en septembre dernier : un titre sombre qui parle de repentir et de crime organisé. Après avoir franchi plusieurs sas de sécurité, j’ai enfin pu la rencontrer. Voici la première interview de Shay, où l’on parle poukave, pudeur et putain de rap français.

Noisey : On ne trouve rien sur toi sur Internet. Est-ce que tu peux te présenter et nous dire qui tu es exactement ?

Shay :

Oui c’est ma première interview. Moi c’est Shay, j’ai 23 ans, je viens de Belgique, je suis rappeuse.

Tu faisais quoi avant et qu’est-ce qui t’a amené au rap ?

Honnêtement, avant de rapper je faisais pas grand chose, je trempais dans des petits business par ci par là pour me faire des thunes et j’ai commencé le rap un peu par hasard, quand j’ai reçu un coup de fil de Booba en fait. C’est là que j’ai commencé à envisager ça comme un truc que je pourrais faire sérieusement. Et je voyais aussi ça comme un moyen de me faire du biff !

C’est légitime. Comment Booba a entendu parler de toi, alors que t’habitais Bruxelles et que t’étais même pas encore dans le milieu ?

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Même si je prenais pas ça au sérieux, j’enregistrais quand même des trucs pour déconner, dont un freestyle auquel je croyais pas trop. Un de mes amis trouvait ça cool et était en contact avec Booba à ce moment-là, c’est comme ça que ma démo a fini chez Tallac Records. Mais tout le processus a été assez lent au final car entre le temps où j’ai enregistré ma démo et le moment où elle s’est retrouvée entre les mains de Booba, presqu’une année s’était écoulée. Au final, Booba a kiffé et m’a proposé de rejoindre le projet

Autopsie IV

.

Ouais tu as enregistré « Cruella » en featuring avec lui et le morceau a même eu droit à un clip qui a bien tourné. Lors du fameux « Bercy de Booba » tu es montée sur scène pour rapper sur le titre, c’était comment ?

En tant qu’amatrice c’est sûr que 16 000 personnes ça peut faire peur mais honnêtement, j’ai adoré et je me suis simplement dit qu’il fallait y aller, c’est tout, car au final les gens n’étaient pas là pour moi et donc n’attendaient rien de moi. Je crois que c’est même à ce moment précis que je me suis dit que je voulais vraiment continuer à rapper.

Entre la sortie de « Cruella » et celle de « Perpétuité » deux ans se sont écoulés. Après Autopsie IV, le public attendait vraiment un truc. T’as foutu quoi pendant deux ans ?

En gros, quand « Cruella » est sorti c’était vraiment la première track que j’écrivais en entier. « 3 couplets + refrain » et encore, j’ai un peu volé le refrain à Booba. Ensuite, une fois que la pression est retombée, je continuais à écrire et à poser, j’aurais pu sortir des sons mais j’étais pas satisfaite du tout. En fait, pendant ces deux ans j’ai amélioré mon flow. Et je pense qu’on voit déjà une amélioration de

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« Cruella »

à

« Perpétuité ».

J’ai pris de l’assurance.

Le clip de « Perpétuité » est réalisé par Kevin Al Amrani qui a réalisé aussi « Django » de Joke, vous avez l’air de bien vous connaître tous les deux, un truc de prévu ensemble ?

Oui j’ai contacté Kevin Al Amrani après avoir vu « Django ». J’avais envie d’une atmosphère très sombre pour le clip et il a parfaitement su récréer ça. Après pour Joke, bah on est potes ouais, mais je peux pas en dire plus, on verra.

Ok, vous souhaitez prendre Internet par suprise. « Autour du Nine » sort aujourd’hui (vous pouvez voir le clip au dessus) mais il y a aussi une mixtape qui arrive prochainement c’est ça ?

Oui exactement,

ma mixtape elle, restera dans la lignée trap parce qu’à l’origine c’est ce que j’aime et ce dont je parle le mieux je pense. Je peux pas spoiler mais j’expérimente aussi des trucs dessus, je me suis essayé au chant par exemple, enfin vous verrez. Y’aura juste 1 ou 2 tracks un peu différentes de ce que je fais d’habitude.

T’écoutes quand t’es chez toi ? Est-ce qu’il y a déjà des gens qui t’ont donné envie de rapper ?
D’abord les rappeurs qui m’ont donné envie de rapper, en premier je dirais Rick Ross même si les gens disent que c’est un ex-maton et une grosse poukave, la manière dont il raconte les choses, sa façon de rapper est trop vraie et te fait passer au-dessus de ça. Port of Miami et Deeper than rap sont des albums vraiment importants pour moi et ils m’influencent encore aujourd’hui, surtout Port Of Miami. Bien sûr y’a aussi Young Jeezy qui a été un détonateur. Ce sont eux qui m’ont donné envie de rapper. Après en rap français, bien sûr il y a Booba et Kaaris mais honnêtement je vois personne d’autre. Par contre, ce que j’écoute en ce moment… euh j’écoute presque que de la drill genre Lil Reese, Lil Herb et Chief Keef, c’est ce que je kiffe en ce moment avec Young Thug mais je crois qu’il vient d’Atlanta. Ils ont tous une bonne énergie et leurs instrus tuent. Au final, je suis assez fermée dans ce que j’écoute, même quand il s’agit de rap. Mais maintenant que j’habite à Londres je m’ouvre à des trucs que j’avais jamais trop entendu comme le… grime ? Ils ont des instrus de ouf et les mecs qui posent ont une énergie de dingue genre Wiley c’est ça ? Ca me plait vraiment mais je sais pas si je serais capable de rapper sur un beat comme ça, c’est grave technique. Ouais, la dernière tape de Lil Herb est vraiment ouf. Une question un peu pute, il n'y a aucune meuf dans tes influences ? Comment tu te positionnes par rapport au « rap féminin » ?
Ah non mais bien sûr qu’elles ont joué un rôle, je trouve que Lil Kim et Foxy Brown sont de vraies légendes. Missy aussi bien sûr, j’aime bien Trina, je trouve que Nicki tue mais… (Rires) Les mecs me parlent vraiment plus en tant qu’artiste. En tant qu’auditrice j’adore écouter ces meufs mais en tant que rappeuse je me sens plus proche des mecs. Les rappeuses US hésitent pas à parler de leur chatte et tout et je suis pas vraiment sûre de pouvoir faire ça, même si j’adore et que je ne juge pas. Ce que je veux dire c’est que je n’essaye pas d’imiter ce qu’elles font du tout. Mettre en avant mon physique ne me dérange pas mais parler de mon intimité comme Lil Kim ou Trina c’est juste impossible pour moi.

Pour revenir à Rick Ross, vous avez ce point commun de tous les deux revendiquer très tôt dans votre carrière un récit : faire de l’argent avec la drogue, être un drug kingpin sauf qu’on est presque sûrs que ça n'a jamais été le cas pour Rick Ross. Comment tu vois le rapport entre réalité et fiction toi, dans ton écriture ?
Hmm… C’est vrai que dans « Perpétuité » je fais un récit détaillé des activités que je mène ou mènerais. Après c’est dur de répondre à cette question sans passer pour une menteuse ou une grosse poukave. En ce qui me concerne, le point de départ de chaque titre est la réalité. Je ne sais pas mais les rappeurs c’est aussi des écrivains, je ne veux pas partir dans un délire intello chelou mais comme les écrivains, les rappeurs embellissent la réalité ou témoignent d’un truc qu’ils ont vu. Parfois tu dois romancer un peu les choses, imagine : je suis avec un mec depuis des années et je décide d’écrire un livre sur notre rencontre. Je vais pas dire que j’ai rencontré ce gars sur MSN, ce serait la honte de ouf, bah là c’est pareil. Je suis bien avec quelqu’un mais j’ai envie de romancer une partie de notre histoire. Je sais que par exemple dans « Perpétuité » y’a des lines précises que seuls mes potes peuvent réellement saisir et c’est pas pour rien, je suis pas une balance, je parle juste de ce que je connais. On a quand même l’impression que tu t’inscris dans la continuation de cette attitude de rejet qu’a Booba envers le rap, t’en as vraiment rien à foutre du rap français ?
Honnêtement, je sais pas trop quelle est la posture de Booba mais en ce qui me concerne, je peux dire que ce n’est pas par snobisme. Le rap français jusqu’à très récemment, je ne le connaissais pas. J’en écoute très peu, à part les personnes qui ont été citées dans l’interview, je m’en fous. En entrant dans le game, évidemment j’ai dû me mettre au courant, c’est normal. Mais au départ, j’ai aucune culture musicale en rap français. J’ai toujours eu du mal à trouver ça intéressant car à la base, je suis très exigeante : j’écoute du rap de gangster. Je trouve que les mélodies ne sont pas super novatrices et un peu pauvres, en termes d’instrus, tu te prends rarement des claques.

Et sinon, t’as étudié un peu la concurrence ?
Non, rien à foutre. Tu rappes ? Christelle Oyiri peut faire décoller ta carrière en une heure sur Twitter - @crystallmess