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Music

24 heures au festival Panoramas à Morlaix, en toute objectivité

Des gamins déguisés en Pokémon, des gens qui partent en brioche sur du brostep israélien et des pompiers pataugeant dans des flaques de vomi pour sauver la France de demain.

Toutes les photos sont de Jacob Khrist Un concert de Nina Hagen, une date de la tournée de Lagwagon et une journée en Bretagne pour un festival qui fait peur à tous mes potes trente-cinquenaires : voilà ce qu'il restait dans la liste des missions Noisey de la semaine dernière. Tant qu'à faire autant y aller à fond : j'ai choisi le festival. Mais plutôt que de tomber dans le travers « Tintin au pays des bretons sous keta déguisés en pickachu », j'ai décidé, au contraire, d'aborder mes 24h à Morlaix, au festival Panoramas, de la manière la plus objective qui soit, mettant de côté mes 7 années d'Histoire de l'Art, mon amour de Steve Reich et le fait que mon usage des drogues se réduit à une fête d'anniversaire, tous les 10 ans - ah, et pour ne rien arranger, il m'arrive d'écrire pour The Drone. Première constatation en arrivant : il fait moche, mais la ville est jolie. On me dépose au chicos Hôtel de l'Europe en me prévenant : « le mini bar est à ta charge ». Ça part mal. Mon premier verre me sera finalement offert dans le hall d'accueil par un collègue d'un journal national, breton lui aussi - on reste dans le thème. Étape obligatoire, l'inauguration du festival dans une ancienne manufacture à tabac de Morlaix, qui devrait muter en une sorte de Gaîté Lyrique d'ici quelques mois. Le principe de ce genre de cérémonie reste immuable : 10 personnes se relaient sur scène, enchaînant les discours, et le bar n'ouvre qu'à la fin du calvaire. Le premier intervenant est un des fondateurs de WART, l'agence qui organise le festival depuis 18 ans (et qui booke tout un tas de groupes, de Sexy Sushi à Acid Arab en passant par Jeanne Balibar). Il tremblote mais c'est plutôt mignon. Par contre le coup du « 18 ans, âge de la majorité », c'était pas vraiment nécessaire, surtout que 8 des 9 autres intervenants le reprendront. On finit sur Joran, le programmateur de Panoramas, qui se félicite de la venue de médias influents comme « Vice et Brain Magazine » (ça, on y reviendra ) et un élu local qui rappelle que « les Bretons ne sont pas que des gens isolés et violents, ils savent aussi faire la fête ». OK, pas de soucis.

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On enchaîne sur le concert de SAYCET, dans un parking souterrain, dont je ne vous dirais pas grand chose si ce n'est qu'il faisait encore plus froid que la fois où j'avais été envoyé à Rungis interviewer Liars. Arrêtera-t-on un jour avec les concerts dans « des lieux atypiques » où ça caille et où le son est pourri ? Pas sûr, mais ce serait pas mal d'y réfléchir, vu la dose de courage qu'il faut pour rester debout sur une place de parking handicapé à 17h (j'ai failli préciser « sans alcool » mais vous l'aurez ajouté tout seul de toute façon). Saycet s'en sort toutefois avec les honneurs, notamment grâce à sa très impressionnante nouvelle chanteuse. Les âmes se réchauffent un peu quand on me propose de rencontrer Joran, qu'une bénévole un peu brute de décoffrage appelle Jordan (« chais pas moi je viens d'arriver, je m'en fous »). On se cale au Tycoz, un bar qui sent la weed avec une vraie cheminée. J'ai envie de me faire une queue de cheval et de discuter de la vie sur les péniches parisiennes. Joran s'assoit, me paie une bière et entame la discussion. Première surprise, c'est le quasi sosie vocal de Jean Paul Gaultier (et physiquement, il y a quelque chose aussi). Deuxième (bonne) surprise, le gars est super sincère et ses motivations paraissent totalement pures et dénuées de cynisme ou de mauvais esprit.

« Tu vois c'est super, on a le public le plus jeune de tous les festivals français, 18-22 ans. Tu vas halluciner, les gosses viennent déguisés, maquillés et sont hyper bon esprit. Ils sont vraiment là pour la musique et par amour de la fête, pas du tout dans la pose. » Quand je lui dit que j'ai l'impression que le festival est plus crédible cette année, il répond « Ha ha non, c'est juste notre bureau de presse qui a changé. Nous on fait toujours la même chose depuis toutes ces années, moi je me balade de festivals en concerts et j'essaie de programmer un truc qui fait plaisir aux gens. Là, je sentais le retour de la trance, donc j'ai programmé Infected Mushroom (groupe culte israelien qui joue depuis une pelletée d'années), qui n'était jamais venu en France, et des gens comme Laurent Garnier ou Kaytranada. Et les gens ont répondu présent, c'est complet depuis une semaine ». Il a un sourire jusqu'aux oreilles et une attitude ultra-positive. Une attitude qui tranche nettement avec celles de ses confrères râleurs et cyniques. Salut C'est Cool ! Il est temps ensuite de rejoindre le site que Joran/Jordan me fait visiter en m'appelant Alexandre (mais il est tellement souriant et positif que je n'ose lui faire remarquer qu'au bout de 30 minutes). Il s'agit d'un gros parc d'expositions en banlieue de Morlaix avec 3 salles et un chapiteau extérieur. Le tout est plutôt bien gaulé et il me confie que le son est très bon, vu que les travaux de rénovation du système ont ruiné le précédent propriétaire. Un effort a été fait sur la déco et on est loin du truc crado glauque que certains avaient pu me décrire. Les kids débarquent en masse, effectivement déguisés, en pokemon, en personnages de Disney ou en Toad (démerdez-vous avec Google, les gars). Les sourires sont partout, le maquillage fluo encore intact sur les joues et les bouteilles de cristalline remplies de vodka orange cachée dans les pantalons. Un vigile (lui aussi sympa, mais qu'est ce qu'ils ont tous ici ?) me confie que certains boivent cul sec le mélange et s'écroulent juste après le contrôle de sécurité. Le premier concert commence (j'ai esquivé MmMmM qui m'avait bien fait badder à Paris l'année dernière) et ma conscience professionnelle me guide vers la scène où monte SALUT C'EST COOL ! Que dire de ce groupe qui n'en est pas vraiment un, déguisé en sketch des Robins des Bois et qui joue La Zoubida en faisant crier « Tony Hawk » à des gosses pétés et ravis comme le jour de leur première montée de MD ? Bah rien. J'ai l'impression que le spectacle se déroule hors de moi (je suis à jeun hein), que je suis un gars du passé qui arrive sur la planète chelou en 2015 et que je ne pige rien. Ça tombe bien, je ne suis pas du tout le public visé - comme je me vois mal emmener qui que ce soit dans le public à un ciné concert de Philip Glass. Je repense juste en souriant à tous ces programmateurs de festivals qui crachent à l'année sur ce genre de groupes et qui finissent, résignés, par les booker l'été suivant. On me dit que Salut C'est Cool ! va faire le festival de Jazz de Montreux. Pensée émue pour les fans de Miles Davis. Je fais un détour par le chapiteau où s'enchaînent les mecs à casquettes Supreme qui font du r'n b électronique devant des grappes de gamins frigorifiés. JOKE enchaîne avec un joli décor de scène à la Les Dessous de Palm Beach (c'est vrai que je commence à me faire vieux ). Show honnête et classique « je veux des sous-tifs sur scène, négro ». La Bretagne est à bloc. Bloody Beetroots Pause frite sous la tente « Tavarn ». Je me fais encercler par 6 types et une fille dont l'âge va de 18 à 35 ans. Un sosie de Bolton dans « Hartley, Cœurs à Vifs » (je reste dans les années 90, si ça ne vous dérange pas) regarde mon pass presse : « T'es de la sécu ? », « Non, non, je fais un report », « Ha, tu veux pas m'acheter de la C alors ? ». Son pote, qui a l'air d'avoir l'âge d'être mon père m'offre sa bouteille de cristalline remplie de rhum orange et me tend son joint « Tu vas à Dour ? Y'aura une scène drum 'n bass cette année, j'ai trop hâte ». Comme beaucoup de gens, il a fait le déplacement de l'autre bout de la France pour voir Infected Mushroom. Sa bande est super amicale et reste avec moi le temps que je retrouve des têtes connues. Bon esprit, je vous dis. Détour par la grande salle où un mec en slim et masque de Spiderman engueule la foule : « Are yuuuuuu weadiiii ? ». Les gens ont l'air prêts à tout, le maquillage fluo a coulé et on me demande partout si j'ai pas un plan MD. Sur scène, les BLOODY BEETROOTS gerbent tout ce qu'ils peuvent. Je me dis que c'est finalement pas si mal de faire de la musique masqué, au moins tes enfants n'auront pas honte de toi plus tard. Petit passage par l'espace pro, où les invités se tiennent plutôt bien. Un collègue de Brain Magazine qui a la barbe qui coule me confie « j'adore la drogue ». Les fameux INFECTED MUSHROOM débarquent pour faire leur promo (il est pas loin de 2h du matin). Le duo ressemble à une version bro et sur-abusée des frangins dDamage : d'un côté un croisement entre le flic de The Shield et un Carl Cox blanc, de l'autre un vendeur de chez Guitar Legend en total look de son propre groupe. Ils partent tranquillement sabrer le champagne avec un journaliste pendant que je décide d'aller errer un peu et de me faire un ulcère à coup de demis à 2,50 euros (eh ouais). Quand les Israéliens montent sur la grande scène, je comprends pourquoi tout le monde est venu pour eux. La foule aussi unie et indivisible qu'à un concert de Johnny, et le spectre va vraiment de 7 à 77 ans (enfin de 18 à 32 ans, plus exactement). Ils entament leur set avec un remix trance de « Sabotage » des Beastie Boys. Le ton est lancé. C'est moche, c'est fort et ça pète dans tous les sens. Quand tu es habitué aux concerts synth-wave dans des caves humides, ça fait un petit choc. Mais si on met de côté toute notion de bon goût -dont tout le monde se branle de toute façon- ça fait le job. Le son est patate, les gens exultent et les pompiers courent dans tous les sens, giflant les évanouis pour les ramener à la surface. Je pense que la prochaine fois que quelqu'un se plaindra à moi de son interview à retranscrire, de son job de programmateur théâtre dans une scène nationale ou du prix de l'immobilier dans le 4ème, je repenserai très fort à ce pompier qui marchait dans le vomi pour sauver des gamins qui pourraient être mes futurs enfants d'une mort à la Bon Scott. Je finis par rentrer dans mon hôtel du centre de Morlaix, en ratant Kink que j'avais projeté de rester voir et en me disant qu'on est quand même mieux avec les teufers bretons qu'avec les pipes en sneakers à 2 smics de la Concrete. Le lendemain, sur le quai, je crois les Salut C'est Cool ! qui replient leur drapeau « Tony Hawk » devant des mamies qui font des Sudoku et je réalise avec effroi que les trucs qu'ils portent sur la tête sont des vraies coupes de cheveux et pas des perruques. Ce soir, retour à la réalité avec un concert de Sonic Protest dans une église, du vin bio et des discussions sur les BO de Werner Herzog. Mais qui vit vraiment dans la réalité ? Moi ? Ou les pikachus qui se tranforment en fusée devant des lives de brostep israélien ? La question mérite d'être posée.

Adrien Durand croit en une Bretagne forte. Il est sur Twitter - @AdrienInBloom