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Music

Qui es-tu, Joey Beltram ?

Comment un gamin de New York a dynamité le début des années 1990 avec deux titres devenus des hymnes de la culture rave : « Energy Flash » et « Mentasm ».

De gauche à droite : The Advent, Blake Baxter, Joey Beltram, Mr. G et Jeff Mills, en 1997

Tous ceux qui évoluaient dans le milieu underground de la techno du début des années 90 ont été traumatisés par ce morceau qu'on aurait cru animé par les pulsations d'un câble à haute tension et sorti tout droit d'une cuve catalytique remplie de composants synthétiques. Ce morceau, c'était « Energy Flash ». Aujourd'hui, il est considéré comme l'un des hymnes fondateurs de la culture rave. À l'époque, c'était un monstre, une nouvelle mutation, plus dure et plus puissante, de cette musique prisée par les têtes brûlées de l'internationale techno, des quartiers périphériques de New York City aux rues de la Love Parade de Berlin, et bien au-delà. Cette techno âpre et musclée était l'invention de Joey Beltram, un gamin de 19 ans qui se propulsait directement dans le hall of fame du clubbing, et se faisait de facto une place de choix dans l'histoire de la rave.

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Un quart de siècle plus tard, Beltram est toujours accroché à ce son métallique, sombre et mordant qui a lancé sa carrière. Mais il s'est aussi un peu adouci. Son dernier single, « Together », sorti sur le label Halocyan, est du pur Beltram, avec ce groove minimaliste et brutal qui vise directement l'estomac. Mais le choix des remixeurs est, lui, plutôt surprenant. Il est en effet constitué d'un trio de producteurs associés à l'EDM populiste plutôt qu'à la techno radicale : OWSLA, le spécialiste de la « jungle terror » ; Jewelz & Sparks de Dim Mak Records ; et Laidback Luke, vétéran des méga-clubs. Il y a autre chose qui prouve que Beltram est en train de se détendre : alors qu'on le contacte via Skype début mars pour tenir cette conversation, le producteur n'est pas terré dans un bunker berlinois - bien qu'il ait encore un refuge dans la capitale allemande - mais dans la région bucolique du nord de l'État de New York où il réside aujourd'hui.

Encore un signe qui montre que Beltram n'est plus exactement le « technomeister » d'antan : il n'avait jusqu'à présent laissé personne toucher à sa musique, et surtout pas des artistes qui auraient risqué de décevoir son public. « Jusqu'à il y a encore quatre ou cinq ans, j'étais totalement opposé à tout remix de mes morceaux. Je ne voulais pas que quelqu'un d'autre interprète mes créations. Je n'en voyais pas l'intérêt », dit-il avec son fort accent de new-yorkais. « Mais c'était de l'hypocrisie de ma part, parce que je faisais des tonnes de remixes pour les autres, en ignorant d'ailleurs complètement leurs attentes. Je ne pensais qu'à moi et à ma façon de produire. Maintenant, je suis un peu plus vieux, et plus détendu à ce sujet. Je me suis ouvert un peu. »

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Il a fallu 30 ans pour que Beltram en arrive à ce point. Il a commencé sa carrière comme DJ, dans sa chambre, à enregistrer pour ses camarades de lycée des mixtapes electro et hip-hop. « Vers 1985, j'ai découvert Vinylmania, dans le centre-ville », se souvient-il, évoquant le légendaire magasin de disques du West Village situé à quelques rues du Paradise Garage.

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DJ Rush, Robert Armani et Joey Beltram en 1996

« Je n'avais alors que 14 ou 15 ans, et je n'étais jamais allé à Manhattan tout seul. Ça me faisait peur, mais je l'ai fait. » À cette époque, la house venait à peine d'apparaître, via Chicago, et le genre n'a pas tardé à trouver ses premiers fans en la personne de Larry Levan du Paradise Garage ou de Bruce Forest du club Better Days. Joseph Longo, plus tard connu sous le nom de Pal Joey comme le magicien de la production deep house, travaillait alors à Vinylmania, et a dirigé Beltram vers des disques comme « Music Is the Key » de JM Silk, qui a d'ailleurs été le premier achat de Beltram en musique house. Beltram cite aussi l'émission de mix de Tony Humphries sur la radio new-yorkaise 98.7 Kiss FM, parmi les choses qui l'ont initié à ce nouveau son, le fameux four-to-the-floor où chaque temps est marqué par le kick. « D'un coup, je suis devenu accro », avoue-t-il.

C'est sa passion pour les sons bruts et durs qui a guidé Beltram de la house à la techno. « Disons que je suis tombé sur la techno sans même réaliser que c'en était », admet-il. « En 85 et 86, la house était ce truc simple et minimal : deux sons et un beat de Tr-909. Quelque chose de très basique, et c'est ça qui me plaisait. Puis, soudain, il a absolument fallu mettre des accords de piano ; ton morceau devait forcément avoir ce genre de son chargé d'émotions. Plus personne ne faisait des tracks à proprement parler. » Quand il a commencé à produire, en 1989, Beltram affirme qu'il s'est délibérément tenu à l'écart de cette mode des accords de piano expressifs et mélodiques, mais a bifurqué vers des sons beaucoup plus durs. « Je voulais faire des tracks, c'est-à-dire une ligne de basse et un beat, rien de plus, et qui sonneraient plus lourds, plus noirs, plus modernes. Le public techno, qui commençait à apparaître, a trouvé ça intéressant, et c'est comme ça que j'ai fini par être entraîné dans ce milieu. »

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The Surgeon et Beltram en route pour La Real, Espagne 1997

Ses premières tentatives techno, enregistrées sous une flopée de pseudos différents, et sortis sur des labels comme Nu Groove et Easy Street, se sont plutôt bien vendues et ont été jouées dans les clubs les plus pointus de l'époque. Mais ce n'est qu'une fois « Energy Flash » sur le marché que Beltram est devenu l'un des piliers du son techno, en partie grâce à Renaat Vandepapeliere, le baron belge de l'ultra-influent label R&S.

Vandepapeliere avait déjà sorti sur son label une version du « Let It Ride » de Beltram, un titre electro rempli de bips de synthés, enregistré sous le pseudo Direct. À l'été 1989, il l'a donc invité dans son studio en Belgique, pour essayer de produire un autre hit. « J'étais un peu nerveux : et si je n'arrivais pas à sortir ce qu'il attend de moi ? » se souvient Beltram. « J'avais quand même préparé quelque chose avant de venir, au cas où les choses se seraient mal passées, et qui m'aurait permis de sauver la mise. Les choses se sont bien passées… mais j'ai quand même fini par sortir ce track - que j'avais apporté sur une bande - et il l'a aimé. C'était 'Energy Flash'. »

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Joey Beltram, Renaat Vandepapeliere et CJ Bolland au studio R&S Records en Belgique, 1990. La première fois que Beltram quittait New York.

Le titre, sorti sur R&S en 1990, est devenu l'un des hymnes rave de l'époque, et sa renommée s'est encore amplifiée quand Derrick May l'a sélectionné sur son label Transmat. « J'étais un peu le petit nouveau, et tout à coup, au bout d'une seule tentative, mon morceau se retrouvait sur les deux labels les plus en vus du moment », dit Beltram, l'air de ne pas y croire, encore aujourd'hui. « Je n'étais qu'un gosse qui venait du Queens ! Quand je suis revenu à New York, j'étais devenu quelqu'un d'autre. Je crois qu'à mon retour, j'ai produit dix tracks en une semaine dans mon studio, puis je suis reparti en Europe pour quelques mois. »

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Un des ces dix nouveaux morceaux est le deuxième hymne de Beltram, celui qui allait bouleverser le genre : « Mentasm ». Il l'a produit avec son ami d'enfance Edmundo « Mundo Muzique » Perez, et crédité sous le nom du duo Second Phase. Selon Beltram, « Mentasm » a bien failli de jamais voir le jour. Puisqu'ils travaillaient en MIDI, Beltram et Perez devaient sauvegarder le projet en permanence mais, un peu trop jeunes et téméraires, ils n'y pensaient pas tout le temps. Pendant l'une des sessions studio, alors que les deux étaient en train de finaliser un track - et Beltram affirme qu'il était « bien meilleur que la version actuelle de 'Mentasm' » - un orage a éclaté et a provoqué un court-circuit. Ils ont tout perdu ce jour-là. « On s'est dit, 'on ne pourra jamais le refaire, on laisse tomber' », raconte Beltram. « Mais on s'y est finalement remis, et 'Mentasm' est né. Notre ultime effort après l'échec. »

Ce titre, sorti lui aussi sur R&S en 1991, est devenu quasiment aussi important que « Energy Flash » pour le milieu rave, et sa tornade infernale en dents de scie a été imitée sur des douzaines de tracks, pour être finalement baptisée « hoover sound » (son d'aspirateur), à cause de la similarité avec le bruit de l'appareil électro-ménager. Ce son quasi radioactif est devenu la coqueluche des genres qui voyaient alors le jour comme la drum & bass et la hard house, et son influence est encore très présente aujourd'hui. « Je suis très fier de 'Mentasm', et je suis fier d'avoir créé un son avec mon ami Mundo », affirme Beltram. « Mais je dois avouer que je ne suis pas un grand fan du style 'hoover'. Il ne faut pas m'en vouloir ! Mais quand même, c'est plutôt cool d'avoir inventé un son qui semble avoir inspiré autant de gens. »

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Il est rare pour un artiste de créer l'hymne d'un genre au cours de sa carrière, et encore moins deux d'affilée. « Si vous pouviez aller parler aujourd'hui au petit Joey de 19 ans, vous vous retrouveriez probablement devant quelqu'un pensant être au top et ne jamais traverser aucun échec », reconnaît-il, avec humour.

Depuis, Beltram n'a jamais cessé de produire des tracks qu'on peut considérer comme des variations sur le thème de la techno dure qu'il a peaufinée en 1990, sortis sur beaucoup de labels prestigieux, dont Tresor, Warp, Drumcode, Harthouse, et sur le sien, STX. Même si ces sorties n'ont pas eu l'impact de « Energy Flash » ou de « Mentasm », il est difficile d'ignorer leur puissance quasi primitive. Écoutez « Ball Park » (1998) ou « In the Ultra Drive » (2003). À l'image de « Energy Flash », on y retrouve les percussions précises, efficaces et violentes, sur lesquelles se fixent quelques samples et bips - la techno rave dans sa forme la plus brute, en somme. Ce type sait ce qu'il fait, et le fait très bien.

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Beltram à Berlin

C'est ce genre de tracks qui a nourri la carrière fructueuse de DJ de Joey Beltram, et qui l'a mené du Womb de Tokyo à Coachella en Californie, et dans bien d'autres clubs du monde entier. « Je n'ai pas arrêté depuis mes débuts », dit-il, avant de rectifier : « Enfin, il y a bien eu quelques moments de calme ici et là, mais ça fait bientôt 30 ans, donc ça va… Il y a des moments où tu as envie de faire d'autres choses dans ta vie, et parfois, c'est bien aussi de passer six mois à ne rien faire. »

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Il est probable que Beltram ne renoue jamais avec le grand frisson que ses premières productions ont provoqué : le choc de la nouveauté. Mais pour ce qui est de la productivité, il semble qu'il soit en train d'entrer dans une phase de fertilité créative très intense. Il vient juste de sortir « Sirenator » en collaboration avec Umek, un titre audacieux et très acide ; il y a ce remix qu'il a fait du « Trumpets Of Death » de Raul Mezcolanza & Envel, un morceau qui évoque les images d'une ville en ruine après le passage des Decepticons ; et cet autre remix pour Marc Romboy qui sort sur Tronic, le label de Christian Smith ; on devrait en plus pouvoir écouter un album entier de Joey Beltram d'ici l'été.

Joey Beltram aujourd'hui

Et, bien entendu, il y a « Together », cette explosion d'adrénaline - et son fameux choix inattendu de remixeurs. Beltram affirme qu'il n'a toujours pas eu de retour de bâton de la part de ses fans les plus fidèles, mais il admet que ça pourrait arriver. « C'est vrai que j'aime varier un peu les plaisirs mais c'est parfois difficile », dit-il en soupirant. « Mais je me suis habitué aux critiques. Même quand 'Energy Flash' est sorti, j'ai eu des retours pourris. Les critiques disaient, 'Ah, c'est du hardcore, c'est juste du bruit'. Et aujourd'hui c'est le disque préféré d'une partie de ces gens. Même chose pour 'Mentasm'. Les gens disaient 'C'est le degré zéro de la musique. C'est de la merde.' » Beltram dit d'ailleurs que ces années de critiques négatives lui ont appris à développer une carapace solide. « Je suis prêt à tout. De toute façon, qu'est-ce qu'on peut y faire ? »

Et bien on peut continuer à faire de la musique pour le peuple techno - et c'est précisément ce qu'il compte faire. « J'ai fait ça quasiment toute ma vie, depuis que je suis ado - et c'était il y a déjà bien longtemps », répond t-il, quand on lui demande quels sont ses projets pour l'avenir. « J'ai toujours plein de trucs dans ma tête, que je cherche à faire exister. Je n'imagine pas une seule seconde arrêter ce processus. » Depuis le jour où il est entré chez Vinylmania et s'est emparé d'un exemplaire de « Music Is The Key », Beltram a dévoué toute sa vie à une techno sans pitié sortie du cerveau d'un alchimiste. « Si je fais un morceau que j'aime, j'aurai forcément envie de le jouer devant des gens » dit-il avec un air de défi. « Ça ne risque donc pas de s'arrêter, en tout cas pas avant un bon bout de temps. »

Bruce Tantum est sur Twitter.