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De Poitiers à la planète Mars : KillASon nous détaille son plan de conquête

« Il y a plein de rappeurs qui disent des trucs de fous, au premier degré c’est insupportable, au second, c’est à pisser de rire. »

Photo - Gregory Brandel Après la techno, le post-punk, et le dernier projet de JB Hanak, Killason deviendra le 22 janvier la première référence hip-hop du label parisien Fin de Siècle qui confirme, sortie après sortie, son éclectisme galopant. Derrière ce pseudonyme, on retrouve Marcus Dossavi-Gourdot, un jeune poitevin aujourd’hui parisien et son premier EP, The Rize, composé et écrit tout seul, en anglais, sur des productions où s’entremêlent aussi bien Outkast que Rome Fortune. On a interviewé le jeune homme, accompagné par Dom, l’une des deux têtes de Fin De Siècle, pour qu’il nous parle de son projet, de ses lives solitaires et de ses envies de domination mondiale.

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Noisey : Marcus, tu es arrivé à Poitiers à l’âge de 3 ans, tes deux parents sont chorégraphes (Julie Dossavi et Gérard Gourdot) et tu as commencé à faire de la danse à l’âge de 8-9 ans. J’imagine que ça a déterminé ton parcours.
Killason : Oui j’ai commencé à cet âge là, et la danse est devenue quelque chose de sérieux à l’âge de 12 ans, quand j’ai commencé à faire des compétitions, même si c’est la musique qui a vraiment été le premier faisceau lumineux.

Quels sont tes premiers souvenirs liés à la musique ?
Je me rappelle de Daft Punk, mes parents écoutaient beaucoup d’electro, de rap, de reggae. Parmi les sons qui me reviennent en tête, il y a « Around the World » de Daft Punk, L’école du micro d’argent d’IAM même si je ne suis pas trop branché rap français. Mais cet album je l’adore parce qu’à l’époque il établissait pas mal de connexions avec un certain hip-hop américain, des refrains en anglais, et c’est cette langue-là qui a fait tilt super vite dans ma tête quand j’étais petit.

Tu as commencé à rapper et à composer à quel âge ?
J’ai fait mon premier son à 14 ans, c’est mon beau-père qui l’a produit sur l’album d’un de ses groupes. À 17 ans, il m’a donné mon premier ordinateur qui était dédié à la MAO (musique assistée par ordinateur) et il m’a formé à cette technique qu’il maîtrisait déjà. Par la suite, je me suis mis à écrire mais j’étais encore dans un processus d’amélioration, parce que l’anglais n’est pas ma langue première, même si dès mon plus jeune âge, je chantais en anglais. Petit, je faisais des mini concerts à mes parents sur le lit ou je leur chantais « I Believe I Can Fly » de R.Kelly.

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Tu n’as jamais hésité entre le français et l’anglais du coup.
Jamais.

Quand tu commences à rapper, quels sont les artistes qui t’influencent ?
À l’époque j’étais à fond dans le sud : Atlanta, le Mississippi, la Nouvelle-Orléans, Lil Wayne, Outkast qui est mon groupe préféré, dans le concept, dans l’univers qu’ils ont créé. Ça a toujours été là parce que c’est des artistes que mes parents écoutaient depuis que j’étais tout petit à l’époque d’Aquemini.

Tu t'y es mis quand sur ton premier EP ?
Dès que j’ai eu l’ordi, j’ai commencé à faire des prods. Au début c’était pourri mais je voulais sortir quelque chose. J’ai toujours voulu devenir rappeur, ça a toujours été mon rêve, et c’est ce que je disais toujours à mes parents. J’avais besoin de sortir quelque chose pour me sentir comme tel.

Comment s’est faite la connexion avec le label Fin de Siècle ?
J’ai rencontré Dom à l’été 2015, et les choses se sont faites très vite, il est à fond dans le hip-hop, il a beaucoup accroché sur le projet et j’aime quand les gens sont investis et passionnés, il y a un moment ou ça sert à rien de tergiverser. Je suis déterminé, il est déterminé, les gens autour de moi sont déterminés, soyons déterminés et déterminons quelque chose de déterminé.

Photo - Nkrumah Lawson Daku

On peut revenir sur la double vie de The Rize ?
Le EP est sorti il y a un an en numérique, et là en fait c’est une réédition qui sort, une remise à niveau, on l’a remixé, on a refait le mastering, et ajouté deux morceaux. J’estimais que le projet n’avait pas eu l’exposition qu’il méritait, c’est un début qui me porte à cœur, il a une vie à faire et il mérite d’être exposé. Mais je m’arrête pas là, je suis en train de travailler sur le prochain EP depuis deux ans.

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Dom : Comme disait Marcus, l’idée était de ressortir le disque sous la forme d’un premier album pour bien montrer que c’est un vrai statement d’un nouveau rappeur mais qui amène quelque chose de différent. Quand j’ai écouté l’EP à l’époque, on voulait l’améliorer en fonction des possibilités techniques du moment, et surtout essayer de le faire connaître et de mieux le porter.

Ca faisait longtemps que tu voulais sortir un disque rap sur Fin de Siècle ? Qu’est ce que tu as aimé dans cet album ?
Dom : Oui, moi je viens de là à la base, mais je n’avais pas encore trouvé quelqu’un qui me branchait. Ce qu’on cherche chez Fin de Siècle, c’est aussi des artistes à développer, des mecs qui n’ont pas forcément dix ans de carrière derrière eux. C’est un pote à moi qui au printemps dernier m’a envoyé le son de Killason et j’ai pris une claque. Ce qui m’a plu surtout, c’est que j’écoute beaucoup de rap en français, et il n’y a aucun rappeur comme Marcus en France aujourd’hui. J’ai aimé son délire, les influences qu’il digère, tu parlais d’Outkast tout à l’heure, c’est la première image qui m’est venue. J’ai grandi avec ce groupe comme beaucoup de gens, Stankonia je l’ai saigné 200 000 fois, il y a de la funk, du rap, du rock, des moments noise par moments, de la pop, tout ça mélangé, et toutes proportions gardées, j’ai entendu un peu de tout ça chez Marcus. Je me suis dit qu’il devait avoir 27-28 ans, et j’ai vu que c’était un mec de 20 ans, qui n’avait rien sorti avant.

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Marcus, tu as tout fait sur ce premier projet. C’était important pour toi de t’occuper des différents aspects ?
Killason : C’était très important même si ce n’était pas la démarche de départ. J’avais un pote avec qui je devais faire la moitié des sons, mais ça ne s’est pas fait, et il s’est avéré que c’était beaucoup plus intéressant pour moi que je fasse tout et aujourd’hui j’en suis fier, je suis content de ce choix-là parce que l’EP prend tout son sens dans le fait que je l’ai réalisé tout seul.

L’album renvoie à plein de styles différents du rap. Il est impossible de dire quelle période tu préfères.
Je définis d'abord The Rize par son titre : le début, l’élévation. Et je voulais envisager cet album comme une palette de possibilités à développer. Par la suite, je vais me perfectionner et il y a certains chemins que je vais emprunter et d’autres moins. Seul l’avenir le dira, mais c’était important pour moi d’avoir un projet où l’homogénéité se dégage par le biais de morceaux hétérogènes. La volonté était ici de développer ce paradoxe en faisant des morceaux tous différents les uns des autres.

On y retrouve des influences qui ne sont pas toutes liées au hip-hop d’ailleurs.
J’aime beaucoup le son pop de manière générale. J’ai beaucoup écouté le dernier Gorillaz, Plastic Beach, le dernier Little Dragon aussi. Quand j’étais plus jeune, j’écoutais pas mal Police et de la musique jamaïcaine, j’ai eu une période dancehall vers mes 12-13 ans. Mon père écoutait du reggae : Bob Marley, Steel Pulse, Groundation, et ma mère avait fait un solo sur le morceau « Zimbabwe » de Marley, c’est un son que je porte en moi parce qu’il est lié à beaucoup de souvenir.

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J’aime aussi beaucoup le grime. Ce que je trouve super fort là-dedans, c’est cet héritage jamaïcain que tu retrouves dans leur slang et dans leur musique. Leur énergie leur permet de s’exporter partout, sur tous les styles.

Tes productions sont très denses, comme le travail que tu fais sur ta voix qui est démultiplié, et bourré d’effets.
J’aime beaucoup interpréter des personnages en fonction des voix, je fais une introspection dans ma tête où on est plusieurs finalement. Du coup, c’était important pour moi de traduire tout ça, ça fait partie de mon identité artistique.

Qu’est ce que tu sous-entends par cette multiplicité de voix ?
J’aime changer de timbre, je ne suis pas un chanteur mais j’arrive à atteindre une certaine hauteur de voix. Dans le rap, j’aime passer d’une voix grave à quelque chose de plus aigu, rapper hardcore puis de manière plus tranquille sur un autre son. La voix c’est le premier instrument, et c’est celui avec lequel on a le plus de possibilités, on peut tout faire : des nappes, un beat, reproduire une guitare. Par exemple sur « Hoddest In My Town », sur le refrain, il y a un élément un peu chelou que j’ai fait avec ma voix. Je me suis enregistré, j’ai mis un effet, et ça a donné quelque chose d’inédit, comme si j’avais pris un sample et que je l’avais détruit, sauf que c’est ma voix. J’essaye d’avoir cette approche là pour que tu ne reconnaisses pas que c’en est une, un peu comme Timbaland pourrait le faire.

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Parle moi un peu du clip de Hoddest In My Town réalisé par le photographe N’Kruma Lawson Daku, une vidéo très simple mais très réussie.
La rencontre s’est faite via ma mère, et on a très vite sympathisé. Je suis passé chez lui, il a mis son écran gris pour faire les photos, et on était censé faire des tests. Je me suis posé sur le tabouret, il a installé des lumières, on a lancé le son, je lui ai demandé si il n’avait pas des bijoux un peu pourris,j’ai mis les lunettes et pendant ce temps il faisait ses essais. À un moment, on arrête et il me dit qu’il faut qu’il me montre un truc.

À l’origine, j’étais venu pour parler de plans mais quand on s’est retrouvé à regarder le shoot ensemble, on est resté sans voix et on s’est dit : mais on l’a le clip en fait. Il manquait juste le début, on a refait un petit tour de magie, et ça a donné cette vidéo, de manière très spontanée.

Ça va un peu à l’encontre du cliché du clip de rap habituel, qui se fait souvent avec un crew autour, surtout quand c’est un morceau où tu te la racontes comme dans celui-là.
Il y a une grosse dose d'autodérision dans ce morceau qui tourne pourtant autour de l’egotrip. C’est à prendre au second degré, et une fois que tu as compris ça, il devient super marrant. Il y a plein de rappeurs qui disent des trucs de fous, au premier degré c’est insupportable, au second, c’est à pisser de rire.

Mais au-delà de ça, le sens de ce morceau ne repose pas entièrement la dessus. Je l’ai écrit peu avant de partir sur Paris et je savais que je rentrais dans une nouvelle cour en contraste avec Poitiers qui est une petite ville, même si j’allais tout le temps à Paris dès mes 12 ans. La danse allait aussi devenir quelque chose de sérieux et je voulais m’accomplir musicalement, je savais donc que ça allait être autre chose. Ce morceau, c’était aussi un moyen de me donner du courage. J’explique dans sa dernière partie que là où tu vas les choses sont différentes, d’autres individus vont essayer d’être au top dans cette jungle et que mon but à moi c’est d’être the hoddest in the world. Du coup, c’est un morceau qui m’aidait quand j’étais un peu moins bien, pour me dire que je m’apprêtais à conquérir le reste du monde.

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C’est facile pour toi de rapper en anglais ?
Je dirais pas que c’est facile, parce qu’il y a toujours le souci de bien faire et d’être compris. Après, au fil du temps, plus ça va, plus je progresse et plus je m’assume. Quand j’étais plus petit, et c’était il y a pas si longtemps que ça, je me demandais comment les anglo-saxons allaient recevoir ce que je fais et est ce qu’ils allaient trouver ça crédible. J’avais déjà des potes qui avaient essayé, et ça ne le faisait pas. J’ai toujours eu confiance en moi, mais on a toujours des questionnements. Après je prends le temps de bien checker, de ne pas faire d’erreurs même si ça fait aussi son charme. Si on me dit que ça ne se dit pas comme ça, je réponds que je ne suis pas la pour donner une leçon d’anglais. T’as compris ce que j’ai dit ? C’est bon.

Quand tu es en live, tu fais tout, tout seul, tu lances les sons sur ton ordi, tu danses, tu chantes. C’était important pour toi d’avoir une approche personnelle de la scène ?
Je voulais me différencier dès le début, j’ai trop de truc à donner sur scène, et par rapport à la démarche de The Rize, qu’est ce qu’un DJ qui n’a rien fait dans le projet viendrait faire là ? Si c’est quelqu’un qui m’a suivi, qui a fait les sons avec moi pourquoi pas. Mais je ne voyais pas une autre personne s’approprier mes instrus et mes jouets, surtout qu’être seul sur scène me permet de faire des versions exclusives qui n’existent qu’en live.

Tu as la sensation d’être sur un créneau unique en France ?
J’ai pas cette prétention, je suis trop jeune encore pour dire que j’ai ma patte, si les gens y trouvent quelque chose et qu’il y a un bon début, et bah c’est super, ça voudra dire que je suis sur le bon chemin. Personnellement, je pense être à 5 % de là ou je veux aller et j’ai encore beaucoup de taff, je n’ai donc pas la prétention de dire que j’ai mon style, c’est faux, mais j’aspire à avoir le mien.

Tu es allé plusieurs fois aux Etats-Unis. Qu’est ce qui t’a marqué le plus là-bas ?
J’y suis allé 3 fois, en 2009 pour la danse, à Las Vegas, j’avais 14 ans à l’époque donc je ne pouvais rien faire. J’y suis retourné l’été dernier, là c’était vraiment pour découvrir, et j’ai eu la chance de pouvoir faire un petit showcase dans un club assez underground, le Pyramid Club à New York. À Union Square, tous les vendredi tu as des mecs qui se réunissent et qui freestylent. C’est un cypher ou tu dois t’imposer, je suis rentré dedans et j’ai rappé. Ce voyage c’était un peu pour moi un voyage d’initiation, pour me frotter à ça, et voir comment les gens réagissent. Les gens ont super bien réagi après mon showcase et ça m’a fait beaucoup de bien, j’y suis retourné en décembre pour des projets, petit à petit je commence à faire mon chemin là-bas, tranquillement. J’y ai retenu quelque chose d’important, avant je pensais qu’en France on n'allait pas m’accepter et qu’il fallait que j’aille directement à l’étranger.

Qu’est ce qui te perturbait par rapport à ça ?
La barrière de la langue, je pense que la France et l’anglais ce n’est pas trop ça. Je pensais qu’on trouverait ça bizarre, parce qu’on a tous nos a priori et nos peurs, mais pour l’instant ça se passe bien, et ça va faire son petit bonhomme de chemin. Après je vais faire des concerts à l’étranger, ça va faire le boom, et je finirai par un concert sur Mars je pense. Frédéric est sur la planète Twitter.