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Music

Laibach s'inquiètent plus pour ta liberté que tu ne le fais

« On pratique juste un genre d'humour mortellement sérieux qui n’accepte aucune blague »

Le plus grand crime de Laibach, cultissime formation industrielle slovène sans qui Rammstein ne serait rien ? Ne jamais s'être justifié sur rien. Laibach a toujours considéré que l’art ne nécessitait aucune explication, ce qui a valu au groupe des années de haine viscérale, pour avoir, par exemple, utilisé un tableau de John Hartfield représentant quatre haches formant une croix-gammée en guise de cover sur leur album de 1987,

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Opus Dei

. Tout ça combiné avec des paroles grommelées (souvent en allemand) sur des beats martiaux a suffi pour que des milliers d'imbéciles s'exclament : « Oh merde, des NAZIS ! »

Mais Laibach ne sont ni néo-Nazis, ni fascistes. Juste des libéraux arty plein de compassion qui aiment les opéras et les comédies musicales, et tentent de te rappeler que ton gouvernement te ment chaque jour, peu importe le nombre de tweets fun et viraux qu’envoient les ministres. Voilà le truc, ils n’ont jamais stipulé clairement la chose de la façon suivante « Désolé pour tout. On déteste Hitler. HAÏSSEZ-LE VOUS AUSSI. » Ça leur aurait permis d'être peinards un petit moment.

Spectre,

leur nouvel album, est idéologiquement bien plus

friendly

que certains de leurs disques précédents. Un brillant commentaire de l’époque post-surveillance, post-crise économique. Le premier single « The Whistleblowers », un hommage à Chelsea Manning et Edward Snowden, débute avec des… sifflements, des putain de sifflements ultra-catchy.

Spectre

est définitivement l’album le plus pop et le plus dansant de Laibach. Et c’est aussi celui sur lequel leur mépris de la grande mascarade mondiale apparaît de la manière la plus évidente. On a discuté avec Ivo Saliger, porte-parole et membre le plus ancien de Laibach, de ce que le groupe a branlé ces derniers temps, de ce qui n’allait pas dans le monde et de leurs reprises des Beatles.

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Noisey : On a le sentiment que Spectre devrait être appuyé par un support visuel, comme une pièce ou un film. Est-ce que vous avez prévu de faire quelque chose dans ce sens ?

Ivo Saliger

: Eh bien, la première vidéo (« The Whistleblowers ») vient juste de sortir, on prépare la seconde (« Eurovision ») et on espère qu'il y en aura d'autres qui suivront. On serait aussi très contents si cet album pouvait servir d'inspiration pour un film ou une pièce. Mais pour être honnête,

Spectre

est déjà la bande-son de la vie, ce qui est encore mieux qu'un film.

Spectre suggère des dizaines de récits possibles. Dis-m'en plus sur la création de cet album.

On a simplement suivi notre instinct et nos intuitions. On a été directement influencés par les évènements liés à la crise et par les troubles politiques en Europe et dans le monde de ces dernières années , et – aussi loin que la musique puisse aller – par l'état désastreux de l'industrie musicale et de la culture pop en général.

L'album s'est dessiné assez vite, on a travaillé dessus entre avril et août 2013 et en septembre, il était mixé. Malheureusement, la date de sortie a été repoussée deux fois, pour des questions de stratégies marketing, qui sont toujours compliquées à comprendre, du coup l'album n'est sorti officiellement que le 3 mars dernier.

J'ai l'impression qu'il y a de la tristesse dans Spectre, comme s'il marquait un deuil.

C'est une observation intéressantes, parce que beaucoup des retours qu'on a eu sur l'album disaient, au contraire, que c'était un disque très optimiste. Il y a un peu des deux, en vérité. Il y a aussi un côté Buster Keaton ou Jacques Tati, qui sont tous deux de grandes sources d'inspiration.

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Vriament ? Vous pouvez m’en dire plus sur l'empreinte des films de Keaton et de Tati sur votre œuvre?

Non, on ne peut pas. Mais tu l'as déjà dit toi-même : il y a une certaine tristesse dans

Spectre

, alors que c'était un disque qu'on voulait plutôt optimiste. Et les personnages principaux des films de Keaton et de Tati sont un peu comme ça.

Vous avez beaucoup de sources d’inspiration, mais ce que vous faites sonne toujours comme du Laibach au final. Quelles sont les influences de Spectre ?

C'est vraiment impossible à dire avec Laibach, parce qu'on est influencé par tout, pas seulement la musique. Musicalment, on a été influencé par tout ce qu'on pu entendre, y compris les chants grégoriens.

Comment vous fonctionnez en studio ?

On discute beaucoup pour mettre au point les concepts et les idées de base, et puis tout le monde bosse sur sa partie avant de se retrouver à nouveau tous ensemble. On discute encore des démos, on échange nos travaux pour finalement construire le morceau autant que possible avec le groupe, dans un vrai esprit collectif.

Comme les Melvins, vous avez été catalogués de groupe comique, absurde, grotesque, depuis des décennies. Quelle a été votre réaction à cette étiquette ?

C'est une question de perspective ; la musique pop dans son ensemble n’est ni plus ni moins qu’une sorte de blague pathétique, qui essaye de faire tomber le plus d'argent possible. La soi-disante scène indépendante est elle aussi une farce, où l'on ne gagne -en plus- pas d’argent, ou très peu. Il n'y a plus d'artistes ou de groupes géniaux et s'il y en a, ils sont vraiment très peu nombreux, ou très bien cachés. Est-ce qu'on se considère comme faisant partie d'une scène musicale ? Non. D'une partie de la culture, dans un sens plus large, peut-être. Du coup, est-ce que Laibach un groupe comique, absurde, ou grotesque ? Non, on ne l'est pas. On pratique juste un genre d'humour mortellement sérieux qui n’accepte aucune blague.

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Rammstein : plagieurs ou héritiers légitimes ?

Rammstein est tout ce que nous n'avons jamais voulu être, mais qu'on aurait facilement pu devenir, si on avait vécu en Allemagne ou aux États-Unis plutôt qu'en Slovénie. Ils ont ouvertement admis que Laibach était leur principale source d'inspiration et que tout ce qu'ils ont fait, c'est de simplement adapter notre musique et notre univers pour qu'ils soient plus accessibles et vendeurs. On ne peut pas les blâmer pour ça.

En plus d'avoir repris Bach et Andrey Lloyd Webber, vous avez repris l'album Let It Be des Beatles en entier. J'ai l'impression que cet album souligne d'une certaine façon la relation entre musique pop et fascisme, mais je n'arrive pas à comprendre comment exactement… Tu peux peut-être m'expliquer ?

La musique pop présente évidemment beaucoup d'éléments fascistes, mais ce n'était pas du vraiment notre motivation quand nous avons décidé de travailler sur

Let It Be

. On a surtout fait cet album parce que tout le monde disait : on ne touche pas aux Beatles. Donc on l'a fait. Le résultat est plus difficile à expliquer. Le processus d'écriture et d'enregistrement n'était pas du tout rationnel. On a délibérément utilisé des drogues dures pendant qu'on bossait sur les morceaux et on s'est laissé complètement prendre par le mythe que représente ce dernier album des Beatles. Quand notre version est sortie,

Wired

l'a baptisé « disque réchauffé du mois » [

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Il n'y a pas d'archive digitale de cette critique, mais apparemment, Wired a également classé NATO, sorti en 1995, dans la même catégorie

] Quelques années plus tard, on a à nouveau parlé de l'album dans le

New Yorker

, dans un article qui analysait et louait notre méthode comme étant un paradigme tout à fait brillant et inventif de la réinterprétation. Aujourd'hui encore, ce disque est pour nous très provocateur et la musique n'en est certainement pas le thème principal.

Quel est le sujet principal de Let It Be alors ?

Être ou ne pas être.

Est-ce qu'on peut s'attendre à des concerts pour la promotion de Spectre ?

Oui, on s’apprête actuellement à partir pour quelques dates en Allemagne et on travaille sur une tournée aux Etats-Unis pour l’automne.

Entre nous – est-ce que notre race s’est amélioré ou a t-elle empiré ?

Probablement les deux.