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Trouve-toi un vrai job ! : Fenriz de Darkthrone

Pour le deuxième volet de notre rubrique consacrée aux « vrais jobs », Fenriz de Darkthrone nous raconte comment il jongle entre son groupe et son boulot à la poste norvégienne.

En souvenir des divers jobs pourris que la plupart d'entre nous ont enquillé avant de pouvoir vivre de la presse musicale voici « Trouve-toi un vrai job ! », une rubrique, dans laquelle des groupes, artistes et patrons de labels indépendants nous parleront de leur vrai job, celui qui paye leurs factures, remplit leur frigo, mais surtout, leur permet de nourrir leur passion. Après Froos du label Teenage Menopause, on s'intéresse cette fois-ci à Fenriz, moitié de l'inoxydable duo black metal Darkthrone et figure incontournable du genre, qui nous a parlé de son travail à la poste norvégienne. Fenriz s'est marié l'an dernier, et a récemment déménagé. Il est venu se réinstaller à Kolbotn, la banlieue d'Oslo où lui et Ted « Nocturno Culto » Skjellum, le chanteur/guitariste de Darkthrone, se sont rencontrés en 1988. Même si j'ai appellé une heure plus tôt que prévu sans faire gaffe et que j'ai, du coup, interrompu son repas (tant qu'à faire, hein), j'ai rarement eu quelqu'un au bout du fil d'aussi détendu et affable que Fenriz. Le chanteur/auteur/batteur de Darkthrone venait de terminer sa journée au bureau de poste (où il travaille depuis 26 ans) et s'apprêtait à sortir faire un foot entre potes. En attendant mon coup de téléphone, il mangeait un truc immonde sorti d'une boîte de conserve. « Je saurais pas comment te décrire ça. C'est un truc typiquement norvégien, un mélange de viande de porc et d'autres trucs » m'explique-t'il.

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Noisey : Quand je t'ai envoyé un e-mail pour préparer cette interview, tu as mentionné le fait que tu commençais tout juste un nouveau job. C'est quoi ?
Fenriz : Ben, il y a plein de boulots différents dans l'industrie postale, mon pote. Les gens se gourent tout le temps - ils pensent que je suis facteur. Mais pas du tout. Je bossais avec des machines à trier, ce genre de trucs. Maintenant, je bosse dans le service des retours. Et il y a un paquet de retours. T'imagines pas.

Tu travailles dans cette industrie depuis longtemps, non ?
Je suis dans Darkthrone depuis 87, et j'ai ce job depuis 88. Mais j'ai changé de travail - et de lieu de travail - pas mal de fois. Maintenant j'ai des horaires assez cools, je fais ça le lundi et le mardi, et le reste de la semaine je suis tranquille. Mais du coup, je dois passer mon temps à envoyer des e-mails et m'occuper de trucs administratifs pour Darkthrone. Et de tout un tas de papiers pour le merch. En 87, Darkthrone c'était 70 % de musique et 30 % de courrier [Rires]. Aujourd'hui, je joue plus du tout et je passe mon temps à crouler sous la paperasse - je vais finir par me noyer dedans, si ça continue.

Mais tu gères le merch toi-même ? Quand quelqu'un commande un T-shirt Darkthrone, c'est pas toi qui l'emballe, quand même.
Non, non. Ça serait taré. Ça demanderait tellement de taf pour pas grand-chose. Quelques euros de plus. On n'a plus aucun contrôle sur le merch depuis 1991. On a vu que ça prenait des proportions abusées et qu'il n'y avait aucun moyen d'arrêter ça. On a bien vu que ça allait se terminer en combo casquette + string floqués Darkthrone, du coup on a laissé pisser. Ça nous intéressait pas de perdre notre temps avec ça. On donnait juste notre accord pour les visuels. Tout est copié par des mafieux Italiens, des Chinois ou des pays d'Europe de l'Est. Ils fabriquent le merch et on voit pas le cul d'un centime. On pourrait leur envoyer nos avocats, mais ça vaudrait pas le coup. C'est un putain de dilemme, cela dit. Donc ouais, on a dû faire deux T-shirts nous-même au début, vers 88 ou 89, avant que le label ne prenne le relais. Aujourd'hui, c'est une compagnie à part qui gère ça - mais on n'est pas impliqués. On touche évidemment un peu de thunes ici et là, mais je dois travailler pour gagner ma vie.

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Aux U.S.A., certains fonctionnaires peuvent prendre leur retraite au bout de 20 ans de travail. C'est pas pareil en Norvège ?
[Rires] Tu veux dire, comme les flics ? Non, ici, c'est différent. On ne met pas nos vies en jeu.

Nos facteurs non plus, en tout cas pas là où j'habite.
Ben, l'expression « going postal » vient quand même de chez vous, je crois. [L'expression fait référence à une vingtaine de massacres perpétrés par des employés de la poste américaine depuis 1986. Elle est utilisée pour désigner le comportement soudainement agressif et incontrôlable de quelqu'un - généralement sur son lieu de travail. Elle a aussi donné son titre à un jeu vidéo.]

Fenriz

Fenriz, pendant l'interview. Eh ouais.

[Rires] C'est exact. Mais ça fait un moment que ce genre de truc n'est pas arrivé.
Mais il y en a eu assez pour que ça rentre dans le vocabulaire, même dans mon pays. Putain, tu sais quoi, je devrais faire une compilation ou un podcast qui s'appellerait « Fenriz Goes Postal ». Ça serait complètement logique. Mais pour répondre à ta question, non, je suis pas près de prendre ma retraite. En tout cas pas d'un coup, je ralentis juste petit à petit. Ça fait 10 ans que je travaille plus à plein temps. Je suis passé de 32 heures par semaine à 28, et depuis peu, à 26 ou 25 heures.

T'arrives à payer ton loyer ?
Oh ouais, tout roule. J'économise pour ma retraite, justement. C'est pas normal de quitter ce job à mon âge. Ici, il y a plein de gens de 60 ou 70 ans, hommes et femmes, qui travaillent encore. Je crois que c'est bon pour la santé de bosser un peu, même une fois par semaine, jusqu'à tes 70 ans. Plutôt que de travailler comme un maniaque jusqu'à tes 52 ans et tout arrêter d'un coup pour partir t'enfermer dans un chalet.

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T'es pas près de faire une pause, alors.
J'en avais vraiment ma claque de mon job précédent. Celui-là est mieux. C'est dur, mais les journées passent vite et je peux écouter de la musique en même temps. je vais pas hésiter à lever le pied au fur et à mesure, mais j'aime pouvoir économiser de l'argent, alors… J'ai oublié de le faire dans les années 90, à l'époque où je bossais à plein temps. Je pensais que personne n'allait se demander pourquoi mon compte en banque se remplissait grâce à des virements qui venaient d'Angleterre (pour les disques et le merch Darkthrone). Jusqu'à ce qu'ils viennent vérifier ! [Rires]. C'était vraiment la roue pour payer mes factures vers 2001, 2002. J'avais plus un flèche. En fait, j'ai découvert que tous les chèques que je recevais avec Darkthrone étaient déduit de 20 % avant même que je les encaisse. Je perdais des tonnes de fric et Ted aussi : on était taxés à 60 % sur ce qu'il restait de nos revenus. Il y a pas longtemps, on s'est rendu compte qu'on avait le droit de demander à ce que le gouvernement nous rende tout cet argent. C'est ce qu'on a fait, et finalement, on s'en est pas trop mal sortis.

Tu es revenu à Kolbotn depuis peu - c'est de là que Darkthrone vient.
Oui. J''ai pris la décision d'arrêter de faire la fête il y a quelques années, et ça m'a permis d'économiser environ 22 000 balles. D'un coup, j'ai eu assez d'argent pour entrer dans le marché de l'immobilier. J'ai acheté et vendu plusieurs fois. J'ai gagné un peu de fric comme ça et je suis revenu à Kolbotn. Mais j'ai jamais vécu à plus d'une dizaine de kilomètres d'ici, en fait. Bon, c'est cool, ça me permet de rendre visite à mes potes métalleux et de rentrer jusqu'à chez moi en marchant - enfin, en titubant. [Rires]

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Darkthrone

Où en est le nouvel album de Darkthrone ?
Le label a toujours eu une espèce de vision sur le long terme pour nous. Mais on aime pas tirer des plans sur la comète. Quand on a des morceaux, on a des morceaux. Quand on en a pas, on s'en branle. En janvier, j'ai appelé Ted et je lui ai dit : « J'ai des trucs nouveaux - viens, on loue un studio ». Mais il était pas dispo. Du coup je les ai foutus à la poubelle. Entre-temps, on a fait ce bouquin qu'on a filé avec le coffret Black, Death and Beyond. Au départ, je voyais ça comme un bouquin normal. L'auteur aussi. Mais les mecs de Peaceville ont protesté: « on sort pas de bouquins nous, on sort des disques ! ». Ouais, bon. C'est le seul moyen qu'on a trouvé, du coup. Donc c'est un livret de 72 pages offert avec les CDs, mais ça prend autant de temps à lire qu'un vrai bouquin. Quand on fera un vrai livre, on essaiera de faire un truc plus élaboré.

Attends, t'as vraiment jeté les morceaux parce que Ted était pas prêt à enregistrer ?
Ouais. Enfin, je les ai mis de côté, plutôt. Ils sont sur mon ordi ou sur un lecteur mp3, je sais plus trop. C'est juste des squelettes de morceaux - c'est comme ça qu'on bosse, on a chacun des squelettes, et si on est dispos, on rajoute la peau et la chair tout de suite et on enregistre dans la foulée. Mais des fois, ça marche dans l'autre sens. Ted veut enregistrer et moi je lui répond « pas maintenant, mec» . Depuis 1998, on a sorti tellement de trucs. Je pense qu'on a le droit de souffler. Je sais pas combien de temps va durer ce break. Je crois que Ted bouge à Oslo, il faudrait quand même qu'on récupère une salle de répét'. Même si on répète pas [Rires]. Et puis je suis content du dernier album.

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Tu as raison de l'être. Tu as une perspective différente sur The Underground Resistance maintenant que ça fait presque deux ans qu'il est sorti ?
J'ai dû l'écouter environ 20 fois avant de faire des interviews. J'ai battu mon record, j'ai dû en faire une centaine, je préfère en faire la moitié. Ça prend trop de temps. Quand l'album est terminé et que le travail de Ted est terminé, moi j'en chie encore pour un moment. Il me dit toujours: « T'es pas obligé de répondre aux interviews ». Mais si je le fais pas, personne le fera.

Pourquoi tu ne lui dis pas de les faire ?
Parce que c'est toujours moi qui m'en suis chargé. C'est comme une seconde nature. Regarde, tu as réussi à m'interviewer alors que le groupe est en plein stand-by. Je joue même pas de musique, je passe mon temps à jardiner, à essayer de garder la pelouse en parfait état, à arroser les plantes. Et il faut couper du bois pour le feu !

Couper du bois est un bon exercice.
C'est une corvée. Mais ça me plaît d'apprendre à vivre comme ça plutôt que d'être un métalleux pilier de bar - ce que j'ai été de 1991 à 2003. Ça prend du temps de s'en sortir et de réussir à vivre la belle vie, mec.

Peu de temps après que tu aies arrêté de fréquenter les bars, on dirait que Ted et toi avez commencé à prendre plus de plaisir à jouer de la musique. Il y avait un sens de l'humour palpable sur The Cult Is Alive (2006) et sur The Underground Resistance.
Je pige pourquoi tu penses ça, mais on est toujours resté un peu tendus quand même. Je pourrais pas te dire à quel point on s'est amusés. Je sais vraiment pas. Pour The Cult Is Alive, on se rejoignait, on enregistrait, on finissait nos bières et on rentrait chez nous. J'attendais deux ou trois semaines pour que Ted les mixe, et pendant tout ce temps, je flippais. Je savais pas si les niveaux étaient bons, ce genre de trucs. Et on angoisse un peu de ne pas savoir à quoi va ressembler le produit final.

Est-ce que ça se passe aussi comme ça aujourd'hui?
Je pense pas qu'on soit totalement confiants… Quand les groupes ont trop confiance en eux, ils deviennent chiants. J'ai aucun idée de ce à quoi va ressembler le prochain album. J'ai deux-trois morceaux mal enregistrés, mais je suis pas sûr de vouloir les garder. Chaque jour, je me lève en me demandant quel riff je vais pouvoir composer. C'est super excitant. Mais ça me rend super nerveux aussi, parce que je sais pas dans quel direction aller. Et je sais pas ce que Ted va apporter comme idées. Mais bon, il suffit de jeter un oeil à notre catalogue pour piger que ce sera pas trop différent du reste. J.Bennett est fan de chaque album, chaque démo, chaque livre qu'a sorti Darkthrone depuis 1988. Du coup, il n'a carrément pas le temps d'être sur Twitter.