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Music

« France Chébran », le groove sous l'ère Mitterrand

Fans de smurf, scratch, funky, faux-rap, french boogie : on vous fait écouter en intégralité la nouvelle compilation Born Bad.

« Je me souviens d’une toute première version dans le studio de maquettes de Polydor. Gérard Presgurvic et moi avions déjà 30 % des paroles, et la mélodie du refrain. Les paroles devaient être chantées, mais ça ne collait pas. J’ai proposé le parlé-chanté, un peu à la façon beatnik Last Poets, ou d’influence Nougaro, mais ça ne collait pas non plus. Soyons clairs : le rap n’existait pas, et on ne l’a pas inventé non plus. En ce qui me concerne, la naissance officielle du rap, c’est Grandmaster Flash. C’est “The Message” qui a permis la naissance de “Chacun fait”, même si le flow de notre titre est plus celui de “The Magnificent Seven” des Clash.

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À l’écoute de la toute dernière maquette, les opinions de chacun restaient mitigées. Mais une fois le titre en 24 pistes, tout le monde en voulait… Je l’avais fait écouter à Claude Carrère qui voulait le faire interpréter par Alain Delon et Mireille Darc… Puis CBS voulait le signer dans la version que vous connaissez, et c’est finalement Barclay qui a emporté l’affaire. Mais notez bien que même une fois sorti, le 45 tours n’a pas reçu l’enthousiasme de toute la maison de disques. La promo s’y référait comme étant le vilain petit canard des titres à promouvoir. Puis Radio 7 y a cru, puis France Inter avec Philippe Manœuvre, et enfin NRJ s’en est emparée, et l’a matraqué.

Nous étions plusieurs à y croire à fond, mais personne n’imaginait qu’on en vendrait autant ! Bien entendu, le message de “Chacun fait (c’qui lui plaît)” tombait bien dans l’état de grâce des premiers mois de Mitterrand… Pour le reste, les paroles des couplets restent hardcore et dépressives… Comment on a pu dépasser le succès d’estime reste un mystère… Je ne pense pas que Chagrin d’Amour ait créé une quelconque scène rap en France. Qui peut considérer “Vacances j’oublie tout” comme un rap ? Ou encore le cover sympa des Charlots ? Je dirais que Les Inconnus ont tué et enterré l’affaire pour de bon. Le vrai rap français pour moi naît avec NTM, quelques années plus tard. »

Et pourtant… C'est Philippe Bourgouin qui parle (extrait du n°3 de la revue Audimat), parolier et co-producteur de « Chacun fait (c'qui lui plaît) », premier morceau de ce qu'on pourrait appeler le faux-rap en France, un courant dans lequel de multiples producteurs plus ou moins doués influencés par le disco-funk new-yorkais vont s'engouffrer dès la fin 81. C'est ce genre, dont l'appellation French Boogie semble aujourd'hui la plus établie, et qui semble générer de plus en plus d'intérêt, que le label Born Bad aidé de Fred du Serendip Lab a décidé de documenter à travers sa nouvelle compilation, Chébran. Cette pochette géniale pourrait d'ailleurs faire date au royaume du graphisme boogie. (À quand la version poster ?) Son titre ? Une référence au passage télé de François Mitterrand face à Yves Mourousi sur TF1 en avril 1985, où le président apostrophait l'animateur avec cette punchline cosmique : « Chébran, c'est déjà un un peu dépassé, vous auriez dû dire câblé ! » Bon, France Câblée aurait eu un peu moin de gueule et trop sonné comme une compile de spots publicitaires, alors que là c'est pas du tout ça. Vraiment pas.

Ici, c'est plutôt « Salut les salauds ! », le refrain que crie Wallis Franken en direction de la porte de la boîte, au milieu de son groupe Interview. Se bousculent dans la file, une star de la nuit (Krootchey, parrain de l'electro et de la house), des mecs venus pour foutre la merde (Gérard Vincent et Daniel Trigo, vous apprendrez d'ailleurs dans le livret que son morceau « La Dégaine » était un disque conçu à la base pour la marque Chipie, annonciateur de cette folie du brand-rap, de K-way à Pantashop), déboule aussi un playboy en détresse (Guy Accardo, 100 % Style), un gamin déjà fatigué qu'a pas l'âge (Pierre Edouard sur un ovni signé Jay Alanski), un grand timide (Hugues Hamilton), des rigolos en école d'art (Casino), ou de cinéma (Pascal Davoz), des meufs pas farouches (Anisette et Bianca, qui n'est autre qu'Agathe, la chanteuse de Regrets), des mannequins new-yorkaises de passage à Paris (New Paradise), quelques zazas (Henriette Coulouvrat, Ich) et dans la cabine, au micro, l'homme, la légende : Yannick Chevalier, l'animateur phare du funk FM sur les radios libres. Vous l'avez deviné, on est dans la discothèque idéale, en compagnie de la faune 80's par excellence, et au cas où vous en doutez encore, mettez cette playlist à fond dans votre walkman :

Vous pouvez vous procurer la compilation en format CD ou LP sur ce lien. Elle sort demain. Rod Glacial dit le funk et pas la funk. Il est sur Twitter.