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Music

Dead Obies rappent pour un Québec libre

Ils n'ont pas envie de choisir entre Anglais et Français et pensent que Drake est « un petit Américain ».

Photos - Ellie Pritts

Un samedi après-midi à Montréal. Des types torse-nus courent en rond sur scène. Non, ce n'est pas une expérience collective indie folk conçue par Win Butler qui en aurait eu marre d'écrire les paroles de Arcade Fire dans le café en bas de la rue. Ces types s’appellent Dead Obies, ils sont à la fois Canadiens, Français, punks et rappeurs. Et ils veulent tout niquer.

J'ai vu ces mecs – dont je n'avais jamais entendu parler – jouer au festival

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M for Montreal

en novembre dernier. Ils ont enlevé leurs t-shirts, ont commencé à sauter les uns sur les autres avant de se mettre à cracher sur le public. Puis ils se sont crachés les uns sur les autres. Puis ils ont fracassé des bouteilles de bière. Le bordel s'est ensuite propagé au sein de la centaine de personnes présentes – les gamins devant la scène connaissaient les paroles de chaque morceau. C'était cool.

Leur concert était clairement le plus fou du festival, je devais donc aller leur parler. C'est dans les backstages d'un des nombreux clubs de Montreal, avec quelques bières gratuites, que j'ai pu discuter avec les six membres – Yes Mccan, Snail Kid, 20some, RCA, VNCE et O.G. BEAR, qui ont entre 26 et 31 ans. On a causé de leurs origines, de Drake « le petit Américain », et de la complexité de la culture québécoise.

Vous pouvez écouter leur deuxième mixtape,

Collation Vol.2 - Limon Verde : La Experiencia

juste là.

À quoi ressemble la scène rap de Montréal ?

Snail Kid

: Tout est toujours divisé en deux, les trucs français d'un côté et les trucs anglais de l'autre. Y'a des mecs cool du côté anglais, qui tournent surtout vers Toronto, et à Toronto tu as accès au reste du monde. La scène française est beaucoup plus locale et super excitante, avec tous ces groupes qui débarquent avec des nouvelles façons de rapper, des nouveaux beats. Grâce à Internet, on est vraiment connectés et on voit ce qui se passe partout. Des types médiocres peuvent intéresser quelqu'un à Montréal. Il y a 20 ans, quand Nas a débarqué, on n'avait rien de tout ça au Québec, ça a pris environ 5 ans pour que les gens en entendent parler. Maintenant, je pense que tout s'égalise, au niveau international.

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Vous êtes plutôt rattachés à la scène anglophone ou francophone ?

Yes Mccan

: Les deux, c'est ça notre truc. Le Québec est divisé aujourd'hui, mais on n'a pas à choisir notre camp. On ne le fait pas, mais en général les gens nous rattachent à la scène française. On conserve une grammaire française mais on est beaucoup influencé par l'anglais, pour les verbes notamment. Ma phrase est en français, mais les noms et les verbes pourraient être remplacés par des mots anglais. L’utilisation de ces mots est un réflexe chez moi.

20some

: Y'a une interaction entre les langues. On a une façon de faire unique, qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde. C'est super créatif, surtout pour les rimes. Par exemple avec le français tu travailles sur les syllabes parce que tu ne peux pas te reposer sur le rythme. Quand tu les lis, ça ne rime pas, mais quand tu rappes avec, ça s'imbrique bien. Les anglais ont plus de vocabulaire, on aime faire rimer un mot anglais avec un mot français, c'est drôle. Et ça rend encore mieux.

Au Québec tout le monde parle français, les gens pensent qu'on met de l'anglais dans nos chansons pour mieux vendre. Mais quand tu vis ici, tu sais que l'anglais est partout, à la télé, sur Internet… Si tu ne veux lire que des trucs en français sur Internet, c’est restreint. L'anglais fait partie de nous, mais on continue de parler français parce qu'on sait d'où l’on vient.

Comment est-ce que ce conflit se traduit dans votre musique?

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20some

: On fait ça à plusieurs niveaux, et sous plein d'aspects. En musique, il y a tout un background indie-rock à Montréal, surtout depuis le début des années 2000 avec tous ces groupes qui sont arrivés. Le truc, c'est que les gens sont tournés vers l'indie rock, la musique électronique indépendante et tous ces trucs, finissent par fusionner. On vit dans une ville rock'n'roll, on mélange tout. Par exemple on a un morceau punk rock, on ne fait pas un truc figé de trap ou de boom bap ou je ne sais quoi. On mélange plein d'influences. Pour la langue aussi, on s'est fait allumer pour avoir mélangé les deux, parce qu'il y a ce poids de l'histoire au Québec, dans la défense des droits sociaux et des droits des francophones, cette lutte pour l'indépendance qui nous touche vraiment.

Le dernier référendum a eu lieu en 1995, j'avais 5 ans. Il y a cette cicatrice dans le cœur des francophones, et quand des gens tentent de mélanger les deux langues, ils ont peur de perdre définitivement leur identité. C'est notre héritage culturel, mais aujourd'hui c'est aussi devenu un problème politique. Tout ça a produit une sorte de racisme qui ne dit pas son nom. On met toute cette rage dans notre musique. On veut juste calmer ces enculés.

Vous voulez apportez quoi en tant que groupe de rap?

20some

: Notre plus gros objectif, ce dont je rêve et que je n'aurais jamais cru pouvoir faire, c'est d’avoir pu enregistrer cet album. Je le trouve vraiment bien et je suis super fier de tout ce qu'on a fait. Ça fait une semaine qu’il est sorti et toutes les critiques sont positives.

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Snail Kid

: Il est super bien accueilli oui, c'est rare que le hip-hop reçoive de bonnes critiques au Québec, les gens n'aiment pas vraiment ça.

Ouais, quand je pense à Montréal, je pense plus à Arcade Fire qu’au rap.
Yves Mccan : Y'a des trucs qui vont arriver, garde un œil sur Montréal. Ces deux dernières années, on a pas arrêté de bosser, on est parti de rien et maintenant on a plein de bières gratuites. Je veux aussi voyager avec ma musique. Voyager gratos.

20some : On aimerait que les gens soient touchés par notre musique. Que ce soit des milliers de gens ou un type tout seul, ce qui importe c'est qu’ils soient touchés par ce qu’on fait. On est six, on veut toucher au moins une personne chacun (si possible une fille), que les gens écoutent notre album pendant une journée de merde, en allant au boulot, et que ça leur redonne le moral comme moi quand j'écoute Kanye ou Jay-Z et que j'ai l'impression d'être le patron dans la rue. S’ils se sentent mieux grâce à ma voix de merde, alors j'aurai réussi. Vous pensez quoi de Drake ?
20some : Personnellement, je m'en fous de ce mec, il ne m'a jamais influencé.
Yes Mccan : Ce sera toujours un truc d'américains. Mais si tu veux rester true tout en vendant des disques, tu dois rendre hommage aux pionniers, tu dois vraiment comprendre le truc et travailler dur pour piger le swag de cette musique, son esprit et son esthétique. Mais tu dois aussi y mettre du tien, apporter ton propre savoir, c'est pour ça que le rap français est à la ramasse. Pour moi, Drake est américain. Comme la culture canadienne. C'est quoi la culture canadienne ? On ne connaît que le Québec. Pour moi le Canada sera toujours une petite Amérique. O.G. BEAR : Drake, c'est un petit Américain.
Yes Mccan : Sérieusement, je ne savais même pas qu'il venait de Toronto. Tu dois y mettre du tien et ne pas uniquement copier ce qui s'est fait à New York, parce que ça se verra que tu n'es pas de New York. J'ai grandi en écoutant de la crack-musique, mais je ne prends pas de crack. Je ne vais pas rapper là-dessus même si nous a influencé.
20some : C'est pour ça que certains disent qu'on fait du post-rap, parce qu'on ne revendique pas le fait de faire du rap. Je ne dis pas que je suis un rappeur, je dis juste que c'est mon point de départ. Je commence avec le rap, et je vais voir ailleurs. Je m'éclate, je l'utilise comme le point de départ de mon art, mais si on me compare à Redman par exemple, je ne suis pas un rappeur. Eric Sundermann a fait quatre ans de français au lycée. Il est sur Twitter – @ericsundy Plus de rap du Canada Noisey Meets : Roi Heenok
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