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Music

Sonic Protest fête ses 10 ans

Les organisateurs du festival le plus sauvage de Paris reviennent sur une décennie d'émeutes et de concerts impossibles.

La plus belle connerie que vous puissiez faire -et que vous ferez sans doute quand même- est de considérer Sonic Protest comme un festival chiant, prétentieux et élitiste, juste parce que vos groupes préférés n'y jouent pas et que l'ensemble du festival se passe dans des endroits où vous n'avez jamais mis les pieds. Il est d'ailleurs tout à fait possible que vous n'ayez jamais assisté à la moindre édition de Sonic Protest, alors que le festival fête cette semaine ses 10 ans, avec une édition de haut luxe où se croiseront Thurston Moore, Lee Ranaldo, Brigitte Fontaine ou les cultissimes KG et Terminal Cheesecake. J'ai été discuter avec les deux organisateurs de l'événement, Franq de Quengo et Arnaud Rivière, histoire de faire le tour de ce que vous aviez manqué, du concert pour peluches des argentins de Reynols, à l'émeute provoquée par Ich Bin, en passant par les prestations historiques des Brainbombs et The Dead C.

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2003

Les Reynols

Noisey : Au départ, vous lancez Sonic Protest comme un «mini-festival ».
Franq de Quengo : Oui, deux jours uniquement.
Arnaud Rivière : À l'époque, Benoît avait un label, Textile Records, Franq tenait la boutique de disques Bimbo Tower, où on trouvait justement les disques de Textile Records et les places pour les concerts organisés aux Instants Chavirés, à Montreuil, où moi je travaillais comme programmateur. On était donc liés les uns aux autres, d'autant plus que moi aux Instants, je prenais un peu le relais de Franq, qui, à l'époque où la salle ne proposait que de la musique improvisée et du jazz contemporain, organisait les concerts un peu rock/déviants avec l’asso Orties, qui était également un fanzine. C’est ça qui m’a attiré vers cette salle et quand il a arrêté. J’ai pris sa suite, en quelque sorte.
Franq : On faisait aussi de la musique sur Textile, dans plusieurs groupes différents…
Arnaud : Il y avait une vraie envie, à un moment, de faire des trucs ensemble, tous les trois. Et c'est arrivé grâce aux Reynols, un groupe argentin qui venait pour la première fois en Europe. On voulait marquer le coup, pas juste organiser une simple date, alors on a monté ce festival.
Franq : On leur doit un peu le festival, et une aussi une rencontre mémorable. Au départ, ils devaient juste faire cette date, mais à cause des vieux restes de la guerre des Malouines, ils n’ont pas pu avoir leurs autorisations de travail pour tourner au Royaume-Uni, du coup ils sont venus squatter 10 jours chez moi, et on a organisé un deuxième concert du groupe pour la radio Résonances FM, devant un public uniquement composé de peluches.

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2004

Jerome Noetinger

Arnaud : On commence à ouvrir un peu la programmation, avec des gens comme Jerome Noetinger. Dés le début, on a cette envie de sortir des ghettos ultra-spé, expérimentaux.
Franq : Jerome Noetinger s’est d'ailleurs adapté au public en jouant un morceau de Metal Urbain dans son Revox [Rires]

2005

Volt Là ça s'ouvre vraiment, avec des groupes comme Volt, Gang Gang Dance, Melted Men…
Arnaud : Oui, ça commence à prendre forme, surtout que durant l'année qui s'est écoulée, je me suis barré des Instants et du coup c’est la première édition de Sonic Protest où on gère tout tous seuls, on est plus « hébergés » aux Instants, même si on garde des liens, ils continuent à nous « porter » administrativement, à nous soutenir. C'est aussi l'année où on se dit qu'on veut vraiment faire bouger le festival, le faire vivre dans différents endroits. On passe à 4 jours, dans des salles comme Mains d’œuvres. Et on fait jouer des groupes qui vont devenir plus gros, comme Gang Gang Dance, où des gens avec un son plus rock, plus accessible, comme Volt ou Duracell.

2006

Don Caballero, live, à leur meilleur, en 1993

Une année où vous invitez pour la première fois de grosses pointures, comme Don Caballero et Country Teasers.

Arnaud :

Et surtout ils vienent spécialement pour le festival, on ne les capte pas sur le chemin d'une tournée. C’est la première fois qu’on le fait, c’est un gros pas en avant. On sait qu'on n’est désormais plus limités aux catalogues des tourneur ou aux groupes de Mulhouse [

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Rires

]. Même si, bon, le Don Caballero de 2006 n’est plus tellement le vrai Don Cab… On commence aussi cette année-là à développer une équipe de bénévoles, et la réputation du festival circule doucement, les gens captent que c’est quelque chose de très ouvert, que l’ambiance est bonne, pas du tout ghetto ou cul-serré, bien au contraire.

2007

Le Casio-grind des anglais de Trencher

Arnaud :

C'est l'année du décès de Benoît. L'édition est à moitié conçue dans une chambre d’hopital… Ça se finira évidemment très mal, mais on va trouver l'énergie de faire le festival quand même, pour ne pas se laisser abattre et rendre hommage à notre pote. Il y a donc un truc très fort qui se passe. On invite Justice Yeldham, Tetuzi Akiyama, Digep, Peter Brötzmann… Pas vraiment de têtes d’affiches.

Franq :

Faut dire qu'on était contre les têtes d’affiches à ce moment là [

Rires

]

Arnaud :

Et puis surtout ça tombe en plein pendant le second tour des Présidentielles. Le soir de l'élection de Sarkozy, Charlie O a joué une verison funky de « Maréchal Nous Voilà », Trencher, un groupe de Casio-grind anglais a fait un concert complètement taré, et puis il y a le mec d’Astral Social Club qui est monté sur scène complètement défait et qui a balancé un set ultra dance. C'était assez dingue.

2008

Là, on revient sur les têtes d'affiches, avec Jean-Louis Costes, Deerhoof, et surtout la venue de Brainbombs

Franq :

Ouais pour nous, Brainbombs c'était un très gros truc. On a même eu un américain qui est venu exprès des USA pour ce concert.

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Arnaud :

Faut dire que c’était leur sixième concert, et je crois qu’ils n’ont pas rejoué depuis. Les types de

Skull Defekts

nous avaient prévenu la veille : « Vous allez voir, ils ne vont pas venir, nous aussi on les avait invités à Göteborg et le soir du concert ils ne sont pas venus. » Bon après, ça doit plus les faire délirer de venir à Paris qu’à Göteborg.

Franq :

Ce qui a du jouer pas mal aussi c’est qu’on les programmait avec Catalogue, dont ils étaient très fans. Ça les a rassuré que ce ne soit pas un énième festival de garage ou quoi.

Arnaud :

Le truc fou c’est qu’en préparent le truc, les mecs qui nous disaient : « On vient mais on ne prend rien, trouvez nous une guitare, une batterie, des pédales. » Là, on commence à se dire qu’ils cherchent à nous embrouiller. On leur a dit : « Ok, prenez vos pedales à vous et on se démerdera avec le reste. » On leur a trouvé des gutrares, des amplis…

Franq :

Ça n'a pas été facile. Personne ne voulait prêter son matos aux Brainbombs [

Rires

]

Arnaud :

Ils ont joué sur le backline de Catalogue. Ils s’installent et là ils démarrent et c’est Brainbombs avec le son de Brainbombs et c’est génial.

Franq :

C’est des mecs qui controlent tout leur truc. La seule video qui existe de ce concert c’est un pote à eux qui filme et c’est sur-saturé. Il n'y en a aucune autre.

Arnaud :

Il y a aussi Ich Bin et A.H. Kraken, qui terminent cette édition dans un chaos total. Le concert de Ich Bin, c'était l'émeute, les gens du 104 étaient pas prêts au truc, ils ont hyper flippé en voyant le public s'exploser sur scène, et le groupe en train de distribuer de l'alcool dans la salle. À ce stade, on est sur 6 jours de festival, quasiment le format actuel, sauf qu’on est pas encore autonomes, moi j'ai encore un job à plein temps. C’est dur physiquement mais c’est génial, l’ambiance devient vraiment incroyable.

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2009

Le clip promo pour la tournée européenne Sublime Frequencies de 2009

Arnaud :

L'année du break. On a tous les deux des enfants, on essaye de s'y remettre mais c'est vraiment trop dur. On a juste fait deux soirées aux Instants, où on a invité le label

Sublime Frequencies

, avec Group Doueh et Omar Souleyman.

2010

Arnaud :

On relance le truc avec des petites soirées, dont une avec David Grubbs. On retrouve enfin la motivation, et on se sent prêts à relancer le truc en 2011.

2011

Arnaud :

On revient vers l'esprit des tous débuts : pas de tête d’affiche, on programme

Radikal Satan

,

Scorpion Violente

, qui a l’époque sont nettement moins connus qu'aujourd'hui.

Franq :

Et GLU, surtout. GLU c’était un gros truc pour nous. Surtout en le programmant avec Charles Pennequin, parce que c’était pas vraiment un groupe qui se mélangeait avec d’autres gens, c'était des types vraiment très particuliers, à part.

Arnaud :

Ça a d'ailleurs failli très mal tourner. À un moment sur scène, on a vu un des mecs mettre une main sur l'épaule de Pennequin, lui dire un truc à l'oreille et Pennequin est parti, il a quitté la scène [

Rires

] On n'a jamais su ce qu'il lui avait dit ! Mais il faut justement tenter des trucs comme ça, même si ça merde, pour tenter des choses, rendre le truc excitant, sinon tu tombes dans le travers que les gros fests, qui invitent systématiquement les mêmes groupes, dans un cadre similaire.

2012

Le festival revient à de plus gros noms, notamment avec Kim Fowley.

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Arnaud :

Oui là on arrive à un format structuré, quasi définitif, et un festival organisé de manière plus professionnelle, parce qu’on s’est rendu compte qu'on pouvait faire les choses mieux, en y passant légèrement plus de temps.

Franq :

« Légèrement », oui…

Arnaud :

Il y avait moyen d’arriver à autre chose. Ça nous a permis de vraiment réflechir à ce qu’on voulait faire de ce festival, de nous décider à demander des subventions, avec tout ce que ça implique. Ça reste toutefois quelque chose de près précaire et de très fragile, on reste dans l’underground le plus total, t'as qu'à voir, on bosse dans une cave !

Franq :

Kim Fowley, c’est notre premier gros concert à l’église St Merri, on en avait déjà fait avant mais c’était plus adapté, plus confidentiel, là c’était vraiment plus grand public, et le concert est blindé, il y a une gros intérêt des médias. C'est un concert qui a changé pas mal de choses, on a eu un article dans Libé…

Arnaud :

Le truc cool c’est de voir qu’il y a enfin un retour, et c’est quand même pour ça qu’on fait ce festival à la base.

2013

Nouvel événement avec la venue de The Dead C.

Franq :

Oui, The Dead C, c’est un souvenir génial, comme Brainbombs, le groupe que personne ne réussit à faire, et là, enfin, on les a.

Arnaud :

Ça faisait 4 ans qu’on galérait, et puisun beau jour, ils nous disent : « Ok, on va pouvoir venir. Par contre, qu’est-ce qui me prouve que tu vas me payer ? » Mais ce n'était pas du mépris de leur part ou quoi, juste une franchise peu brutale [

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Rires

] Dès le début, il nous avaient prévenu qu’il seraient chiants, et que si rien n’était géré comme ils le voulaient, il nous feraient chier sur place, alors il valait mieux tout clarifier en amont. Mais on a réussi à gérer le truc, et le concert était génial, même si, au final, c’est vraiment le batteur qui fait tout.

Franq :

Le batteur, et son taux d’alcoolémie, et les pilules qu’il prend.

Arnaud :

Tant qu’il joue c’est génial. Et puis, à un moment, il s’écroule, et là ça devient un truc de guitare abstraite.

2014

Une édition assez impressionnante cette année, notamment cette soirée le 12 avril à Montreuil, avec Terminal Cheesecake, The Rebel, Spectrometers…

Franq :

Ouais, on trippe bien sur celle-là, c'est clair, mais pour le moment, elle ne motive pas vraiment les foules.

Arnaud :

En fait, cette année, beaucoup de gens réduisent la programmation à la venue de Brigitte Fontaine, de Thurston Moore, de Lee Ranaldo.

Franq :

Forcément, ça crée des fantasmes…

Arnaud :

Les gens commencent à se faire des films, ils se disent que vu que Steve Shelley tourne avec Lee Ranaldo, ils vont jouer tous les trois et reformer Sonic Youth.

Tournez le truc à votre avantage, annoncez une reformation de Sonic Youth avec Brigitte Fontaine à la basse.

Arnaud :

Oui, ou Yoko Ono ! Non, mais on est hyper excités par cette édition, ça devrait le faire, et j'espère que le public s'élargira encore pour le coup, ça c'est vraiment ce qu'on peut souhaiter de mieux.

L'édition 2014 de Sonic Protest a commencé depuis vendredi, et continue jusquà ce dimanche, avec Brigitte Fontaine, Areski Belkacem, Merzbow, Zeitkratzer, Lee Ranaldo, Thurston Moore, Terminal Cheesecake, Action Beat, Spectrometers, etc. On a évidemment des places à vous faire gagner.

Lelo Jimmy Batista est le rédacteur en chef de Noisey France. Il ne se souvient absolument pas de ce qu'il faisait en 2003. Il est sur Twitter - @lelojbatista