Sacha Béhar est auteur et humoriste. Parce qu’il se définit lui-même comme un « catalyseur de réussite », on lui a demandé d’imaginer les pires idées de restaurants à thèmes. Dans la peau d’un entrepreneur-loser, il nous livre le récit de ses tentatives infructueuses et de ses concepts avortés.
Je suis pauvre, affamé, sous mes yeux gisent les ruines de mon dernier empire. Tel Icare, je me suis brûlé les ailes, non pas à cause du soleil mais plutôt de l’impitoyable réalité de la restauration rapide. En tentant de bouleverser les codes, de réinventer les plats, j’ai surtout gâché ma vie. Avant que je me suicide, laissez-moi vous narrer mes infructueuses tentatives.
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Bolide Burger
Tout a commencé avec un camion-restaurant des plus classiques surfant sur la mode du hamburger. Le succès fut immédiat, les clients venaient en nombre grâce à ma stratégie consistant à se garer juste devant le food truck concurrent en ayant au préalable crevé les pneus de ce dernier.
L’ambiance y était bon enfant, par exemple quand quelqu’un laissait un pourboire généreux je faisais des burns avec le camion tout en klaxonnant. En somme, les gens venaient pour déguster des bons burgers sans trop se prendre la tête.
Puis, du jour au lendemain, plus personne n’est venu. Difficile d’expliquer cette soudaine désertion, cela est peut-être dû à cet incident : un client attendait sa commande au comptoir quand l’ouverture latérale du camion s’est refermée brusquement, le décapitant sous les yeux de ses proches et des clients médusés. Avec le choc, sa tête a été propulsée dans l’huile de friture bouillante. Malgré ma formation aux premiers secours, je n’ai rien pu faire pour ce pauvre homme. Sa mort en a amené une autre, celle de mon food truck.
O’Bagel
Toute la communication de ce fast-food était basée sur le second degré et le harcèlement moral des clients. Des messages hilarants et décomplexés s’affichaient sur les murs, comme « Le gras c’est la vie ! » ou encore « Nous haïssons les femmes ». Il y avait aussi quelques croix gammées. Nous étions tellement décalés que les assiettes étaient remplacées par des brouettes et les couverts par des truelles. Et si les bagels avaient un goût étrange voire repoussant, il fallait voir ça comme une « expérience culinaire ironique avec zéro prise de tête ».
Nos détracteurs nous traitaient de racistes ou d’homophobes, d’autres évoquaient le terme « malbouffe » du fait de nos plats bourrés de calories et de bactéries dévoreuses de chair, donnant à nos clients déçus la diarrhée et au passage, le désir ardent de ne plus remettre les pieds dans notre établissement.
Avec le recul, je dirais que les parasites mangeurs d’homme sont responsables à 95% de la fermeture d’O’Bagel.
La Panini Gallery
Ou quand le pain rencontre les aliments. Plus qu’une sandwicherie, un haut-lieu de création et d’exposition culinaire. Ici, j’avais sous mes ordres non pas de simples employés mais des Panini Artists ™. Répondant aux exigences des clients, ils devaient créer des paninis capables de susciter des émotions fortes et inoubliables.
Au bout d’une semaine, mes artistes avaient plus l’impression de faire du travail à la chaîne que de créer des œuvres d’art. Je tentais pourtant de stimuler leur créativité au quotidien en mettant de la musique inspirante ou en faisant poser un modèle nu (moi-même). Ils répétaient souvent le mot « burn-out », certainement pour faire écho au grill à paninis, leur outil de création. Ils me parlaient aussi de « dépression », sans doute le fameux syndrome de la page blanche que chaque artiste rencontre au moins une fois dans sa vie. Selon eux les conditions de travail étaient « inhumaines et inacceptables », je pense plutôt qu’ils attendaient la visite de leurs muses…
Il y avait donc entre les Panini Artists ™ et moi de nombreuses divergences artistiques. Je cherchais un art brut et eux voulaient « me poursuivre en justice ». Après la publication d’un manifeste intitulé Convocation en audience du jugement du Conseil des Prud’hommes, le mouvement du Panini Art ™ cessa d’exister.
Et puis il y a eu aussi…
Le p’tit kebabier
Je tentais de rebondir avec un postulat osé : revisiter le mythique kebab en remplaçant le pain pita par une galette de blé noir, la viande par un œuf au plat et la sauce par du beurre demi-sel.
Le camion qui penche
C’est après avoir vu le film Inception que j’eus l’idée de proposer une cuisine inclinée avec un food truck garé sur une pente raide. L’oubli du frein à main a hélas eu raison de mon établissement qui a percuté un camion citerne avant d’exploser.
Taco Tac
Inspiré des légendaires speakeasy (bars clandestins durant la Prohibition), le Taco Tac était un restaurant caché proposant une atmosphère intimiste et hors du temps. Pour y accéder il fallait traverser une pizzeria, puis une animalerie, puis un cyber café, puis un site de traitement des déchets, puis des égouts, puis un parking et enfin un restaurant de tacos appelé Taco Tak. Les clients, confondant cet établissement avec le mien, ne cherchaient pas plus loin, à mon grand dam.
La camionnette du pédophile
Il y a quelque chose dans le nom qui devait déranger. J’aurais mieux fait de remplacer «camionnette» par «food truck».
Le dernier bouquin de Sacha Béhar et Augustin Shackelpopoulos, Fiche de lecture, 120 chefs-d’œuvre en 1, aux éditions Marabout, est disponible dans toutes les bonnes librairies.