Ressorti l’an dernier chez Drafthouse Films, le film de 1981 Roar commence avec un duo improbable : l’actrice star des Oiseaux d’Alfred Hitchcock, Tippi Hedren, et son mari, le talentueux agent et producteur de L’Exorciste, Noel Marshall. La carrière de réalisateur de ce dernier s’est résumée à un seul film de fou furieux où batifolent une centaine de lions, tigres, pumas, guépards (et deux éléphants), bien évidemment tous sauvages.
ROAR [Theatrical trailer] de Drafthouse FilmsVideos by VICE
L’histoire remonte à 1969, quand Marshall rend visite à Hedren sur le tournage de Satan’s Harvest en Afrique. Ils en profitent pour fair eun tour dans une réserve d’animaux sauvages. Lors d’une virée au Mozambique, ils tombent sur un spectacle saisissant : une maison de gardien abandonnée, où des lions ont élu domicile. Le couple repart avec l’idée d’en faire un film.
Ils imaginent une intrigue basée sur des animaux qui perdent leur habitat naturel, filmé en Californie dans leur ranch, à une soixantaine de kilomètres de Los Angeles. Marshall écrit le scénario, sur un écolo (joué par lui-même) qui vit au milieu des lions, craignant pour leur sécurité à l’égard des braconniers et du gouvernement. Marshall sera le réalisateur tandis que Hedren et leurs enfants — une jeune Melanie Griffith, Jerry et John Marshall — interprèteraient la famille du militant, obligés de repousser les bêtes eux-mêmes lorsqu’ils viennent lui rendre visite.
Ce qui a commencé comme une production de six mois à 3 millions de dollars s’est transformée en épopée de cinq ans et 17 millions de biftons (financé en grande partie par Hedren et Marshall eux-mêmes). Marshall et son équipe (dont le futur réalisateur de Twister, Jan de Bont) ont filmé dans un style documentaire avec des caméras Panavision 35mm. Certaines scènes, comme celle où Marshall conduit une Jeep en compagnie de deux tigres, ont demandé des semaines de répétition.
Il est vite devenu évident que les animaux ne pourraient pas s’empêcher d’attaquer les membres du tournage le temps de réaliser une prise entière. Plus de 70 attaques ont été répertoriées : de Bont a été scalpé par un lion, écopant de 120 points de suture à l’arrière du crâne ; Noel Marshall a été mordu à de nombreuses reprises et a été hospitalisé suite à une gangrène ; Hedren s’est fracturée une jambe lors d’une scène avec Timbo l’éléphant. L’actrice s’est rendue compte plus tard que sa jambe était aussi gangrenée, lors d’une visite à l’hôpital auprès de Jerry, qui avait également une blessure à la jambe. Et la liste est encore longue. Une blessure horrible qu’a subi Melanie Griffith apparaît même en images, dans une scène où un lion l’empoigne — elle subira ensuite une chirurgie réparatrice du visage.
Ces incidents ont relégué le film au rang d’inclassable : certains acteurs et techniciens parlent ouvertement des problèmes rencontrés sur le tournage, tandis que d’autres, dont Griffith, ne veulent plus rien à voir avec le film. Pendant le tournage, il a été suggéré que, en raison de l’implication de Noel, la production a été poursuivie par la « malédiction de L’Exorciste » — des malheurs touchant toutes les personnes liées au film d’horreur. Ils n’avaient pas complètement tort : le tournage a été parsemé de fluides et de maladies, de lions tués ou relâchés, d’équipement foutu et d’un retard de huit semaines avant que le tournage ne reprenne.
Trouver une distribution pour le film prendra une autre demi-décennie, Roar qui sortira finalement en salles en 1981 avec une entrée au box-office d’à peine 2 millions de dollars. Sans grande surprise : en dehors de ces anecdotes terrifiantes, le film est un navet absolument bordélique.
Étiqueté « comédie féroce », le film semble maintenant montré comme la tentative complètement foirée de Marshall pour faire un film sérieux. Dans une scène presque plausible, les acteurs essaient vainement de jouer comme si de rien n’était, coupés toutes les minutes par des grognements — vous sentez finalement que vous êtes le seul fou inquiet pour la sécurité des membres du tournage. Prenez Togar, un Scar en puissance qui rampe et mutile à peu près à chaque scène et regardez comment Noel Marshall semble s’en foutre royalement, comme si Togar n’était un qu’un invité un peu relou qui ne sait pas se tenir lorsqu’il a trop bu.
On connaissait déjà le train de vie barré de Marshall, Hedren et leurs enfants dans les années 70. Une incroyable série de photos du magazine LIFE montre Melanie Griffith et la famille dans leur maison de Beverly Hills en compagnie d’un lion qu’ils avaient acheté après la suggestion d’un dresseur d’animaux. Plus tard, c’est sept lions qu’ils ont ramené chez eux, jusqu’à ce que leurs voisins se plaignent du bruit, de l’odeur et de la sécurité en général avec huit félins juste à côté de leur baraque.
Sur le papier, la saga Roar est celle d’une famille “tarée” avec de nobles intentions — sans considération pour l’opinion véritable des membres de la famille concernée — risquant sa vie pour le bien du cinéma. Ces intentions sont pourtant bien réelles : la Roar Foundation, une organisation à but non lucratif fondée par Tippi Hedren a vu le jour depuis, avec notamment la réserve Shambala, sanctuaire pour gros matous. Quant au film lui-même, Roar reste une jolie tentative et un document fascinant.