FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

Comment éviter la guerre spatiale ?

La militarisation de l'espace ne ressemble pas à un space opera. C'est un thriller politique.
An American anti-satellite weapon. Photo: EnLorax/Wikimedia Commons

Généralement, lorsque l'on parle de guerre dans l'espace, on imagine une déclinaison des batailles de Star Wars. Des affrontements épiques entre vaisseaux spatiaux, des course-poursuites à la vitesse de la lumière et des rayons de la mort capables d'anéantir une planète en une fraction de seconde. Mais en réalité, l'état actuel de la course à l'armement spatial ressemble moins à un space opera qu'à un thriller politique un peu lent à démarrer.

Publicité

Même si des astronautes de différentes nationalités cohabitent sur la Station Spatiale Internationale, les tensions géopolitiques entre les nations qu'ils représentent ne s'en trouvent pas apaisées pour autant. Par opposition aux menaces nucléaires avec lesquelles les gouvernements ont dû composer dans les années 60, la militarisation de l'espace n'a rien de spectaculaire. Subterfuges, méfiance, manœuvres discrètes, entrée régulière de nouveaux acteurs dans le jeu militaire, voilà ce à quoi ressemble la situation aujourd'hui.

« Je pense que nous assistons à une métamorphose du jeu militaire » explique Joanne Gabrynowicz, avocate spécialisée sur les questions spatiales, et professeur émérite à l'Université du Mississipi. « Quelque chose se passe au niveau international, entre et parmi les nations concernées par le droit de l'espace. »

Pour comprendre la nature des menaces modernes, il faut replacer dans leur contexte les événements qui ont motivé l'écriture d'un droit de l'espace en premier lieu. Les premières régulations des activités spatiales, incluant les activités militaires, ont été formulées dès les débuts de la course à l'espace, lorsque l'anxiété suscitée par la prolifération nucléaire était à son paroxysme. L'horreur d'Hiroshima et Nagasaki étant encore vive dans les esprits, la perspective d'une poursuite de la guerre nucléaire dans l'espace en terrifiait alors plus d'un.

Publicité

Ces peurs étaient justifiées par le fait que les USA et l'URSS avaient fait exploser des bombes atomiques dans l'espace au début des années 60, montrant par la même que la guerre spatiale était possible.

Les États-Unis ont fait exploser une bombe nucléaire dans l'espace au-dessus d'Honolulu en 1962. Photo: US Congress

Heureusement c'est le Traité de l'Espace, un document fondamental du droit de l'espace, qui a émergé de cette situation à hauts risques, et non une bataille rangée.

« Il n'y aurait jamais eu de droit de l'espace sans la crainte de la guerre nucléaire. Heureusement, on s'est penché au-dessus de l'abysse. On a vu les conséquences possibles du placement d'armes nucléaires dans l'espace. On a imaginé des bombes produisant des nuages radioactifs retombant sur Terre. Et tout le monde s'est dit : Ok, non, ne nous engageons pas là-dedans » explique Gabrynowicz.

Pour prévenir un événement de ce type, [89 nations](Pour empêcher un événement de ce genre, 89 nations ont signé le Traité de l'Espace de 1967. Il interdit sans équivoque les armes nucléaires et les armes de destruction massive (ADM) dans l'espace, armes chimiques et biologiques inclues. Grâce à lui, la menace immédiate d'un Armageddon nucléaire venu de l'espace était repoussée.) ont signé le Traité de l'Espace de 1967. Il interdit sans équivoque les armes nucléaires et les armes de destruction massive (ADM) dans l'espace, armes chimiques et biologiques inclues. Grâce à lui, la menace immédiate d'un Armageddon nucléaire venu de l'espace était écartée.

Nous devrions nous féliciter de cette réussite, même si elle a eu lieu des décennies auparavant. Il est très rare, qui plus est durant une course à l'armement, que des nations rivales reviennent sur leurs positions. Dans le domaine aérospatial, les communautés américaines et soviétiques ont démontré qu'elles étaient capables de s'imposer des contraintes fortes dans le but de préserver la paix sur Terre.

Publicité

Cela étant, depuis 1967, les armes sont devenues plus « intelligentes », plus sophistiquées, changeant la nature d'une guerre spatiale potentielle. Nous avons peut-être proscrit les armes lourdes, les bombes nucléaires et les ADM, mais ces dangers ont été remplacés par une militarisation de l'espace plus insidieuse, qui profite des non-dits et des ambiguïtés du droit de l'espace.

Prenons par exemple les problèmes soulevés par les technologies à double usage tels que les armes anti-satellite (ASAT). La nécessité d'interdire le lancement de satellites capables d'endommager d'autres engins spatiaux semble évidente. Pourtant, des centaines de satellites correspondent à cette description. N'importe quelle mission de routine prétendument destinée au nettoyage des débris spatiaux est susceptible d'être un projet ASAT déguisé.

« Les ASATs ont toujours été le talon d'Achille de la législation sur l'armement. La DARPA, l'Air Force, le Département de Défense répètent régulièrement à quel point il est important de s'occuper des débris spatiaux. Et ils ont raison. Mais ça pourrait très mal tourner » explique Gabrynowicz.

Le missile américain SM-3 a détruit le satellite USA-193 en 2008. Photo: Paul E. Reynolds/USAF

En d'autres termes, les mêmes technologies qui pourraient nous aider à gérer les satellites en mauvais état ou à réduire la quantité de débris spatiaux pourraient également permettre de maquiller des satellites militaires, ou engendrer la création de nouveaux débris suite à la destruction d'un engin spatial.

Publicité

Des chefs militaires américains, russes et chinois ont attiré les suspicions en montrant un vif intérêt pour le développement de ce genre de technologies à double usage. Et ils pourraient en faire la démonstration à l'occasion. En 2007 par exemple, l'agence spatiale chinoise a détruit l'un de ses satellites grâce à un missile balistique.

« Cela a généré une grande quantité de débris, propulsés sur des orbites où ils pourraient faire énormément de dégâts. À ce jour, la Chine n'a donné aucun éclaircissement sur ce qu'ils avaient fait, et pourquoi. »

La militarisation de l'espace accompagne donc son exploration, lentement et sournoisement, tandis que les tensions s'accumulent entre les principales nations concernées. Par opposition aux bombardements terrestres qui ont caractérisé les actions militaires dans le passé, le théâtre de la guerre de l'espace se met en place par l'intermédiaire d'engins déployés dans un but pacifique, mais qui se menacent les uns les autres.

Nous devons accepter le fait que l'espace ne demeurera pas toujours un territoire pacifique.

Réguler ce genre de course à l'armement silencieuse est un véritable cauchemar d'un point de vue juridique. Mais la partie n'est pas encore perdue. L'été dernier, des diplomates européens ont organisé un rassemblement entre les principaux pays menant des activités spatiales ; il s'est tenue aux Nations Unies, sans être officiellement supporté par les Nations Unies toutefois.

Publicité

Le but était de discuter la mise en œuvre d'un Code de Conduite pour les Activités Spatiales, non contraignant juridiquement, mais destiné à stopper la militarisation de l'espace. Bien que ce code n'ait pas l'étoffe d'un traité international contraignant, l'UE souhaite faire avancer les négociations sur ce sujet, et créer une sorte de garde-fou contre la course à l'armement.

« Lorsqu'un texte n'est pas juridiquement contraignant, il repose sur la pression des pairs » explique Gabrynowicz. « La question que l'on se pose est alors celle-ci : est-il plus avantageux politiquement de rompre l'accord, ou de le respecter ? Cela produit des situations extrêmement complexes d'un point de vue politique. »

« Ce genre de texte n'a certes rien d'idéal, mais il n'y a pas d'alternative. Signer un accord peu contraignant n'engage pas à grand-chose, mais peut procurer des avantages. Pour anticiper cela, il faut avoir recours à des analyses multifactorielles extrêmement sophistiquées. »

Hélas, les participants, représentant plus de 100 pays, n'ont pas réussi à parvenir à un accord à l'issue du rassemblement. L'un des principaux freins aux négociations a été la position américaine sur le droit à l'autodéfense, que les États-Unis estiment essentiel. Assez essentiel pour que leur obstination à ce sujet soit interprétée comme une échappatoire tacite aux accords négociés, et une tentative de renforcer la domination militaire américaine dans l'espace.

Publicité

Une ASAT américaine lancée depuis un avion, 1985. Photo: Paul E. Reynolds/USAF

« Certains pays latino-américains et africains n'ont aucune envie d'adopter le Code si cette référence sans ambiguïté au droit à l'autodéfense demeure » confie Rajeswari Pillai Rajagopalan, expert en relations internationales. « En cas d'agression, ils n'auraient aucun moyen de se défendre dans l'espace. »

Malgré tout, les États-Unis ont clairement fait savoir qu'ils rejetteraient tout Code de conduite ne respectant pas leurs exigences sur le droit à l'autodéfense.

« Nous devons être prêts à tout » a annoncé en avril dernier la secrétaire de l'US Air Force, Deborah Lee James, au 31e Symposium Annuel sur l'Espace. « Nous affirmons régulièrement que l'US Air Force doit être prête à parer toutes les éventualités, mais cela est important dans tous les domaines,y compris l'espace. Nous devons être prêts si un conflit se déplace dans l'espace, tout en promouvant un usage responsable des activités spatiales. Nous devons nous convaincre que l'espace cessera peut-être un jour d'être un territoire pacifique, et prendre les mesures qui s'imposent. »

Ces divergences sur le concept de légitime défense et les conditions susceptibles de la garantir sont le reflet de tensions mondiales sur la propriété et l'utilisation de l'espace. Seules quelques nations sont habilitées à visiter, étudier, et peupler l'espace d'armes militaires ; pourtant, le Traité de l'espace garantit juridiquement que l'espace appartient à tous les Terriens.

Publicité

Il n'y a aucun espoir d'aboutir à un accord si la Russie et les États-Unis ne participent pas.

« Les traités disent que l'espace fait partie d'un patrimoine commun, et que toutes les nations ont le droit de l'explorer et de l'utiliser indépendamment de leurs capacités scientifiques et économiques. » précise Gabrynowicz. « C'est le seul moyen pour que les petits pays puissent avoir une influence sur les gros. Ils ont légalement le droit de participer au débat. »

Cela étant, Gabrynowicz confie aussi qu'il n'y a « aucun espoir d'aboutir à un accord sur l'espace si la Russie ou les États-Unis refusent de participer à son élaboration. »

Hélas, il est aujourd'hui beaucoup plus difficile de convaincre ces deux nations de revenir à la table de négociations que ce ne l'était dans les années 60. « De leur côté, il n'y a aucune volonté politique d'avancer dans ce sens » explique Gabrynowicz. « Elles ne veulent pas s'imposer de limites, et elles ne font confiance à personne. »

L'échec des discussions tenues à New York semble est le dernier d'une longue série. La militarisation de l'espace n'a en aucun cas été freinée jusque-là. Pour ceux qui cherchent préserver la paix sur Terre, il est décourageant de constater que les conflits sont en train de gagner une dimension supplémentaire.

Mais du point de vue de Gabrynowicz, le fait que le système juridique actuel peine à embrasser les nouvelles réalités de l'armement orbital pourrait ouvrir la voie à une réforme complète.

« Dans une centaine d'année, mon successeur se tiendra devant une classe et expliquera 'C'est à ce moment-là, au début du 21e siècle, que la nouvelle réglementation a été écrite' » imagine-t-elle.

« Nous ne savons pas de quoi cette réglementation sera faite, car elle n'existe pas encore. Mais de même que j'explique à mes étudiants que l'État moderne et le système législatif ont été développés entre le XVe et le XVIIe siècle, de même que je leur explique l'importance d'événements clé comme les traités de Westphalie, dans l'avenir des chercheurs pointeront les événements importants qui ont contribué à bâtir un véritable droit de l'espace. »

« Le système juridique s'apprête à changer, car le monde lui-même change » conclue Gabrynowicz.

En 2015, il est cependant difficile de discerner vers quoi le monde actuel va évoluer. Nous n'avons plus qu'à espérer que les générations futures considèreront les grands changements de ce début de siècle avec fierté et reconnaissance, de la même manière que nous considérons le Traité de l'Espace de 1967.