FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

Une catastrophe naturelle invisible et silencieuse a tué plus de 1700 personnes

Une brève histoire de l'éruption du lac Nyos, l'une des plus étranges catastrophes naturelles de l'histoire moderne.

Dans la nuit du 21 août 1986, 1746 camerounais, répartis sur quatre villages, ont trouvé la mort dans leur sommeil. Tout s'est passé très vite, comme si leur âme avait quitté leur corps dans un souffle de vent. Les victimes, accompagnées de milliers de têtes de bétail, d'oiseaux et d'animaux sauvages, ont péri là, sans un bruit, et sans raison apparente.

La mystérieuse catastrophe est advenue dans les environs du Lac Nyos, un lac de cratère situé dans le département du Menchum, au Cameroun. Dans un rayon de 23 kilomètres tout autour du lac, les vallées ont soudain été plongées dans le plus parfait silence.

Publicité

Un bouvier nommé Ephriam Che était sur la rive du lac Nyos quand tout est arrivé. Le lac, d'ordinaire d'un bleu profond, a soudain arboré un blanc éclatant, racontera-t-il plus tard à un volontaire des Peace Corps. La fumée qui s'est alors élevée au-dessus de la surface des eaux était blanche, elle aussi, et le sol tremblait. On pouvait entendre une sorte de bruissement similaire au bruit de la pluie qui tombe, explique Che. Le lac a grondé pendant près d'une heure, puis s'est tu.

La fumée blanche, quant à elle, a cessé de s'élever dans les airs et a entrepris de retomber, roulant le long des pentes du volcan, remplissant progressivement la vallée. Un nuage de 50 mètres de large s'est alors précipité vers Nyos à la vitesse de 50 km/h, et a progressé ainsi sur 23 kilomètres avant de se disperser. Sur son chemin, quatre villages : Nyos, Kam, Cha et Subum.

Animaux décédés près du lac Nyos. Image: USGS

À Subum, un villageois nommé Joseph Nkwain raconte : « Je ne pouvais pas parler. J'étais à demi-conscient. Je ne pouvais plus ouvrir la bouche, et je sentais une odeur infâme tout autour de moi… À proximité, ma fille faisait des bruits atroces avec son nez et sa gorge. En me dirigeant vers son lit, je me suis évanoui pour de bon et je suis tombé. Je suis resté là jusqu'au lendemain matin 9h ; un ami est venu frapper à ma porte. Je lui ai ouvert. Je voulais articuler quelque chose, mais c'était impossible. Ma fille était déjà morte. »

Publicité

Le 22 août au matin, Che a osé rentrer au village de Nyos.

Quand vous êtes descendu dans la vallée, vous aviez peur ?
Non, ce jour-là, je ne sentais plus rien.
Qu'avez-vous fait dans le village ?
Rien. Je me suis contenté de regarder les cadavres.
Il y en avait beaucoup, non ?
Il n'y avait pas de mouches.
Pas de mouches, donc.
Et on n'entendait plus les oiseaux.
Plus d'oiseaux.
Et les poulets étaient morts, tous.
Tous les êtres vivants étaient morts.

Che a noté que la couleur du lac avait encore changé, et arborait désormais un rouge couleur de rouille.

La veille, il y avait eu une éruption de dioxyde de carbone pur. Quelques 100 millions de mètres cube de dioxyde de carbone avaient atteint le sommet du cratère, ce qui a entraîné une éruption d'eau gazeuse projetée à près de 80 mètres dans les airs. La couleur rouille du lac provenait du fer dissous dans l'eau puis aspiré vers la surface de l'eau avant de s'oxyder.

Le dioxyde de carbone est plus lourd que l'air : au lieu de s'élever de plus en plus haut avant de se dissiper lentement, le gaz est retombé sous l'effet de la gravité, remplissant progressivement la vallée comme un fluide.

En termes de létalité, la star, c'est le monoxyde de carbone. Cependant, le CO2 peut être un tueur redoutablement efficace dans des circonstances adéquates. Lorsqu'il est concentré à 20%, ou davantage, il provoque une mort certaine : les victimes ne sont plus en mesure de faire circuler l'oxygène dans leur sang, et sans O2, la mort n'est qu'une question de minutes.

Publicité

Les mineurs appellent l'explosion soudaine de gaz le « coup de grisou. » Si le canari que vous transportez avec vous dans la mine tombe raide mort suite à un empoisonnement au CO2 (éventuellement au monoxyde de carbone ou au méthane), cela signifie que vous êtes cuit. Dans les années 1600, explique Barbara Freese dans Coal: A Human History, on rapportait déjà des cas de mineurs tombant comme des mouches, après être entrés dans un tunnel, comme s'ils avaient été tués par un projectile.

La série d'événements qui a préludé à l'éruption de CO2 du 21 août reste encore un mystère. Le dioxyde de carbone se serait échappé de sources géothermiques après que des roches profondes aient fondu et refroidi ; il serait ensuite resté piégé, avant d'être de nouveau libéré par l'activité volcanique. C'est un phénomène plutôt courant, mais d'ordinaire, le gaz s'échappe sous forme de nuages de CO2 dont la concentration est trop faible pour être létale.

À de rares occasions néanmoins, on rencontre des concentrations de CO2 inhabituelles. Sur le mont Hood près de Portland, les grimpeurs sont invités à prendre garde aux évents gazeux connus sous le nom de fumerolles. Les alpinistes qui tournent de l'œil ne sont pas rares. En 2006, trois membres de la patrouille de ski de Mammoth Ski Area, en Californie, ont rencontré des vapeurs de dioxyde de carbone montant d'une cavité, et sont morts quelques minutes plus tard. Le Parc national de Yellowstone abrite un foyer géothermique baptisé « le ravin de la mort, » une région à la funeste réputation : elle ôte régulièrement la vie aux nombreux bisons et ours qui s'aventurent un peu trop près des failles rocheuses.

Publicité

Le dioxyde de carbone est un gaz plutôt taquin, et pourtant, s'il y a bien une chose qu'il ne fait jamais, c'est s'échapper des profondeurs terrestres en quantités suffisantes pour asphyxier des villages entiers. Dans le cas de Nyos, le CO2 a suinté à la surface comme il le fait un peu partout sur la planète ; mais au lieu de percoler, il s'est dissout dans les eaux profondes du lac. Il s'est sans doute accumulé là pendant des siècles et des siècles avant l'éruption fatale de 1986.

Les mois suivant l'évènement, les experts ont soulevé l'hypothèse selon laquelle une éruption volcanique était responsable du désastre. Le gigantesque volcan inactif dont les flancs abritent le lac Nyos se serait réveillé. Lorsque Haraldur Sigurdsson, volcanologue à l'Université de Rhode Island, a été appelé sur les lieux par l'ambassade des États-Unis au Cameroun, il a immédiatement émis quelques doutes quant à cette hypothèse.

« Nous n'avons pas détecté d'augmentation de la température de l'eau, ni même une perturbation du lit du lac ; pas de composés à base de soufre non plus, » rappelle le Smithsonian en 2003. « Mais il s'est produit quelque chose de curieux quand Sigurdsson a collecté un échantillon d'eau dans les profondeurs du lac : le bouchon de sa bouteille a sauté. Le récipient était rempli de dioxyde de carbone. »

Quelque chose a perturbé le réservoir de CO2 si longtemps immobilisé au fond du lac Nyos par l'énorme masse d'eau (le lac fait 200 m de profondeur). En quoi consiste cette perturbation ? Mystère. Le grondement que Che a entendu distinctement provenait peut-être d'un glissement de terrain ayant entraîné la chute de rochers dans le lac, provoquant des remous suffisants pour que le réservoir de CO2 s'agite puis explose comme une canette de soda. Tandis que l'eau saturait en CO2 et exerçait une pression de moins en moins importante sur le réservoir, des bulles de CO2 se seraient alors élevées vers la surface, avant de provoquer une réaction en chaîne et de précipiter tout le gaz en-dehors du lac.

Publicité

Dans un article de 1988, Sigurdsson qualifie l'éruption de dioxyde de carbone de « risque naturel inconnu jusqu'alors. »

En dépit de l'accident de 1986, le CO2 continue de s'accumuler au fond du lac Nyos. Tandis que l'armée camerounaise commençait à creuser les tombes des victimes dans la vallée en contrebas, un nouveau réservoir de CO2 posait déjà ses fondations. L'événement aurait pu se reproduire avant 30 ans, nous apprend un article publié dans la revue Nature en 1994.

C'est pour cette raison qu'en 2001, un énorme tube a été installé au fond du lac afin de conduire le CO2 directement vers la surface. Deux tubes supplémentaires sont venus lui porter main forte en 2011. En 2003, un dispositif similaire a été accueilli au Lac Monoun, qui a connu une remontée de CO2 similaire en 1984, faisant 37 morts ; le mécanisme n'a été compris que bien après l'éruption de Nyos, cependant. Une étude réalisée en 2005 avertit que le tuyau de Monoun sera peut-être insuffisant pour prévenir une future catastrophe.

Pendant ce temps-là, dans la mer du Nord, la compagnie pétrolière Statoil prenait l'initiative inverse. Statoil a capté du dioxyde de carbone dans le champ gazier de Sleipner, avant de l'injecter dans un aquifère salin situé à environ 1 000 mètres sous le plancher océanique : c'est ce que l'on appelle la séquestration géologique du dioxyde de carbone. De cette manière, Statoil n'avait pas à payer les taxes carbone norvégiennes issues de ses activités. Habile, non ? En 2008, 10 millions de tonnes de CO2 ont été stockées de cette façon. On estime la capacité du réservoir à 600 milliards de tonnes. En comparaison, les 100 millions de mètres cube de CO2 rejetées par le lac Nyos pèsent à peine 200 000 tonnes. Une fois plein, le réservoir de la Mer du Nord contiendra assez de CO2 pour provoquer l'équivalent de 3 millions d'éruptions du lac de cratère camerounais. Tremblez, poissons.