On a demandé à des disquaires indépendants ce qu’ils pensaient de la fermeture des HMV
Justine de l'Église

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Culture

On a demandé à des disquaires indépendants ce qu’ils pensaient de la fermeture des HMV

La vie continue.

La fin janvier a sonné le glas des 102 succursales canadiennes du disquaire HMV. En raison d'importants problèmes financiers, d'ici le 30 avril la chaîne aura mis fin à ses activités commerciales d'un océan à l'autre.

Qu'est-ce que cela signifie pour l'avenir de la musique? Est-ce le début de la fin pour tous les commerçants de musique? Entrevoient-ils des jours sombres pour leur commerce, pensent-ils plier devant le marché grandissant de la musique numérique et du streaming?

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Nous sommes allés à la rencontre de disquaires indépendants de Montréal pour qu'ils nous expliquent leur vision des choses.

Atom Heart, musique alternative, rue Sherbrooke

À Atom Heart, une petite boutique à la fois épurée et lumineuse, Raymond Trudel vend des albums de musique indépendante, rock et électronique depuis maintenant 18 ans. Son inventaire de 10 000 disques – moitié vinyles, moitié CD – est en constant roulement.

VICE : Comment avez-vous réagi en apprenant la fermeture des HMV?
Raymond Trudel : J'étais surpris qu'ils aient pas fermé avant. Sérieusement. À chaque année on se disait : « Hey, c'est cette année que HMV va fermer. » Le magasin au centre-ville, ç'a jamais été rentable. Que la chaîne ferme au complet, ça, c'est un peu étonnant par exemple. Mais d'un autre côté ils sont hyper endettés, un moment donné, il fallait que ça casse. C'est écœurant le personnel qu'il y avait là, le local coûte une fortune, pis ils se faisaient voler à tour de bras.

Est-ce que tu penses que la fermeture des HMV pourrait avoir des répercussions sur les disquaires indépendants? Est-ce que tu prévois récupérer une certaine clientèle?
Quand HMV marchait bien, il y avait plein d'employés qui envoyaient des clients ici quand ils voulaient des affaires qu'ils pouvaient pas avoir. Là, on aura plus de connexion pour envoyer monsieur madame Tout-le-monde ici. Ça, c'est un peu triste.

Donc c'est pire, dans le fond.
T'sais, dans n'importe quelle industrie, quand il y a un gros joueur qui disparaît, c'est pas nécessairement positif pour les autres. Je vois pas ça d'un super bon œil. Je pense surtout aux compagnies qui vont perdre de l'argent avec ça. J'espère qu'il y a personne qui va faire faillite à cause de la faillite des HMV, parce qu'ils doivent de l'argent à tout le monde.

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J'en ai parlé avec un distributeur, et il n'est pas très, très positif non plus. Il a l'impression que la clientèle sera pas récupérée par personne. J'ai peur que ce soit vrai. C'est pas les gros mélomanes qui allaient chez HMV. Moi, je pense que c'était monsieur, madame Tout-le-monde, et que c'est Amazon qui va récupérer la clientèle, et Archambault.

Y a-t-il d'autres raisons pour lesquelles tu ne vois pas ça d'un bon oeil?
Dans l'idée du public, je suis sûr que c'est super négatif, que le monde va considérer que oui, c'est la fin du CD. Même qu'il y a des niaiseux qui travaillent à Radio-Canada qui ont dit la même chose la semaine passée, que c'est la « fin » du CD. Comme si c'est le HMV qui vendait tout ce qu'il y avait comme CD sur le marché…

Fait qu'est-ce que c'est la fin du CD?
Ben non. Les CD, c'est tellement meilleur marché que les vinyles. Même si t'es un fan de vinyles… Si le nouveau disque qui vient de sortir se vend 47 $ en vinyle, pis tu peux avoir la même chose à 20 $ en CD, peut-être que tu vas le prendre, le CD. C'est sûr qu'on vend de plus en plus de vinyles et un peu moins de CD, mais c'est stable.

La fin du vinyle / Death of Vinyl, boulevard Saint-Laurent

Dans un décor tout droit sorti des années 70, Steven Ludvik entrepose une impressionnante collection de 60 000 vinyles, 5000 CD et 2000 cassettes de seconde main, recueillis au fil des ans avec son ami et collègue de longue date, Daniel Hadley. Loin de croire à la « fin » du vinyle, les deux hommes font dans le vinyle d'occasion depuis 2007.

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Quelle est la première chose à laquelle vous avez pensé en apprenant la fermeture de HMV?
C'est comme fermer une bibliothèque : c'est terrible. La musique a besoin de beaucoup de magasins, partout. Je m'en suis rendu compte quand A&A a fermé, quand Sam the Recordman a fermé, quand Rock en Stock a fermé, quand Dutchy's a fermé. Mais il faut toujours se dire que la puissance est entre nos mains. C'est à nous de décider de ne pas acheter des choses à Wal-Mart, d'acheter des choses québécoises ou de soutenir des magasins d'ici.

Est-ce qu'il peut quand même y avoir un impact sur les petits magasins indépendants?
C'est trop tôt pour le savoir. On verra. Il faut comprendre que HMV offre toutes sortes de choses… Récentes? Commerciales? De notre côté, c'est sûr qu'on vend usagé, et qu'il y a un pourcentage des gens qui veulent des objets neufs. C'est dégoûtant, vouloir acheter un nouveau… tout! Tel et tel et tel produit haut de gamme, alors que c'est fait pour casser! Des disques des années 60, ça sonne vraiment spécial, intéressant, et c'est vraiment moins cher que la réédition. Pourquoi acheter Supertramp, Breakfast in America, reissued pour 30 $, par exemple, quand tu peux l'acheter ici pour la moitié du prix? Et c'est l'original! It's the real deal! Pourquoi tu ne voudrais pas ça?

Selon toi, quel est l'avantage de ta boutique sur une grande surface?
Ils n'ont pas cette expérience. Ici, c'est habité, c'est confortable. Ce n'est pas du tapis mur à mur, où tout est gris avec de l'éclairage au néon. Ça ne nous intéresse pas. On est invitants. Tu peux prendre n'importe quoi et vraiment explorer. On est ouverts d'esprit, on parle avec tout le monde. On est pas les gars en arrière de la caisse qui prétendent qu'ils savent tout. On a aucune prétention. La musique fait une chose en commun pour tout le monde, et c'est de nous faire sentir bien.

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Soundcentral, avenue Coloniale

Cela fait 15 ans qu'il est en affaires, bientôt 10 sur l'avenue Coloniale. Dans un décor éclectique surchargé d'affiches, de disques au plafond, sur les murs et les planchers, Shawn de Soundcentral a fait transiter au total 60 000 articles dans sa boutique, vinyles et CD, ainsi que cassettes et DVD, neufs et d'occasion.

Comment avez-vous réagi en apprenant que le HMV fermait?
Je vais être honnête, j'étais pas surpris. Les patrons s'en foutent de la musique. C'est juste un bottom line. Et ça fait des années qu'ils sont en train de souffrir. HMV, c'était n'importe quoi pour rester en business, mais ils étaient tellement endettés… Même avec le retour du vinyle, ils étaient pas capables de se sortir du trou.

Est-ce que tu penses qu'il va y avoir des répercussions à la fermeture des HMV sur les disquaires indépendants?
J'espère! J'espère que le monde ne va pas se dire : « Ah, c'est fini, la musique! OK, on en achète plus! » Non. Le monde qui magasine au HMV a besoin de savoir qu'il y a plus que ça. Si tu es assez débrouillard, tu sais qu'il y a de la musique partout, qu'il y en a toujours eu. Alors on espère qu'ils vont nous découvrir ou découvrir d'autres magasins comme Death of Vinyl, comme L'Oblique. C'est juste une question d'aller en ligne et de voir quelles sont les autres succursales de vinyles. Il y en a plein à Montréal!

Si les gens veulent quelque chose de mainstream, je sais pas… le nouveau CD de Rihanna. Où est-ce qu'ils vont à Montréal, s'ils vont pas au HMV?
Ça dépend! C'est un bon moment pour les gens, parce que maintenant ils peuvent décider où ils veulent magasiner. Il y a du choix. Il y a plein de monde qui fait des commandes spéciales avec nous autres, parce qu'ils savent qu'on est capables de l'avoir assez rapidement, à un prix abordable ou… ils veulent nous soutenir!

Fait que si je veux le nouveau Justin Bieber, vous me le commandez?
Si c'est disponible avec nos contacts, oui! Même si ça a l'air un peu underground, on a aucun préjugé. Tout le monde ici a son plaisir coupable. C'est vraiment pas à nous de juger.

Et avec le streaming, comme Spotify, est-ce que tu penses pas que c'est le début de la fin pour tout le monde?
Si ça devait arriver, ce serait déjà arrivé. J'ai déjà vu ça il y a 10 ans avec le download, et je vois que les vinyles s'améliorent au lieu de diminuer. Si quelqu'un aime assez la musique, plus souvent qu'autrement, il va acheter le produit physique, parce que c'est notre nature humaine d'avoir des possessions. Comme une version moderne de la chasse et de la cueillette.

Le texte a été édité à des fins de clarté et de concision.