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Ici, c'était Zlatan : les quatre saisons d'un phénomène médiatique

Avec l'annonce de son départ du PSG, le foot français était retombé de sa psychose collective autour de l'attaquant suédois. Une psychose hystérique ou méritée ?

« Je suis arrivé comme un roi, je repars comme une légende ». Le 13 mai 2016, ce tweet tombé de nulle part vint clore le dernier chapitre de l'œuvre de Zlatan Ibrahimovic au PSG et ces mots, qu'on imagine soigneusement choisis, n'auraient pas pu mieux résumer ces quatre saisons. Pas forcément par leur sens, même si on ne peut pas retirer à l'attaquant suédois les trophées et les records qu'il a accumulés sous le maillot parisien. Non, c'est plutôt par sa grandiloquence surjouée, dont on ne sait pas bien si elle est du premier ou du second degré, celle là-même qui a atteint des sommets stratosphériques depuis son arrivée au Paris Saint-Germain en 2012. En quatre ans, Zlatan devint un phénomène, un meme, un verbe, une idée. Et ce n'est pas forcément un reproche.

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My last game tomorrow at Parc des Princes. I came like a king, left like a legend pic.twitter.com/OpLL3wzKh0
— Zlatan Ibrahimović (@Ibra_official) 13 mai 2016

Tout cela a beaucoup à voir avec les médias évidemment, mais surtout avec sa façon de se mettre en scène. Sans tous ces trophées et ces records, il ne serait qu'un mégalo timbré, un genre de seigneur sans domaine, une sorte de Yohan Mollo suédois. Mais voilà : il a les pieds et les résultats qui vont avec cette personnalité hors normes. Même si, évidemment, il lui manque ce titre européen, ce que ses nombreux contempteurs ne manquent jamais de rappeler.

Dans un entretien à Libération en 2012, le philosophe Laurent de Sutter déclarait « Nos derniers héros sont les sportifs ». Il parlait là des skippers impavides du Vendée Globe mais il aurait tout aussi bien pu qualifier les monstres d'athléticité jamaïcains qui repoussent les limites du 100 mètres, ou les grandes brutes vêtues de noir qui font des terrains de rugby des champs de bataille.

Zlatan Ibrahimovic fait partie de cette race-là, indéniablement. Mais, en plus de profiter, la plupart du temps, des louanges des médias qui l'ont porté aux nues pendant la majeure partie de ces quatre saisons au PSG, Ibrahimovic a cette particularité de s'occuper lui-même de véhiculer son propre mythe.

Ça passe par des punchlines soigneusement préparées, une biographie et des documentaires consacrant son histoire de Cendrillon de la banlieue de Rosengard, une utilisation attentive des réseaux sociaux (par Twitter ou sur sa propre application, Zlatan Unplugged) et une sorte de culte du secret autour de sa vie privée et de son comportement hors des terrains.

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Ibrahimovic s'est inscrit tout seul dans la lignée des grands champions, sans rien demander à personne, et votre avis, d'ailleurs, il s'en carre un peu l'oignon.

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A son arrivée en 2012, le PSG avait déjà fait dans le grandiloquent, un événement style Puy-du-fou footballistique : une présentation au Trocadéro, avec la Tour Eiffel en toile de fond, un monument qu'il proposera de remplacer, quatre ans plus tard, par sa propre statue. Sa relation à Paris, la ville, pendant ces quatre saisons, aura d'ailleurs été plus symbolique que visible. Depuis ce bain de foule du Trocadéro, on ne l'aura pas vraiment vu souvent parader dans Paris, ni même courir les mondanités : en dehors des entraînements et des matches, Zlatan était assez invisible, vivant plutôt reclus dans ses appartements entre le 10e et le 16e arrondissement, lui qui a déménagé trois fois en quatre ans avec sa famille. Tout juste les Parisiens pouvaient ils l'apercevoir rapidement zoner dans sa voiture après avoir conduit ses fils à leurs entraînements de tennis à Neuilly, ou lors des soirées entre joueurs, au restaurant argentin Volver ou ailleurs.

Johanna Fränden, journaliste pour le quotidien suédois Aftonbladet, a suivi son compatriote lors de sa période barcelonaise, puis ces quatre dernières années, durant son ère parisienne. Elle confirme que même en Suède, Ibrahimovic n'a pas pour réputation de se montrer très souvent : « Il avait une maison à Malmö qu'il a dû vendre car tout le monde en connaissait l'adresse. Et médiatiquement, tous les présentateurs télé voudraient l'avoir dans leur talk show mais il en fait très peu. Récemment, il y a eu deux documentaires qui sont sortis sur lui à la télévision suédoise avec lesquels il a collaborés. Mais c'est tout. »

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En France, son intégration médiatique - hors football - est passée par des incontournables de la culture populaire, celle qui sent un peu la naphtaline. Le triptyque statue au musée Grévin - marionnette aux Guignols - participation aux Enfoirés en ont fait un personnage connu de tout le monde, même de la fameuse ménagère de moins de cinquante ans ou de Michel Drucker.

Il allait donc falloir en rester à juger son rayonnement par les performances sportives, Ibrahimovic ne donnant pas aux magazines people de quoi en faire des couvertures. C'est toujours mieux comme ça. Sportivement, d'ailleurs, il n'a pas non plus participé activement à sa campagne médiatique en dehors des terrains. En dehors de ses punchlines ponctuelles, il a laissé la presse sportive française gloser à proportions égales sur ses exploits et ses coups de sang sans aller chercher les micros.

Arnaud Hermant, journaliste à L'Equipe depuis l'automne 2015 après 14 ans au Parisien, couvre de près l'actualité du PSG. Autant dire qu'il a vu de nombreuses fois Zlatan Ibrahimovic passer en zone mixte sans un mot pour lui ou ses confrères. « Il n'a plus parlé aux journalistes français après "pays de merde" », explique-t-il dans un bistrot à deux pas du siège de L'Equipe.

L'histoire est connue : le 15 mars 2015, après une défaite 2-3 à Bordeaux qui fait suite à une qualification arrachée avec les dents sur la pelouse de Chelsea (où Ibrahimovic s'est fait expulser), le Suédois s'énerve contre une décision de l'arbitre Lionel Jaffredo, coupable de n'avoir pas sifflé un coup-franc indirect sur une passe en retrait de Lamine Sané à son gardien. S'ensuivent les mots qui fâchent tout un pays au moment de rentrer au vestiaire : « Cela fait quinze ans que je joue au foot et je n'ai jamais vu un arbitre aussi nul dans ce pays de merde. Ce pays ne mérite pas le PSG. »

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C'est alors le point le plus bas de l'ère Zlatan au PSG et d'une saison sportivement plutôt ratée pour Ibrahimovic à cause d'une blessure au talon et de ce carton rouge qui le prive du quart de finale aller contre Barcelone. Cela continuera jusqu'au désamour profond de l'été suivant avec le fameux « Qu'il parte ! » en une de France Football en août 2015, doublé de l'enquête IFOP publiée dans L'Equipe Mag au même moment qui entérine une désaffection des Français. A ce moment-là, la rupture entre Ibrahimovic et les médias est consommée. C'est peut-être d'ailleurs cette brouille qui lui fera faire sa meilleure saison personnelle en 2015-2016.

Dans Ibra Grandeur Nature, recueil d'indiscrétions sur l'ère parisienne d'Ibrahimovic publié en mai dernier, Arnaud Hermant et son collègue de L'Equipe Damien Degorre racontent ainsi un épisode de ce début de saison 2015-2016. A l'issue de la victoire du PSG sur l'Olympique Lyonnais lors du Trophée des champions, le 1er aout 2015, Ibrahimovic passe, joyeux, en zone mixte. Avec toujours la ferme intention de n'adresser la parole à personne évidemment. Sauf qu'il se tourne vers Damien Degorre et lui dit « Trophée numéro 27 ! Ne l'oublie jamais : trophée numéro 27 ! ».

Typique du joueur suédois qui a toujours pris les médias pour des ennemis, déjà très jeune. « Il a une mauvaise image générale des médias, relève Johanna Fränden. Il est très méfiant, mais en même temps, il n'a pas été épargné. La presse s'est un peu mal comportée envers lui, notamment quand il était jeune. A l'époque il était beaucoup plus ouvert et certains en ont profité. Ils en faisaient de grosses affaires à chaque fois qu'il disait quelque chose. » Si ce dernier aspect n'a pas changé dans les faits, c'est parce qu'Ibrahimovic a appris, tout en restant méfiant, à se servir de cette caisse de résonance.

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Zlatan Ibrahimovic en conférence de presse, en juin 2016. Crédit : Reuters.

Cette méfiance envers les médias, il l'a aussi transmise à ses proches : aucun "off" n'est permis à son entourage. Johanna Fränden : « J'ai tenté d'obtenir quelques infos auprès de quelques sources autour de lui, personne ne parle. Il leur avait dit de ne pas parler avec les journalistes suédois. » Les journalistes français non plus n'ont pas accès à ses proches : « Son cercle rapproché ne parle pas de lui. Ils avaient peur de perdre son amitié », révèle Arnaud Hermant.

Tout cela entretient un certain mystère autour de la personnalité d'Ibrahimovic en dehors des terrains, qui sert forcément le personnage qu'il s'est créé. Les quelques témoignages de joueurs qui l'ont côtoyé récupérés par Damien Degorre et Arnaud Hermant pour Ibra Grandeur Nature donnent à voir un type affable, blagueur, sympathique, tant que tu es dans son équipe. Sylvain Armand raconte ainsi qu'il a vu en Ibrahimovic « un mec hyper généreux dans un groupe. Par exemple, il a signé un contrat avec Xbox. Eh bien, il a fait en sorte que tous les joueurs de l'effectif aient une console de jeux à leur nom. » Un geste qu'on peut évidemment voir comme bienveillant, ou comme une tentative de s'acheter la sympathie de ses coéquipiers.

Finalement, peu de témoignages laissent à penser qu'il existe un autre Ibrahimovic que ce personnage qu'il s'est créé, mégalo et arrogant pour les uns, sportif héroïque chasseur de records issu d'une banlieue pauvre, passé d'Oliver Twist à Hercule, pour les autres.

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Dans le documentaire Il était une fois Zlatan sorti en Suède en 2014, cette histoire d'ascension sociale revient constamment, sous différentes formulations. Tout au long du film, le joueur répète : « Je n'aurais jamais imaginé, en venant de cette banlieue de Rosengard, arriver là où je suis aujourd'hui. » Dans sa biographie, Moi, Zlatan Ibrahimovic, écrite par le romancier David Lagercrantz et publiée en France en 2013, c'est la même chose : toujours cette histoire d'Oliver Twist ou de Cendrillon martelée.

Il est vrai que le parcours de Zlatan Ibrahimovic, issu d'une famille immigrée dans une banlieue difficile de Malmö, est exemplaire pour quantité de jeunes enfants d'immigrés en Suède. Comme l'explique Johanna Fränden, Ibrahimovic est « devenu un symbole politique. Celui de la nouvelle Suède, la Suède moderne, multiculturelle. Il a un impact énorme sur les jeunes immigrés. » Malgré lui.

Sa pub pour Volvo en 2014 aura été le meilleur exemple de cette incarnation de la nouvelle Suède. Volvo est une marque à forte identité suédoise, « c'est un symbole de la Suède d'après-guerre, celle de l'optimisme, de la famille suédoise qui conduit la Volvo », explique Johanna Fränden. Alors choisir Zlatan Ibrahimovic comme tête d'affiche, c'était rompre avec une imagine d'Epinal de la Suède et redéfinir en quelque sorte l'identité du pays. Dans la même publicité, il reprenait l'hymne national et en a fait un disque d'or. Une publicité qui correspondait surtout à Ibrahimovic, le montrant en chasseur et pater familias dans des forêts enneigées. Une image macho un peu datée, mais pas vraiment un contre-emploi.

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Si ce storytelling à la Oliver Twist nous paraît peut-être un peu lourd, c'est sûrement parce qu'en France le football a toujours été un sport populaire où des enfants d'ouvriers ou des jeunes issus de l'immigration arrivaient à la reconnaissance. En Suède, ça l'est moins. Mais ce que ça nous montre, c'est cette volonté d'Ibrahimovic de s'inscrire dans un storytelling : il l'a répété plusieurs fois, il voit bien, par exemple, un biopic se faire sur sa vie. « On peut faire beaucoup de films sur moi. C'est comme Rambo I à V, on peut faire Ibracadabra 1 à 10 », avait-il notamment lâché au quotidien suédois Dagens Industri en avril dernier. Avec lui dans le rôle principal ? Ce projet fait penser à The Greatest, le biopic sur Mohamed Ali où celui-ci joue, à 35 ans, son propre rôle, de ses débuts jusqu'aux années 1970. Avec Ali, il partage cette haute idée du champion, cette rébellion. Mais là où le boxeur faisait avancer la cause noire, Ibrahimovic ne représente que lui-même.

La machine médiatique a forcément relayé à fond ce storytelling : le sport et ses champions ont toujours eu pour vocation de faire rêver, et Ibrahimovic a bien compris qu'il fallait que son personnage ait une dimension romanesque. Alors il sera à la fois Cendrillon et Hercule.

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En 2014, le philosophe Sylvain Portier donnait une conférence aux "Rencontres de Sophie", un événement annuel à Nantes où les intervenants cherchent à explorer une thématique particulière à travers un abécédaire. Sylvain Portier, pour parler de liberté, avait choisi Zlatan. Il en fera également un livre Zlatan Ibrahimovic - Friedrich Nietzsche (Comment retrouver le sérieux que l'on mettait dans nos jouets, enfant ?), sorti aux éditions M-Editer.

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« Ce qui est particulier chez Zlatan, explique Sylvain Portier,

c'est que sa volonté d'être libre, de s'affranchir des contraintes pour être soi-même, est une volonté incarnée, et ceci en deux sens : d'une part, son corps est couvert de tatouages qui symbolisent tous, de différentes manières, la liberté. D'autre part, on retrouve sa gestuelle même qui incarne cette liberté : c'est un colosse qui semble réussir parfois à léviter, à s'affranchir pour un instant de tout champ de pesanteur. Tout se passe comme s'il pouvait, ponctuellement, se libérer des lois même de la Nature. C'est sans doute des arts martiaux, karaté et taekwondo, qu'il pratiqua durant son enfance, que lui vient cette gestuelle particulière et cette liberté créatrice. »

Une liberté qu'il a aussi transposée à ses apparitions médiatiques : quel autre sportif de sa stature peut se targuer, actuellement, d'avoir une telle liberté de parole ? Alors, OK, en contrepartie, tout le monde y est passé. Ça l'a fait démolir le football français, l'histoire du PSG, la nation toute entière même : ne restait plus que le projet qatari du PSG. Avec QSI, il y avait un pacte de non-agression entendu : la dernière envie des Qataris est de faire des vagues, alors ils ont laissé Ibrahimovic faire ce qu'il voulait. C'est-à-dire foirer des opérations marketing, comme celle à Hong Kong racontée dans Ibra Grandeur Nature où il s'endort dans une jonque au moment d'une séance photo destinée au public asiatique. Personne n'osera le réveiller. Ou en ne participant pas à la pub Nivea que l'on voit partout alors qu'il aurait dû en être la tête d'affiche.

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C'est lui qui choisit ses contrats de publicité : Vitamin Well, Volvo donc, mais aussi d'autres campagnes comme celle de l'Unesco (avec les fameux tatouages du match contre Caen) ou celles, plus personnelles, pour son propre parfum et désormais sa marque de vêtements. C'est à peu près d'ailleurs tout ce qui peuple son compte Twitter. Lorsqu'il n'a pas envie d'associer son image à un site de paris en ligne, il le dit. Et refuse un contrat de quatre millions d'euros.

The names are no longer on my body but the people are still out there. http://t.co/H7VPUKORyb #805millionnames pic.twitter.com/PwnNqT6kSZ
— Zlatan Ibrahimović (@Ibra_official) 20 février 2015

Ibrahimovic au PSG était prêt à jouer le jeu du foot-business mais sous ses propres conditions. Le foot français s'est un peu mis à plat ventre, notamment lors de ses adieux au Parc des Princes. Si on peut trouver une sorte de panache punk à sa sortie à la 80e minute et l'entrée de ses enfants sur le terrain après avoir battu le record de Bianchi, on peut trouver aussi grotesque l'interruption du match à la 10e minute pour une minute d'applaudissements ainsi que la haie d'honneur formée sur son passage lors de l'entrée des joueurs.

C'est en substance ce que critique Jérôme Latta, rédacteur-en-chef des Cahiers du Football, sur son blog du Monde.fr dans un billet intitulé L'ibrahimovite, maladie infantile du PSG. « L'idôlatrie puérile » du public et des médias, fustige-t-il, qui traduirait un « complexe français, dans un pays qui se voit comme une province de plus en plus éloignée de l'élite européenne et qui s'honore un peu servilement qu'une star prenne ses quartiers chez lui ». Ce n'est pas autre chose que dit Arnaud Hermant de L'Equipe, mais en des termes plus positifs, quand il se dit reconnaissant d'Ibrahimovic et du PSG « qui ont amené aux journalistes français un certain professionnalisme digne de l'élite européenne dans un pays qui en manquait ».

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Surtout, Ibrahimovic a joué un rôle, celui de la tête de gondole du championnat. Cela a pu être écrasant, parfois - sans aller jusqu'au « diva cannibale » de Jérôme Latta - mais cela a forcément tiré la Ligue 1 vers le haut. Et lui a joué le rôle à la perfection, conservant son arrogance et sa mégalomanie là où il aurait pu en rester à jouer les panneaux publicitaires comme peuvent le faire Cristiano Ronaldo ou Neymar, des mégastars dont le brio se limite généralement au rectangle vert.

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Zlatan Ibrahimovic lors de son arrivée au PSG en 2012. Crédit : Charles Platiau/Reuters.

Car Ibrahimovic croit encore et toujours, plus que les autres, faire partie de la race des légendes : il idôlatre Mohamed Ali depuis son enfance, quand son père lui passait les VHS de ses combats. Ibrahimovic lui a emprunté la même arrogance, la même capacité à envoyer tout le monde aller se faire foutre quand il le souhaite. C'est en cela que les deux s'inscrivent dans la lignée des héros classiques, des Hercule ou des gladiateurs. Comme l'explique le philosophe Sylvain Portier, « ce qui nous semble intéressant chez les héros classiques, c'est qu'ils n'étaient pas des saints. Ils n'avaient pas de fonction régulatrice d'ordre moral, n'étaient pas censés représenter un modèle pour les enfants. Leurs personnalités nous ramènent ainsi à notre propre humanité et à notre part obscure. »

Tant pis si sa mégalomanie énerve ou même si elle a empêché le PSG d'atteindre les demi-finales de Ligue des champions : l'histoire aurait été plus belle peut-être, mais cette tragédie relative de titre européen jamais glané est déjà mémorable. On s'en souviendra comme ça de ces « quatre-quarts », comme on aime à se souvenir de Séville 82 ou des poteaux carrés dans notre sado-masochisme nostalgique de fan de football français.

Ibrahimovic, lui, aura joué son rôle de Zlatan jusqu'à la caricature, et le jouait encore au moment d'annoncer son nouveau club. Comment voir autrement les multiples interviews données ce 7 juin, au Monde ou au Guardian, pour vendre sa ligne de vêtements ? Comme l'explique Sylvain Portier, Ibrahimovic a beau avoir un personnage de surhomme libre, il en reste tout de même esclave, « condamné à toujours rechercher la démesure, la surenchère, s'il veut rester bankable ».

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Pourtant, finalement, en y réfléchissant bien, il y a quelques moments où Zlatan semble sortir de ce rôle : quand il sourit sur le terrain. Un sourire de cour de récré. Arnaud Hermant a aussi été étonné quelquefois, lorsqu'à l'entraînement, Ibrahimovic donnait tout pour battre ses partenaires sur des mini-jeux. A la fin, il lève les bras en signe de victoire comme s'il avait marqué un but exceptionnel, alors qu'il a juste couru plus vite que Maxwell.

« Zlatan est aussi assez attachant de par son caractère enfantin, explique ainsi Sylvain Portier. Malgré son corps particulièrement imposant, il joue au football avec ce plaisir naïf et cette vanité que l'on retrouve chez les enfants, que Nietzsche prenait comme modèle éthique. Lorsqu'il réalise un hat-trick ou qu'il inscrit un but techniquement ou athlétiquement hors du commun, que fait-il ? Il affiche un sourire sans retenue, benêt et sincèrement fier de lui. Cette combativité et cette légèreté que l'on trouve chez les enfants, on la retrouve également chez Zlatan. » C'est aussi pour cela qu'il a été idolâtré. Zlatan Ibrahimovic a toujours pris le jeu avec le plus profond des sérieux, le plaçant au-dessus de tout le reste, de l'argent, de la célébrité. Ou il en a en tout cas donné l'impression.

Il va forcément laisser un vide dans le panorama du football français. Il ne reste plus grand monde, même dans le sport en général, qui soit comme lui de cette race des grands champions arrogants, des connards magnifiques, des Mohamed Ali ou des Eric Cantona. Dans une industrie qui tolère de moins en moins les personnalités qui sortent du cadre, on va se retrouver avec des hommes-sandwichs Adidas incapables de réfléchir par eux-mêmes. Au moins, avec Ibrahimovic et ses manies de sale gosse, on se sera marré pendant un temps.

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