Maynard James Keenan n'a pas le temps pour les conneries

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Maynard James Keenan n'a pas le temps pour les conneries

Nous sommes allés passer un moment avec le très secret chanteur de Tool pour parler de succès, de discipline, de vin, et de sa biographie sortie fin 2016.

Maynard James Keenan n'a pas le temps pour les conneries. N'y voyez aucunement une posture ou une forme d'arrogance, c'est tout simplement la vérité. Musicien, vigneron, artiste, et acteur : à 52 ans, Keenan est plus occupé que jamais et doit donc utiliser son temps avec parcimonie. « Si je dois parler à quelqu'un, il faut que ce soit quelqu'un en qui j'aie confiance », nous lâche-t-il au téléphone après 20 minutes de conversation. Rien d'étonnant de la part d'un individu connu pour sa très grande discrétion et sa propension à fuir tout ce qui va de pair avec le succès.

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Ce qui ne l'a pas l'empêché pour autant de multiplier les projets ces 25 dernières années, de Tool à A Perfect Circle en passant par la série Mr. Show sur HBO. Mais lorsqu'il a annoncé l'an dernier la sortie de sa biographie, les questions que tout le monde posait étaient globalement les mêmes à chaque fois : « Est-ce qu'il va parler de Tool ? », « Où en est Tool ? » et « Quand va-t-il annoncer la date de sortie du prochain album de Tool ? »

Si vous n'avez pas encore lu A Perfect Union of Contrary Things, la biographie en question, sortie le mois dernier aux États-Unis, sachez que oui, Keenan y parle en long et en large de Tool et du rôle qu'a joué le groupe dans son parcours. Nous n'avons en revanche pas prononcé une seule fois le mot « Tool » au cours de notre entretien, et ce pour 3 raisons bien précises : 1/ les gens ont tendance, si on leur pose toujours les mêmes questions, à péter un plomb, 2/ on préférait se concentrer sur son livre, co-écrit avec son amie d'enfance Sarah Jensen et 3/ il s'avère que Keenan à beaucoup, beaucoup, beaucoup d'autres choses à dire.

Noisey : C'est difficile d'écrire une biographie quand on est quelqu'un de très discret, comme toi ? 
Maynard James Keenan : Assez, oui. Il y a, selon moi, quelque chose d'assez bizarre… Je ne sais pas si bizarre est le bon mot. Disons plutôt un déséquilibre dans la façon dont la célébrité est vécue et interprétée. Il faudra sans doute des années de recherche pour savoir d'où ça vient exactement et comment ça fonctionne. Ça remonte probablement à l'âge d'or d'Hollywood ou un truc du genre, je n'en sais rien. Il y a forcément du pouvoir et de l'argent à la source de tout ça en tout cas. Pour que ton art ne soit pas parasité, je pense qu'il faut que tu t'effaces un peu. Tu peux être un abruti. Tu peux être quelqu'un de gentil. Tu peux être qui tu veux quand tu quittes la scène. Mais si ta personnalité passe au premier plan, j'ai le sentiment que ça compromet ton travail.

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C'était dur pour toi de revenir sur le passé ?
Quand tu commences à remuer de vieilles blessures, forcément il en sort des choses. En théorie, toute ta vie, tu essayes de faire de ton mieux, de transformer ton énergie négative en énergie positive. Et pour ça, tu dois t'intéresser au passé, essayer de comprendre où tu as merdé. Et tu fais ça toute ta vie. C'est quelque chose de tout à fait normal. Mais je ne l'avais encore jamais fait avec quelqu'un d'autre dans la même pièce. C'est quelque chose de personnel, pas un truc que tu as forcément envie d'écrire ou d'aller crier sur tous les toits.

Tu disais tout à l'heure vouloir éviter que ta personnalité déteigne sur ton art. C'est généralement l'inverse qui ressort de la grande majorité des biographies de célébrités. 
Je crois que les gens lisent des biographies pour trois raisons. La première, c'est parce que quelqu'un les a convaincu qu'ils n'auraient jamais une vie aussi riche et exaltante. Ce qui est une énorme connerie. Ce n'est pas parce que personne ne vous connaît et que personne ne parle de vous que votre vie est moins riche et intéressante. Quelqu'un, quelque part a fait croire aux gens qu'il valait mieux se focaliser sur un petit groupe de personnes qui ont eu de la chance. Parce que c'est ça : de la chance. Le succès, c'est une loterie, rien d'autre.

La deuxième raison pour laquelle les gens lisent des biographies, c'est parce qu'il veulent du sensationnel. Ils veulent des ragots, ils veulent savoir ce qu'il se passe dans les coulisses. C'eszt triste de se dire que d'un côté, ils donnent du pouvoir à quelqu'un qu'ils considèrent comme une divinité, et que de l'autre ils veulent du sensationnel. Et la troisième raison, c'est pour savoir si la personne en question est humaine. J'ai tout le temps des amis qui me font : « Hey, on va aller à cet endroit » ou « On va aller à ce truc. Est-ce qu'on annonce qu'on vient avec toi ? Est-ce qu'on met ton nom en avant ? » Et je leur réponds toujours : « Non, parce que si vous faites ça, il n'en sortira absolument rien de bon. » Soit les types qui t'accueillent te détestent et ils feront ce qu'ils peuvent pour te le faire comprendre, soit ils t'adorent et ils feront leur possible pour te le faire comprendre également. Dans tous les cas, ils ne seront pas naturels et te traiteront comme un invité spécial.

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Et ce sera mérité. Parce que tu t'es présenté comme tel. Ce sera donc entièrement de ta faute. Tu auras un traitement de faveur ou un traitement de défaveur. Et il n'y a rien qui justifie que tu sois traité mieux ou moins bien que le couple de la table à côté ou la famille à la table de derrière. Ça ruine totalement l'expérience et ça fait justement que l'expérience n'en est plus une.

Ça doit être difficile à gérer quand on est une célébrité qui a des millions de fans partout dans le monde. 
Ça peut être compliqué, oui. En fait, tout dépend de ce que tu veux. De la raison pour laquelle tu fais ce que tu fais. Imaginons que tu aies envie d'être Chef, un de ces Chefs hyper cools, un peu rock stars, avec plein de tatouages, qui passe souvent à la télé. Imaginons que ce soit ton objectif. Être un Chef cool avec des tatouages qui passe à la télé. Si c'est ton objectif final, tu pourras prendre pas mal de raccourcis et gagner énormément de temps pour y accéder, parce que tu n'auras pas forcément besoin d'être très bon dans ton domaine, vu que ça ne fait pas partie de tes objectifs. Après tout, tu veux juste être célèbre et cool. Ça peut le faire. Qu'est-ce qu'on en a à foutre que tu sois bon ?

C'est un sujet qui revient beaucoup tout au long du livre, le fait que tu ne comptes que sur toi, sur tes compétences. Tu as toujours vu les choses comme ça ou bien c'est venu avec l'expérience ?
À l'Âge des Cavernes, quand tu devais mettre un rocher par dessus un autre rocher et qu'il n'y avait personne d'autre pour t'aider, tu étais bien obligé de trouver une solution tout seul. Nous sommes guidés par notre esprit créatif. C'est ce qui nous permet de survivre, d'avancer. Si tu veux atteindre une île, que tu es sur un bateau et que le bateau échoue, tu sors du putain de bateau.

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Le fait d'écrire le livre avec Sarah Jensen t'a-t-il permis d'aborder plus facilement les détails de ta vie privée ?
On a grandi dans le même endroit, on a été au collège ensemble. Elle sait d'où je viens, son frère est mon meilleur ami. Je lui fait totale et entière confiance. J'ai également voulu que ce soit elle qui choisisse l'éditeur et la personne qui allait nous représenter, parce que si je m'étais immiscé là-dedans, ça aurait nécessité la participation de mon agent et de mon avocat et son apport au livre aurait été réduit à quelque chose de très marginal.   Il ne faut pas oublier que le livre n'est qu'une version de l'histoire. On aurait pu en présenter d'autres, ou présenter plus d'épisodes. C'est juste une perspective. On pourrait comparer ça à des aveugles qui touchent un éléphant. Chacun d'entre eux va toucher et décrire une partie de cet éléphant et va se faire une idée de l'animal en se basant sur cette partie uniquement. L'éléphant, c'est le monde. Et tu auras des gens qui n'auront touché que la queue, d'autres qui auront touché les pattes, d'autres les oreilles, et ils auront tous une vision du monde complètement différente. Et c'est ce qu'on a choisi de faire avec Sarah. De décrire une seule partie de l'éléphant. Et il en reste beaucoup d'autres. Il y a des choses que tu avais oubliées et qui te sont revenues durant la préparation du livre ?
Oui, quelques-unes, mais il y avait surtout des choses qu'on a choisi d'écarter parce que ça rendait l'histoire plus confuse.

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Y'a-t-il eu des souvenirs plus douloureux que d'autres - mais qui étaient nécessaires au livre ? 
Oui, il y a eu des choses que j'ai du atténuer ou laisser un peu dans le vague. Je ne voulais surtout pas faire un livre de rock star venue laver son linge sale en public. Ça, c'est tout je que je voulais éviter. Il arrive des trucs horribles et tordus à tout le monde, mais tu n'es pas obligé de les étaler. Tu sais ce qu'on dit : il faut faire avec ce qu'on a. Et quoi que tu aies, tu peux faire avec des choses horribles comme des trucs complètement dingues. C'est à toi de décider.

Les 4 années que tu as passé dans l'armée t'ont-elles aidé à développer cette façon de penser, très autonome et responsable ?
Je pense que ça a été important, oui. Comprendre la structure, la discipline. Être capable de poser des limites et savoir parfaitement où elles commencent et jusqu'où elles vont. Pouvoir anticiper. Et surtout, apprendre à penser différemment, à sortir de sa zone de confort. La plupart des gens pensent que la mentalité d'un soldat et celle d'un artiste sont diamétralement opposées. Mais c'est faux. Tous les deux ont besoin de la même discipline. Les premiers chasseurs étaient des êtres extrêmement créatifs. Ils ont dû inventer des instruments et trouver des idées pour se nourrir. Pour moi, ce sont deux mentalités très similaires.

Tu as présenté au public des facettes de ta personnalité toutes très différentes - tu as d'ailleurs souvent littéralement porté des masques sur scène. C'était dur de transformer tout ça en une seule et unique voix ? 
C'était une petite partie du boulot de Sarah, mais surtout la mienne en fait. Durant nos conversations, chaque dimanche, je devais faire en sorte de mettre certaines choses de côté pour qu'elle ne s'embrouille pas et puisse raconter une histoire fluide et cohérente. Tout ce qui est dans le livre est vrai et totalement authentique. J'ai juste fait en sorte de ne pas la faire dévier du chemin qu'on a commencé à tracer ensemble. Et elle, de son côté, a éliminé tout ce qui était superflu et qui venait parasiter l'histoire.

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Tout ton parcours pourrait se résumer à ça, finalement : raconter différentes histoires, sous différentes identités. Quand as-tu développé ce goût pour le jeu, les personnages ?
Au collège. À la chorale. J'écrivais aussi plein de petits poèmes quand j'étais au collège. Je voyais autour de moi des gens à qui il arrivait des choses étranges et je m'appropriais ces expériences pour en tirer des poèmes que je leur adressais. Ça ne parlait pas de leur situation spécifiquement, mais c'était suffisamment proche pour qu'ils comprennent que ça les concernait. De cette manière, j'arrivais à les faire réagir, à les faire parler d'une manière dont ils étaient totalement incapables auparavant - j'étais capable de les débloquer à ce niveau. C'est ce qui m'a permis de réaliser que je pouvais aider une personne simplement avec des mots.

OK, donc on doit s'attendre à un recueil de poésie un de ces jours.
Non [Rires]. Quand je vois ce que PJ Harvey a sorti récemment niveau poésie, non, pas moyen. Je ne vais même pas essayer. Trop compliqué pour moi. Ce qu'elle a écrit est incroyable et j'aurais l'air d'un guignol complet à côté d'elle.

Tu te considères avant tout comme quelqu'un qui écrit ?
Oui, mais je pense que pour raconter une histoire, du dois d'abord te salir les mains, te confronter à des problèmes. Tu dois être impliqué, conscient et être capable de toucher les gens. Sinon, tu es juste un critique.

Écrire une biographie c'est, d'une certaine façon, se confronter à sa mortalité. Est-ce que ça joue un rôle plus important dans ton travail aujourd'hui - comparé à il y a par exemple 15 ou 20 ans ?
Oui, et je crois que c'est le cas pour la plupart des gens. Rien qu'en politique par exemple : tu ne verras jamais un président âgé de 21 ans. C'est normal. À 21 ans, tu n'as pas vécu. Tu n'as encore rien fait. Tu dois toujours gérer ta libido. Tu n'as pas de secrets inavouables, enfouis dans un recoin de ta mémoire. Il y a des tas de choses dont tu ne peux pas parler. Dans le milieu du vin, il y a ce truc que disent les experts : même si ton père est vigneron, il te faudra du temps pour saisir et comprendre toute la complexité du vin. Tu ne peux réellement comprendre l'aspect spirituel et intellectuel de la chose qu'après 25 ans.

Parfois, il arrive qu'il y ait un gamin plus précoce, bien sûr. Mais la plupart du temps, c'est toujours le même schéma. La famille est dans le vin et les gamins font : « Mouais, je sais pas si je bosserai là-dedans… » Et puis quand ils arrivent vers les 27,28 ans ils réalisent que leur erreur : « Oh mon Dieu, c'est absolument génial. Qu'est-ce que je branle ? Il faut que je m'y mette tout de suite ! » Au début, c'est juste une boisson, et puis, avec le temps, tu comprends que ce que contiennent ces bouteilles, ces vignes, c'est la vie, qui respire. Il y a un âge où tu comprends ça. Et c'est pareil pour beaucoup de choses. En vieillissant, tu réalises énormément de choses que tu ne pouvais pas voir ou comprendre avant. Parce que tu as connu plus d'expériences, que tu es devenu une personne différente.

Jonathan Dick est journaliste. Il vit à Birmingham, Alabama.