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Le visage d'un suspect a été reconstitué à partir d'un échantillon ADN de 1998

Le meurtre de Renee Sweeney hante la petite ville de Sudbury depuis bientôt vingt ans. Aujourd'hui, la police locale a décidé de publié un portrait-robot plutôt inhabituel du principal suspect.
Image: Flickr/Horia Varlan

Le meurtre de Renee Sweeney hante la petite ville de Sudbury, dans le nord de l'Ontario, depuis bientôt vingt ans. Lundi, la police de Sudbury, qui n'a jamais renoncé à élucider l'affaire de 1998, a publié une photo du principal suspect. Avec ses cheveux châtains-blonds et sa paire de lunettes rectangulaires, l'homme ressemble à un étudiant lambda, vaguement intello.

On ne sait pas si meurtrier a jamais ressemblé au visage fourni par la police : le portrait est une image composite qui repose sur des prédictions phénotypiques réalisées à partir d'un échantillon d'ADN (prélevé sous les ongles de Renee Sweeney, sur une veste abandonnée et sur une paire de gants). La technique, dont l'utilisation dans le cadre d'une enquête policière est sujette à controverse, s'appelle le phénotypage ADN.

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La police de Sudbury souhaite que le public garde ce visage en tête et signale quiconque ressemblerait à la reconstitution 3D. Les enquêteurs utilisent également le portrait en interne afin de réduire la liste des suspects et établir des priorités d'enquête.

« Je suis convaincu que ce visage correspond à la réalité, la science l'a prouvé », a déclaré l'inspecteur David Toffoli, de la police de Sudbury, par téléphone.

À l'Université d'État de Pennsylvanie, Mark Shriver dirige un laboratoire qui tente d'identifier le phénotype d'un individu à partir de son génotype afin de modéliser la forme de son visage. Selon Shriver, cette technologie est très intéressante dans le cadre académique, mais produit des résultats trop incertains pour être utilisée dans un cadre judiciaire. Surtout quand l'innocence d'un citoyen est en jeu.

Le phénotype correspond à l'ensemble des traits observables d'un individu, tels que la couleur des cheveux, des yeux et de la peau. Sachant que le génotype de deux membres de la même espèce est très similaire, il faut s'appuyer sur un tout petit nombre de gènes pour pouvoir prédire les caractéristiques physiques d'un individu. C'est donc une méthode très risquée, d'autant que l'expression des gènes peut être considérablement influencée par l'environnement.

« Le commun des gens voit des visages toute la journée. Il ne faudrait pas que ces personnes deviennent paranoïaques et entreprennent d'analyser systématiquement tous les nouveaux visages qui se présentent à elles de crainte qu'il s'agisse du suspect, ou du moins du type qui a laissé son ADN derrière lui. C'est malsain, dangereux, et cela peut augmenter considérablement le nombre de suspects et de faux-positifs », explique Shriver.

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Cette technologie émergente risque également, entre les mains de la police, de contribuer à stigmatiser les minorités en raison de lacunes potentielles dans le modèle informatique qui effectue les prédictions sur le phénotype.

« Il faut étudier des échantillons de population larges et diversifiés », a déclaré Shriver. « C'est absolument essentiel ; à moins de sur-échantillonner des groupes minoritaires, on risque de tirer des généralités de cas isolés ».

Outre ses parti-pris scientifiques et statistiques douteux, l'entreprise de Virginie qui a effectué des prédictions phénotypiques pour la police de Sudbury, Parabon Nanolabs, n'est pas très transparente sur les méthodes employées.

Malgré cela, de nombreuses forces de polices américaines utilisent déjà la technologie de l'entreprise pour générer des photos de suspects. En 2016, Parabon a confirmé au Toronto Star que la police canadienne avait fait appel à eux, mais ne précise pas quand ni dans quel contexte.

La page Web de la société compare ses rendus 3D avec les photos des personnes réelles afin de prouver la fiabilité de son approche ; cependant Parabon n'a jamais publié le moindre article scientifique afin de détailler ses recherches, méthodes et résultats. Cela devrait être suffisant pour discréditer ses activités.

Lorsque j'ai contacté Parabon par email, Ellen Greytak, directrice du département de bioinformatique, m'a renvoyé un poster scientifique résumant leur approche.

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« Les portraits sont composites et ne sont pas censés représenter l'apparence exacte d'un sujet », écrit Gerytak par mail. « Ils ne prennent pas en compte l'influence de l'environnement et des événements sur l'aspect de l'individu, comme son âge, son poids, ses cicatrices, sa consommation de tabac et stupéfiants, son exposition au soleil, ses tatouages, sa coiffure, ses poils faciaux, etc. ».

Enfin, les composites 3D de Parabon représentent par défaut un individu de 25 ans possédant un IMC de 22. Les algorithmes sont bien sûr propriétaires et exclusifs, ajoute Gerytak. Selon elle, un article scientifique est « à paraître ».

Shriver a aidé Parabon à obtenir des subventions du gouvernement pour leur travail il y a plusieurs années, mais n'a pas eu de contact avec l'entreprise depuis. À l'époque, lui et ses collègues s'inquiétaient déjà de la réussite de l'entreprise, qui dépendait d'une technologie dont la fiabilité n'a jamais été prouvée.

En ce qui concerne la police américaine, la politique d'utilisation de la technologie Paragon est très claire : chaque département en fait ce qu'il veut.

Peut-être que l'article à venir apaisera certains doutes concernant la qualité de la démarche scientifique de Paragon, mais plusieurs questions demeurent : qu'est-ce qu'un portrait 3D peut bien apporter à la police ? Est-il utile (et surtout, éthique), de demander aux citoyens d'ouvrir l'œil afin de repérer les individus qui auraient un aspect similaire ? Peut-on vraiment résoudre un meurtre survenu 20 ans auparavant à l'aide d'un portrait-robot ?

Nous pourrons bientôt y répondre, car le portrait de Sudbury a été diffusé dans les médias.