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Pour faire du renseignement militaire, il suffit d'avoir un compte Twitter

Ce n'est pas pour rien si @flightradar24 possède 360 000 followers.

Ce mois-ci, Steffan Watkins a passé des jours et des jours à corriger les utilisateurs Twitter qui s'exprimaient sur un sujet ayant alarmé les médias américains : les manoeuvres de la Force aérienne russe dans l'espace aérien international.

"Bien sûr que non, ils ne vont pas pénétrer votre territoire ! Ils sont dans l'espace aérien international, et font ce genre de manoeuvre tous les mois ou presque, depuis des années !" explique-t-il à un twitto américain qui s'inquiétait de "ces bombardiers russes TU-95 s'approchant dangereusement de sa maison en Alaska".

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Dans les mois qui ont précédé, Watkins s'était acharné à tweeter les changements de position d'un navire de la Marine russe, le Yantar, tout en commentant régulièrement les manoeuvres des navires militaires traversant la Méditerranée.

Watkins est consultant en sécurité informatique au Canada et possède un goût prononcé pour le renseignement open source (OSINT). Il n'est que l'un des centaines de fans de technologie militaire qui effectuent de la veille en défense et en géopolitique sur Twitter. Sa spécialité, c'est les véhicules militaires. Non seulement il éduque ses followers sur ces sujets, mais il collabore avec d'autres passionnés sur les réseaux sociaux afin d'obtenir des informations toujours plus fiables et plus précises auprès de sources diverses, telles que le service de suivi aérien Flightradar24 et son équivalent maritime, MarineTraffic.

Motherboard a demandé à Watkins en quoi Twitter était si spécial à ses yeux.

"Twitter est utilisé par des personnes très différentes pour des usages très divers, et tous ces gens-là sont rassemblés en un seul endroit", m'explique Watkins par email. "C'est une plateforme commune qui peut être utilisée pour obtenir des informations fiables auprès d'individus qui ont les mêmes intérêts que vous mais aussi évoluent dans d'autres milieux, ce qui est quasiment impossible sur Facebook."

Selon lui, Facebook a une approche "cloisonnante" qui isole les individus en communautés et niches imperméables, à la manière des forums d'antan. "Si vous prenez un groupe Facebook classique, privé et modéré, il n'y a aucun moyen de découvrir son existence par hasard si vous ne connaissez pas quelques-uns de ses membres au préalable et si vous n'y êtes pas invité", ajoute Watkins.

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Le système de recherche ouvert de Twitter est une parfaite antithèse des réseaux sociaux tels que Facebook, qui privilégient la personnalisation de l'expérience en fonction des goûts, relations et intérêts de l'utilisateur. Pour Watkins, Twitter possède une culture où les faits bruts, froids et impersonnels - tels que les données sur l'altitude des avions militaires - intéressent volontiers de larges groupes de personnes. Tandis que la tension monte entre les États-Unis et la Russie, et entre divers autres États-nations, le suivi de la localisation des cibles militaires actives tel que le navire de la marine russe Viktor Leonov attire un intérêt croissant, et Twitter devient un support de choix pour suivre cette actualité. Il existe aujourd'hui d'innombrables comptes consacrés au suivi de véhicules et d'armes spécifiques, comme @GVA_Watcher qui répertorie les avions originaires de régimes autoritaires atterrissant à l'aéroport de Genève, ou ce bot consacré à l'espace aérien britannique.

"Twitter constitue un medium formidable pour exposer votre travail en 140 caractères", explique @rajfortyseven à Motherboard par DM. La spécialité de ce compte est le suivi de missiles via images satellites. En janvier, l'utilisateur qui se cache derrière @rajfortyseven (et désire rester anonyme) a utilisé Twitter pour démontrer que le lancement du missile pakistanais Babur 3 était un hoax.

Que les affirmations de @rajfortyseven soient fondées ou non, son compte devenu une source d'information réputée fiable, très populaire chez les aficionados d'armes et de renseignement open source. Après tout, la majorité de ces comptes proposent des informations vérifiables de manière directe auprès de services de suivi professionnels ou de coordonnées d'images satellites. « Les images attachées aux tweets permettent une meilleure compréhension des enjeux », explique @rajfortyseven à Motherboard, en soulignant les avantages de la transmission d'informations par tweets.

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"J'utilise également Twitter pour informer les gens sur la géolocalisation des missiles chinois à partir de posts de photos réguliers", ajoute-t-il. "L'interprétation et l'analyse d'images satellites est mon hobby. Ça me permet d'activer mes neurones, de m'occuper, j'adore ça."

En février, Motherboard avait rapporté le crash d'un drone américain au Yémen. Celui-ci aurait transporté de l'équipement d'espionnage de la NSA. À cette occasion, nous avions utilisé des données postées sur Twitter par des comptes de suivi de missiles, après une brève recherche par mots-clés.

"Il suffit d'un ou deux mot-clés pour trouver des informations succinctes mais fiables postées par quelqu'un d'autre. Dans le domaine militaire, il s'agit bien souvent d'un amateur éclairé postant des informations vérifiables", explique Watkins. Sa spécialité est les navires de guerre - il tient même un blog sur ce sujet, tout en utilisant Twitter pour publier des informations sur le suivi d'embarcations aux enjeux spécifiques, comme le navire espion Viktor Leonov.

Watkins explique également que les informations en provenance d'autres sources, comme les VK forums (où ont lieu des discussions sur les initiatives militaires russes) et ADSBExchange, qui offre des données non filtrées et non censurées sur le système de surveillance coopératif pour le contrôle du trafic aérien ADS-B, sont également transférées sur Twitter.

Sur des réseaux sociaux dominés par la désinformation, les bulles de filtres et les opinions polarisées, Twitter constitue un outil extrêmement commode pour s'adonner aux passions les plus bizarres, fussent-elles la surveillance des avions militaires. Une aubaine pour les grands anxieux et les paranos.