La longue traque du chanteur folk qui pensait être le messie

Craig Smith quand il était encore chanteur, et Craig Smith quelques années plus tard, après avoir été arrêté pour l'agression de sa mère en 1973

Photos publiées avec l'aimable autorisation de la Feral House.

Vous ne connaissez pas son nom, mais à une époque, Craig Smith était sur le point de devenir une star. Au début des années 1960, cet auteur et interprète a pris part à un show télévisé très populaire, une sorte d'ancêtre de la Star Academy. Après cela, il a reçu l'aide des Monkees pour enregistrer un disque avec le groupe qu'il avait monté : les Penny Arkade. Puis il a disparu comme ça, subitement.

Quand Craig Smith est revenu en Californie, il n'était plus le chanteur de folk propre sur lui que sa famille connaissait. Plus de sourire, ni de cheveux bien peignés. Si vous lui demandiez, il n'était même plus Craig Smith. Le musicien avait tout quitté pour se lancer dans le célèbre hippie trail – un parcours initiatique emprunté par les hippies et allant de l'Europe à l'Asie – guitare à l'épaule et poches remplies d'acides. Au cours de son périple, quelque chose avait changé chez lui et il s'était mis à croire qu'il était la réincarnation du Christ et de Bouddha. Il se faisait appeler Maitreya Kali, avait un tatouage de veuve noire sur le front et était persuadé qu'il dominerait le monde d'ici l'an 2000.

Une fois de retour aux États-Unis, le nouveau Smith effrayait ses anciens potes. Lui et sa musique étaient devenus très sombres. Il a fini SDF et probablement fou. Il est mort en 2012, seul.

Mike Stax, auteur et éditeur, a mis près de 15 ans pour tenter de comprendre la vie de cet artiste autrefois nommé Craig Smith. Il s'est intéressé au cas de Craig après avoir écouté une compilation enregistrée à l'époque des Penny Arkade, et en comparant celle-ci avec une autre datant de l'époque où il se faisait appeler Maitreya Kali. L'auteur était devenu obsédé à l'idée de comprendre ce qui lui était arrivé. Dans son nouvel ouvrage, Swim Through the Darkness, qui sera publié le 13 septembre aux éditions Feral House, Stax lève le voile sur la disparition étonnante de Craig Smith et la complète redéfinition de son identité, en essayant de prouver que cette célébrité en devenir n'était pas seulement qu'une énième victime collatérale de l'acide.

VICE a rencontré Mike Stax pour lui parler de sa traque de ce musicien presque célèbre.

VICE : Comment vous êtes-vous retrouvé à faire des recherches sur ce mec ?
Mike Stax : Au début, j'étais surtout très intéressé par sa musique. J'avais acheté des copies rééditées de ses albums solo Apache et Inca. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre parce que la jaquette était très mystérieuse, très perturbante et complètement barrée. Je m'attendais à une musique un peu planante, du folk décousu, et du coup j'ai été surpris de constater que sa musique était assez harmonieuse. Les paroles et l'accompagnement étaient plutôt réussis. Musicalement, ça partait dans tous les sens. Parfois, on avait l'impression d'entendre un morceau des Byrds ou de Buffalo Springfield alors que d'autres morceaux n'étaient même pas de la musique folk. Et il y avait aussi des extraits de dialogues. Je ne pouvais plus m'arrêter d'écouter ses chansons. Je savais qu'il y avait une bonne histoire derrière tout ça, mais il n'y avait aucune information disponible, seulement quelques spéculations de collectionneurs. La seule chose que l'on savait c'était que ce gars, qui se faisait nommer Maitreya Kali, s'appelait en réalité Craig Smith et qu'il était né le 25 avril 1945. Alors je me suis mis à la recherche de ce Craig Smith afin de découvrir sa véritable histoire.

Vous avez mis 15 ans pour finaliser ce projet. Pourquoi autant de temps ?
J'ai mis tout ce temps car il y a énormément de Smith, et ce Craig Smith n'avait pas laissé beaucoup de traces de son existence. Quand j'ai entamé mes recherches, les gens ne savaient pas grand-chose sur lui. On me racontait toujours la même histoire : celle d'un musicien prometteur qui a pris trop d'acides et qui a fini par y rester. Je voulais savoir où il était et ce qui lui était arrivé, mais mes recherches se sont révélés difficiles puisqu'il était sans-abri à la fin de sa vie. C'est pourquoi j'ai endossé le rôle de détective. Quand j'ai commencé à en savoir davantage sur lui, j'avais de l'empathie pour ce gars. Il est trop facile de dire que ce mec est simplement mort d'une overdose d'acides.

Il avait totalement changé, il était passé du jeune artiste talentueux, équilibré et insouciant à un gars super lugubre. Il ressemblait presque à Charles Manson mais il me fascinait. Comment avait-il pu aussi mal tourner ? Je voulais juste comprendre comment avait pu s'opérer un tel changement, l'histoire qui se tramait derrière cet homme. Après avoir rencontré des gens l'ayant connu lors de différentes étapes de sa vie, je me suis rendu compte que j'étais en présence d'un sujet fascinant.

Comment êtes-vous parvenu à traquer et à trouver Craig Smith ?
Au fil des années, j'ai poursuivi mes recherches pour localiser et interviewer des gens qui avaient connu Craig au cours de sa vie. La première personne que j'ai rencontrée et qui m'a ouvert les portes de sa vie était Don Glut, un membre des Penny Arkade. Grâce à lui, j'en ai appris beaucoup plus sur la vie de Craig Smith. J'ai également rencontré Chris Ducey qui faisait partie du groupe. Comme bien d'autres, Ducey était hésitant à l'idée de me parler de Craig. Il avait vu son meilleur ami se changer en taré.

J'ai dû le travailler au corps et il a finalement accepté de m'accorder une interview à la seule condition que l'on se rencontre en personne. Après, j'ai aussi trouvé un gars à Studio City qui avait vu Craig dans les parages. Hormis ces rencontres, mon travail se limitait à aller voir les sans-abri dans les parcs, fouiller les archives des tribunaux et les registres pénitenciers. Je pensais pouvoir le sortir de la rue, l'aider à toucher ses droits d'auteur et lui procurer l'aide médicale nécessaire. Il fallait seulement que je le trouve. Je savais que tout ce mystère ne pouvait être résolu qu'à condition que je lui parle directement. J'étais totalement obsédé.

Ses parents étant morts, je me suis démené afin d'entrer en contact avec des membres de sa famille, mais tous refusaient de me parler. À cette époque, je ne savais pas que Craig avait agressé sa mère en 1973. Sa famille ne voulait plus entendre parler de lui. Elle ne voulait même pas récupérer sa dépouille quand il est mort. Voilà pourquoi j'ai dû m'en occuper moi-même.

Dans votre livre, vous expliquez que la hippie trail a été le point de départ de sa transformation drastique. Que s'est-il passé là-bas ?
Je me suis entretenu avec tout un tas de gens qui le connaissaient avant qu'il ne fasse sa soirée d'adieu dans la maison de Mike Love (l'un des membres des Beach Boys), et il était encore stable à cette époque. Avant de partir là-bas, il était heureux, extraverti, sociable. C'était un gamin qui avait toujours le sourire aux lèvres et qui avait un très bon sens de l'humour. Personne ne sait ce qui s'est passé. Il a dit à certains gars qu'il avait été attaqué ou un truc dans le genre. Mais j'ai appris par son avocat, Hal Kant, que ce dernier avait dû le faire rapatrier d'Afghanistan, où il avait été interné dans un asile. Il avait totalement oublié son identité, il n'était plus le même. Il avait complètement changé.

Qu'est-ce qui avait changé chez lui exactement ?
Il ne voulait plus qu'on l'appelle Craig. Désormais il s'appelait Maitreya et il pensait qu'il était le nouveau messie, la réincarnation du Christ et de Bouddha. Il avait laissé pousser ses cheveux et sa barbe, puis il s'est fait tatouer une veuve noire sur son front, comme un troisième œil maléfique. Ses amis étaient extrêmement inquiets. Ils ont tenté de l'aider mais, en fin de compte, ils ont été contraints de lui dire de partir quand il commençait à se montrer dangereux.

La pochette de l'album « Apache »

Pouvez-vous nous parler des albums Apache et Inca, qui datent de la période où Craig se faisait appeler Maitreya ?
Apache et Inca sont des compilations et comportent aussi bien des extraits de sessions avec les Penny Arkade que des chansons enregistrées après sa transformation en Maitreya. Il était tellement instable mentalement qu'il n'avait plus aucun lien avec ses anciens amis. Personne ne voulait l'aider. Selon certaines sources, il aurait voulu entrer en contact avec un vieux camarade de lycée qui s'appelait Mike Curb parce qu'il était président de MGM Records à cette époque. Mais quand il a vu ce que Craig était devenu, Mike l'a fait dégager de son bureau. Sans perspective d'album en vue, Craig a décidé de tout faire lui-même. Il vendait ses albums à la sauvette et donnait des exemplaires à ses amis. Son stock s'est assez vite écoulé.

J'ai l'intime conviction que Craig savait que son état mental se détériorait. Pour cette raison, il voulait réunir toutes ses musiques sur un même album tant qu'il était encore temps. Cet album, c'était ses dernières volontés, le testament qu'il offrait au monde. Ses disques avaient des jaquettes très recherchées et ils ressemblaient à des journaux entrelacés de dialogues entre les chansons. Il avait même inclus des enregistrements en extérieur qu'il avait réalisés au cours de ses voyages.

Craig Smith est mort en 2012 alors qu'il vivait dans les rues de Los Angeles. Les choses auraient-elles pu se passer autrement ?
Craig Smith était quelqu'un de démesurément talentueux, avenant et charismatique, mais au plus profond de son esprit des vices le tourmentaient. S'il ne s'était pas embarqué dans cette aventure le long de la hippie trail en 1968, il aurait pu mener une carrière brillante de musicien. Le livre relate autant le chemin parcouru pour trouver Craig que Craig lui-même. Lorsque j'ai débuté mes recherches, jamais je n'aurais pensé consacrer 15 années de ma vie à résoudre le mystère Maitreya Kali.

Ça me rappelle à quel point notre monde peut être cruel. Avec ce livre, je voulais raconter l'histoire de Craig pour la postérité. J'espère avoir réussi.

Swim Through the Darkness est sorti le 13 septembre aux éditions Feral House. Commandez-le ici.

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