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LE NUMÉRO ART PARMI D'AUTRES

Quinze disques sortis par des artistes

En bon génie mégalo adepte de la « paranoïa critique », Salvador Dali a enregistré cet opéra-poème egomaniaque en 1974, avec Brigitte Bardot dans le rôle d'un artichaut. Ce coffret de 33 tours est sans doute l'un des objets...

DAVID SHRIGLEY
Worried Noodles (The Empty Sleeve)
Tomlab, 2005

David Shrigley s’est rendu célèbre grâce à ses images absurdes délibérément mal ­dessinées qui dissimulent des commentaires sarcastiques sur le monde pète-sec de l’art contemporain et sur la futilité de l’existence en règle générale. J’adore ce disque pour la simple et bonne raison que ce n’en est pas un. Il s’agit juste d’une pochette qui contient un disque dessiné à la main et un livret contenant des paroles de chansons imaginaires. Sur un faux autocollant promotionnel, on peut lire en anglais : « L’achat idéal pour ceux qui n’ont pas de tourne-disque. » Ma seule déception, c’est que le disque en question a fini par voir le jour sous la forme d’une compilation dont chaque chanson a été enregistrée par un groupe différent, parmi lesquels Grizzly Bear, Deerhoof, Dirty Projectors, Franz Ferdinand, David Byrne, Liars, Trans AM… Bref, l’internationale indie rock de bon goût à laquelle j’ai parfois envie de coller des tartes.

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THE NEW BLOCKADERS

TNB est mort!

Tesco Organization, 1995

Richard Rupenus me détesterait de l’avoir foutu dans les disques d’art, vu que son slogan est : « Even anti-art is art and that’s why we refuse it. » TNB est une formation bruitiste postindustrielle à géométrie variable née à la fin des années 1980 et dans laquelle ont fait leurs classes (hum, ça non plus il aimerait pas) tout ce que la Terre compte comme adeptes de la secte du Bruit Blanc. Je les ai vus une fois en concert-performance à ATP, cagoulés comme des membres du FLNC, et j’ai pris une grosse claque. Seul point noir, ils font tellement référence à dada et au ­futurisme que ça en devient un peu ­lourdingue. Réveillez-vous les mecs, le

Manifeste du Futurisme

c’était en 1912 et le Cabaret Voltaire n’a jamais été en vogue que six mois en 1916. En plus, votre nom m’a toujours fait penser à New Kids on the Block.

SUNN O)))/BANKS VIOLETTE

Oracle

Southern Lord, 2007

Vous allez me dire : que vient foutre un disque de Sunn O))) là-dedans ? Facile : c’est l’enregistrement d’une performance avec l’artiste contemporain Banks Violette. Ce mec-là joue les gros durs tatoués et conçoit des ­installations minimalistes à base de formes géométriques anguleuses et épurées comme des éclats de diamants noirs. OK, c’est classe, mais ce cher monsieur au nom de fleur ridicule a quand même tiré le black metal pur et dur vers ce truc un peu

fake

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de galerie chic pour branchés de tous horizons. Je sais pas pourquoi, mais c’était hyper tendance en 2007 d’épater l’intelligentsia arty avec de gros amplis, de gros riffs bien doom et une grosse voix démoniaque. Vous en avez marre de vos politesses mondaines et de vos lofts aseptisés ou quoi ? Vous avez envie de vivre le « grand frisson » du métal extrême ? C’est ça hein, bande de lopettes ? Putain, si même le black metal est en voie de gentrification, on est foutus.

RED KRAYOLA WITH ART & LANGUAGE

Sighs Trapped by Liars

Drag City, 2007

Vingt-cinq ans après une première collaboration avec le collectif d’artistes conceptuels Art & Language (« Black Snakes » en 1983), le groupe proto-postpunk de Mayo Thompson a remis le couvert sur cet album nettement plus soft et classique que ses

Free-form Freak-out

et autres

Kangaroo

bien jetés du temps jadis. Pour l’occasion, Art & Language a écrit des paroles tellement zarbi que je ne serais pas foutu de vous dire de quoi il retourne. J’ai cru cependant discerner des références à Rabelais et des bouts de phrases comme : «

low grade sadomasochistic pornography

. » L’une des chansons a l’air de porter sur les miroirs, une autre sur les explosions de voiture ou sur la transformation physique des chats quand ils se mettent à flipper. Mais le plus chelou là-dedans, c’est que la musique est une sorte de pop orchestrale suave, pour ne pas dire lounge, sur laquelle Jim O’Rourke et des membres de Tortoise sont venus en renfort. Qui a dit que l’art conceptuel ne pouvait pas être à la fois cérébral ET doucereux ?

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DESTROY ALL MONSTERS

1974-1976

Ecstatic Peace!/

Father Yod, 1994

Ancêtre du punk et cousin du Velvet et du MC5, Destroy All Monsters est la quintessence du punk rock des années 1970. Le groupe a été formé en 1974 à Ann Arbor par un collectif d’artistes parmi lesquels figuraient Mike Kelley, Jim Shaw et Cary Loren, axés autour de leur chanteuse-égérie Niagara, une bombasse vêtue de cuir. Ron Asheton des Stooges les a même rejoints quand Kelley et Shaw se sont barrés pour choper leur diplôme à CalArts. Ils s’inspiraient du dadaïsme, du futurisme, des cinéastes expérimentaux comme Jack Smith et Kenneth Anger, de la pop culture psychotronique, de l’iconographie des comics, des bruitages électroniques des films de science-fiction, du krautrock, du performance-art et de l’activisme radical des Black Panthers. Trente-cinq ans plus tard, leur musique crache toujours autant. Putain, je me prends pour Philippe Manœuvre là ou quoi?

THE ALMA BAND

Live in Rio

Z Records, 1985

The Alma Band est un groupe d’artistes passablement alcoolisés qui enregistraient de temps à autre leur session de « grand ­n’importe quoi » improvisé avec des amis de passage. On y retrouve le génial Martin Kippenberger (l’un des plus grands artistes du XXe siècle, pas besoin de faire un dessin) accompagné du non moins génial Albert Oehlen, de Jörg Schlick et de quelques guests comme Mayo Thompson. Une pure décon­nade punk sans queue ni tête : ça braille des conneries en schleu sur fond de free-jazz-mambo, ça scratche des sons débiles, ça jamme sur de la schlager psychédélique… C’était cool d’être un artiste libertaire entre 1960 et 1980, avant que le mot « plasticien » ne devienne synonyme d’« entrepreneur ». Dans les années 2000, à chaque fois que je me coltine un vernissage institutionnel, j’ai l’impression d’être à un congrès du MEDEF.

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PUZZLE PUNKS

Budub

Time Bomb, 1996

Pour ce disque-objet susceptible de figurer un jour dans mon

Anthologie des musiques les plus barrées jamais enregistrées

, l’artiste pop japonais Shinro Ohtake a croisé le fer avec Yamantaka Eye, leader du groupe Boredoms et légende vivante au Japon. Sérieusement, ce picture-disc totalement alien ne ressemble à aucune musique connue dans le royaume sinistre des humains normaux. Si ce n’est à celle de deux chamanes hawaïens férus de ­synthétiseurs robotiques et de ukulélé à une corde qui tenteraient de communiquer avec des forces extraterrestres en imitant Suicide avec des voix de cartoons après avoir balbutié un mantra animiste en hommage au dieu LSD.

NON

Blood & Flame

Mute, 1987

Si vous avez toujours voulu savoir à quoi ressemblerait le son d’un vinyle scratché par le robot industriel le plus rapide du monde, ce disque s’adresse à vous, bande de pervers. La machine monstre, capable de manipuler jusqu’à 240 pièces par minute, est équipée d’une tête de lecture spéciale afin d’amplifier le son produit par les attaques frénétiques du métal sur le disque. Au final, ça sonne comme une gratounette brossant une plaque de métal par-dessus les hoquets d’un disque rayé. Cette installation a été conçue par le plasticien Michaël Sellam, qui aime bien foutre le bordel dans les univers de geeks. Comme son site le prouve,

michael.sellam.free.fr

, il aime les grosses machines, les programmes informatiques imbitables, les grues qui jouent du black metal, les extraterrestres et les théories du complot.

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SALVADOR DALI/IGOR WAKHÉVITCH

Être Dieu

DCD, 1989

En bon génie mégalo adepte de la « paranoïa critique », Salvador Dali a enregistré cet opéra-poème egomaniaque en 1974, avec Brigitte Bardot dans le rôle d’un artichaut. Ce coffret de 33 tours est sans doute l’un des objets sonores les plus sidérants qui me soit passé entre les oreilles. Dali s’y gargarise d’élucubrations surréalistes en roulant des r tandis que se déploie en fond sonore une musique électronique

creepy

et dissonante composée par Igor Wakhévitch, un grand compositeur contemporain méconnu. En grande forme, Dali rend hommage à Mao et Marylin Monroe grâce auxquels il peut y avoir « de nouvelles monarchies avec des ­ferments anarchiques ». Il y vante les mérites du sommeil, car quand « il s’endort d’une manière angélique, après une diarrhée de ­dollars », il est Dieu. Il délire aussi sur les « éléphants couverts du sang des victimes de Gilles de Rais » et vomit la démocratie qui est « la chose la plus infâme puisque la majorité des êtres humains est la majorité des ­crétins ». Du très haut de gamme dans le ­délire surréaliste.

RAYMOND PETTIBON WITH SUPER SESSION

Torches and Standards

Blast First, 1990

Bien avant de devenir une star de l’art contemporain, Pettibon dessinait les pochettes et les flyers du groupe punk hardcore Black Flag, immortalisé par un logo qui traîne encore sous forme de tatouage ornant l’épaule de quadragénaires défraîchis et qui continue de se propager sur des tee-shirts de skateurs acnéiques. Ce picture-disc, visuellement ­sublime, contient une cover mongolienne de « A Love Supreme » et une poignée d’impros garage-punk-bluesy jouées comme un manche, avec des paroles qui se foutent de la gueule des hippies scandées par une voix de canard boiteux et des backvocals de pin-up sexy. On dirait les Cramps unplugged ou Nick Cave qui aurait avalé de l’hélium. Une bonne blague, quoi.

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THE RODNEY GRAHAM BAND

Don’t Trust Anyone Over 30

Loudhaler, 2006

En 2006, les artistes américains Dan Graham, Tony Oursler et Rodney Graham s’associent pour concevoir une œuvre-­spectacle psychédélique avec d’étranges marionnettes sur fond de punk rock, jouée en live par le groupe Japanther et le Rodney Graham Band. Rodney Graham s’est, paraît-il, souvent posé la question : « Est-ce que je suis un musicien emprisonné dans un esprit d’artiste ou un artiste emprisonné dans un corps de musicien ? » Je ne vais pas répondre à sa place, mais avec des interrogations pareilles, sa musique ne pouvait être que schizophrène. À la fin des années 1970, il a monté avec Jeff Wall le génial groupe synth-punk UJ3RK5 (prononcer «

You Jerk!

») qui est complètement tombé aux oubliettes. Plus symptomatique des années 2000 et de sa grande déglutition culturelle, Rodney Graham Band sonne comme un kaléidoscope de références à l’histoire du rock autant qu’à l’histoire de l’art, avec une certaine dose de second degré. En live, il est accompagné d’un genre de machine duchampienne qui lui ­permet de projeter des images par pédale interposée. Y’a pas de vannes, là ? Ben non. Mais j’adore vraiment ce single.

NEW HUMANS

AKA Vito Acconci/

New Humans/

C. Spencer Yeh

Bottrop Boy, 2008

New Humans est un collectif conçu comme une excroissance sonore des travaux visuels de Mika Tajima que j’apparente à une sorte de « design diffracté » ma foi assez classieux. Ses installations cumulent tout un bordel de panneaux encastrés, de motifs géométriques stratifiés et de jeux de surfaces réfléchissantes. Pour ses performances sonores (puisqu’on ne dit pas « concerts » chez ces gens-là), elle fait régulièrement appel à d’autres artistes ou à des musiciens, et adore amplifier les sons de miroirs et d’objets divers fracassés à coups de masse. Pour l’enregistrement de ce disque, elle a convoqué la voix de Vito Acconci, l’un des papes de l’art conceptuel qui a développé dans les années 1990 tout un travail autour de l’architecture. Seulement là, il fait plutôt de la figuration libre en marmonnant des

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spoken words

inintelligibles. Le troisième larron est C. Spencer Yeh, alias Burning Star Core, un musicien expérimental qui fait grincer son violon depuis des années dans la scène impro-noise. Du coup, ça tourne un peu à la course au drone échevelé, du genre à qui tiendra le plus longtemps la note sans reprendre son souffle. Le plus fascinant à l’écoute, c’est qu’on n’ose même pas se lever pour aller ­pisser tellement on est hypnotisé par ce ­blizzard de feedback.

ELECTROPHILIA

Black Noise Practitioner

Skul, 2004

Electrophilia est le groupe noise de l’artiste Steven Parrino, connu pour ses immenses monochromes noirs défoncés, pliés et froissés à coups de savate pour être ensuite installés dans un espace d’exposition comme les accessoires d’un rite profane dévolu au dieu Entropie. Dans sa musique, c’est un peu la même chose, sauf que c’est l’électricité qui en devient le fil conducteur. Et quand je dis conducteur, je parle vraiment d’électricité. L’album est une ode au court-jus et à la magie électromagnétique du feedback. On dirait un peu les bruitages d’électrocution dans les films sci-fi hollywoodiens, vous savez, ce genre de grésillements avec des éclairs bleus et un acteur qui fait semblant d’être tétanisé.

HERMANN NITSCH

Das 6-Tage-Spiel Des Orgien Mysterien Theaters Day 5

Cortical Foundation, 2000

Gourou de l’actionnisme viennois, Hermann Nitsch a toujours accompagné ses performances rituelles d’une musique qu’on pourrait qualifier de liturgie punk. Soit un grand bardaf d’harmonium sépulcral et de drone-noise cacophonique entrecoupé de ­fracas de cymbales et de ce qui ressemble à s’y méprendre à des chants grégoriens. On ne sait plus trop si on est dans le sacré ou le ­profane, sans doute un peu des deux. Le mot « subtil » est ici de trop, j’opterais à la place pour « intense » ou « illuminé ». À plus forte raison lorsqu’on est nu sous un drap blanc et qu’on vous inonde de sang de bœuf ­démembré, je suppose. Je ne sais pas comment j’ai fait pour croiser un jour la route de ce disque, mais je m’y suis tellement référé comme à une sorte de pierre philosophale que ça a bien niqué toutes mes velléités de plasticien en plus de me transformer en fan de trucs plus radicaux et nihilistes que les créatures baveuses du film

C.H.U.D.

J’ai viré tous mes disques indie rock un peu trop normaux, j’ai liquidé deux étagères de comics et j’ai cru en la possibilité d’un Non-art avec un grand N, avant même de m’apercevoir que Boyd Rice était tout de même une belle crapule fasciste. N’écoutez pas ce disque, ça vous bousillerait la vie. Pour toujours. Écoutez-le, en fait.