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LE NUMÉRO HOLLYWOOD

Plutôt crever que d'être ici

Tout le monde pense que je suis mort. Au début, je trouvais ça plutôt insultant. Je veux dire, je sais bien que j'ai l'air d'un chancre, mais je n'ai que la quarantaine.

Photo : Mike Carano

Tout le monde pense que je suis mort. Au début, je trouvais ça plutôt insultant. Je veux dire, je sais bien que j'ai l'air d'un chancre, mais je n'ai que la quarantaine. Au bout d'un moment, je me suis rendu compte que mon problème était lié à deux choses : 1. Les gens me confondent avec Sam Kinison (l’autre comédien gras et gueulard qui portait les cheveux longs dans les années quatre-vingt), et 2. les gens pensent que si j’étais vivant, je passerais forcément dans Danse avec les stars ou un truc du genre J’étais une célébrité, aujourd’hui regardez-moi bouffer des couilles de crocodile. Je sais bien qu’il ne faut pas médire des morts, mais je me soucie autant des potes et des fans de Sam que lui se souciait de ceux de Rock Hudson ou de Liberace. Donc permettez-moi de clarifier toute confusion éventuelle sur ce premier point. Sam est mort en 1992 dans un accident à bord de sa Pontiac décapotable alors qu’il allait bosser. Moi, en ce moment, je conduis une Ford Escape, modèle 2009. Sam était un comédien gueulard, misogyne et xénophobe. Moi, j’étais le comédien gaucho qui gueulait comme un clodo fou. Sam aimait bien s’en prendre aux étrangers et aux marginaux alors que je me suis toujours bien entendu avec eux. Sam vénérait Jésus et Hollywood ; de mon côté, je savais déjà que ces choses étaient aussi vraies que le requin en papier mâché sur l’affiche des Dents de la mer. Et pour ce qui est du Danse avec les gens que tu te souviens vaguement d’avoir rencontrés à tel endroit à telle époque, ce sera sans moi. J’ai déjà donné. Quand j’étais jeune, j’ai beaucoup donné. Déjà, au début de ma carrière, j’avais atteint un niveau que beaucoup n’atteignent qu’à la fin de la leur. Je jouais dans Police Academy 2 quand mes camarades de lycée passaient leur diplôme de fin d’études. On ne peut pas mettre toutes les décisions de carrière ridicules sur le compte de la jeunesse, mais j’essaie juste de vous donner une petite idée de ce qui s’est passé. Pensez à toutes les décisions de merde que vous avez prises quand vous aviez 21 ans. Maintenant mettez un gros chèque dans la balance, et pensez à comment ça aurait pu être pire. Maintenant on se comprend, Captain Cassecouille. J’ai été animateur de jeu télé, j’ai été une marionnette. J’ai même été un jouet pour Happy Meal. Mes rôles ont été doublés dans plus de langues que je ne pourrais compter. J’ai encaissé des chèques à six chiffres et j’ai voyagé partout dans le monde. Et pendant tout ce temps-là, j’ai été malheureux. Sérieux : être le larbin de service, il n’y a rien de pire. Je ne suis plus aigri aujourd’hui (vraiment), tout ça est derrière moi. J’adore ma vie. Mais ça m’a pris au moins trente ans pour arriver à dire un truc pareil. La plupart des gens du showbiz sont aigris, c’est un fait ; soit parce qu’ils ne sont pas des stars planétaires, soit parce qu’ils sont dégoûtés d’en être une. Du serveur de chez Starbucks au mec qui vient de remporter un Oscar, tout le monde croit s’être fait entuber. Voici mon conseil pour tous ces gens : démissionnez. Démissionner a changé ma vie. Après des années à passer des auditions, à écrire et à soumettre des scripts pour des succès commerciaux pourraves, j’ai enfin compris un truc. Je me suis rendu compte que, de mon propre chef, jamais je ne regarderais un film dans lequel j’avais tourné. Du coup, j’ai démissionné. Pour déconner, j’ai toujours raconté que j’avais pris ma retraite d’acteur en même temps qu’ils avaient arrêté de me filer du boulot, mais en réalité, c’est bien ce qui s’est passé. Pour payer mon loyer, je m’en suis tenu à interpréter ce personnage de one man show auquel je ne m’identifiais plus dans des salles paumées au beau milieu de nulle part, là où on vit encore dans les années quatre-vingt. Heureusement pour moi (parce que même au milieu de nulle part, les gens en ont leur claque des comiques ratés), Jimmy Kimmel m’a trouvé un job de réalisateur. Jimmy a cru en moi au moment où la plupart des gens n’utilisaient plus mon nom que pour finir leurs blagues. Le fait qu’il ait cru en moi et mes talents de réal m’a fait comprendre que j’avais d’autres options. Peut-être parce qu’enfin, je bossais dans un environnement au sein duquel les gens m’encourageaient à rester créatif, j’ai fait des choses que n’avais plus faites depuis mon adolescence. J’ai écrit pour le plaisir d’écrire, en gros. J’ai rédigé un scénario difficilement marketable sur l’honnêteté, l’amour inconditionnel et la bestialité. Mon agent de l’époque l’avait lu et m’avait dit qu’il ne l’enverrait à personne car il avait peur qu’on se pose des questions sur ma santé mentale. (Une semaine plus tard, j’ai viré ce connard.) Moi, je l’aimais bien, ce scénario. Mais il est resté sur mon bureau pendant un an jusqu’à ce que mon amie Sarah le lise et me dise : « C’est bien. On devrait le faire. » Et en deux semaines de congés, 20 000 dollars de budget et une équipe recrutée sur Craigslist, on l’a fait. On l’a fait juste histoire de le faire. Juste pour voir si on en était capables. Et puis, le film a été sélectionné à Sundance. Pour moi, c’était l’apothéose. Depuis, j’ai réalisé deux autres films et écrit cinq autres scripts que beaucoup trouvent complètement « barrés » (mais les mecs qui bossent pour moi savent très bien qu’il vaut mieux ne pas me le dire en face trop souvent). Mes films sont loin d’être conventionnels et ça me plaît. Je n’ai aucune envie de tourner des comédies en studio interdites aux moins de 16 ans dans l’unique but de divertir les ados. Je déteste les ados. La plupart sont des merdes. Putain, je détestais déjà les ados quand j’en étais un. En plus, je vais avoir 50 ans cette année, alors comment je pourrais savoir ce qu’est un ado d’aujourd’hui ? Je fais des films que moi et mes amis aimons, je prends des acteurs avec lesquels j’aime bosser et je me débrouille avec des budgets ultra serrés. J’ai trouvé des producteurs qui sont toujours derrière moi et qui, aussi incroyable que ça puisse paraître, ne sont pas du tout des enculés. Quant à Sarah, aujourd’hui, nous sommes mariés. Ce que je veux dire, c’est la chose suivante : si vous voulez être heureux dans le showbiz (ou dans n’importe quelle activité de l’« industrie créative »), écoutez la voix à l’intérieur de vous. Même si elle vous dit de tout laisser tomber de temps en temps. Travaillez avec vos amis. Évitez de poursuivre la gloire et l’argent. Contentez-vous de faire ce que vous aimez faire, de la façon dont vous aimez le faire. Et si ça ne vous rend pas heureux, démissionnez. Démissionnez pour de bon, et démissionnez souvent. Vous finirez par atterrir dans un endroit que vous ne voudrez plus jamais quitter.