


Norman Spinrad est l’un des derniers grands maîtres de la littérature SF. Ce qui ne l’empêche pas d’être encore un cador toujours à l’écoute de la société qui l’entoure pour pointer ses dérives morales et politiques, comme il le faisait déjà avec Jack Barron et l’Éternité, le bouquin qui lui a valu sa renommée en 1969, et qui préfigurait précisément ce qu’allait devenir la communication politique et médiatique.
On l’a rencontré à Paris, où il a vécu et revient régulièrement. Il était invité par l’Étrange Festival à présenter une sélection de films chelou, allant du dessin animé de vampires cubains au Nosferatu de Murnau. Le mec est aussi une pointure en cinéma, et pour cause, il a été critique de film dans les années 1960 et 1970, épinglant régulièrement Kubrick (son assertion « Au final Orange mécanique n’est… qu’une orange mécanique » lui a valu un coup de fil de Warren Beatty qui voulait savoir qui avait osé dire du mal du Maître). En plus de ça, il est le scénariste de deux films français particulièrement pitoyables, à son corps défendant. On aurait pu parler des heures de films de LSD, de vampires et de loups-garous. À la place, on lui a fait parler de ce qu’il connaissait le mieux : ses livres et ses aventures au pays du cinéma.
Vice : Salut Norman. Je dois avouer qu’avant même d’entendre le nom de Jack Barron, je vous connaissais grâce au catalogue de l’expo « Vider Paris » du photographe Nicolas Moulin – une manipulation numérique de photos qui effaçait toute forme d’humanité dans la ville, à part les immeubles dont le rez-de-chaussée était bétonné – pour lequel vous avez écrit des textes. Comment avez-vous été embarqué là-dedans ?
Norman Spinrad : C’est Nicolas Moulin qui m’a contacté et me l’a proposé. Il m’a montré le projet et ça m’a plu. Mais ce n’était pas évident à faire. Parce que quand on écrit des nouvelles, ou bien on a une idée, ou bien on n’en a pas. C’est comme pour la poésie, ou les chansons. Si ça vient pas très vite, ça viendra pas du tout.
Certains textes étaient proches de Bleue comme une orange…
Oui. L’idée derrière « Vider Paris », c’était de trouver quatre manières de vider la ville. L’une reprenait un peu Bleue comme une orange, dans une autre, il s’agissait d’une « rentrée », une autre encore mettait en scène des extraterrestres…
À propos d’extraterrestres, comment vous êtes-vous retrouvé à écrire un épisode de Star Trek ?
C’est une longue histoire, mais en gros, je travaillais dans l’agence qui s’occupait des contrats entre Stanley Kubrick et Arthur C. Clarke pour 2001. Au même moment, Gene Rodenberry présentait son pilote de Star Trek. Je l’avais vu, et j’avais fait savoir que je trouvais que le pilote de Gene était mieux que le film de Kubrick. Alors Gene m’a gentiment appelé et m’a proposé d’écrire un épisode de Star Trek. C’était au moment où j’écrivais Jack Barron donc je lui ai dit de me rappeler six semaines plus tard. Alors six semaines plus tard, il me rappelle et me dit : « Bon, on n’a plus trop d’argent… Vous pourriez penser à un truc qui se déroulerait exclusivement sur le pont du vaisseau ? » Et voilà comment est né l’épisode de « La Machine infernale ».
Et vous écriviez Jack Barron en même temps.
Je récrivais Jack Barron le matin et Star Trek l’après-midi. On était en 1966. Jack Barron est sorti en 1969.
Je peux me tromper, mais il me semble que Jack Barron a été le premier bouquin à mettre en scène un héros qui soit un mec de la télé. Comment ça vous est venu ?
Peut-être bien… Un des premiers, oui… Au début, je voulais écrire un bouquin sur l’immortalité. La plupart racontent ce que c’est d’être immortel. Moi je me suis dit, si jamais on développait un truc qui permettrait de le devenir, ça s’adresserait exclusivement à une élite très riche. Et ça apporterait un pouvoir énorme. Et quel pouvoir pourrait affronter ce pouvoir ? La télévision. Voilà d’où m’est venue l’idée. La télévision qui permettrait de contrer l’immortalité.
Et dans ce contexte précis, la télévision serait une force positive.
Pour commencer, la télévision n’est pas une force, c’est un média. C’est ce que les gens en font. Dans Jack Barron et l’éternité, c’est une force positive… Une force de libération ou un truc de ce genre… Le bouquin met en place un format où l’on fait appel à Jack Barron, et lui interpelle quelqu’un à son tour, dans un élan assez gauchiste. Plus tard, il utilise la télévision pour présenter sa candidature aux présidentielles. Bon, ce qui s’est passé, c’est que le format s’est fait récupérer par des mecs de droite. Pat Buchanan, Robert Dornan, Rush Limbaugh… Tous des fascistes de droite… En fait techniquement, je suis pas trop content de ce que ça a donné. Dornan, en l’occurrence, qui se présentait au Congrès en Californie, a vraiment copié l’émission. Il avait une émission, et il a été élu.
Jack Barron était vraiment une anticipation. Vous avez vu le futur.
D’une manière ou d’une autre… En fait, je pense que j’ai influencé le futur ! D’une certaine manière, c’est moi qui l’ai inventé. J’ai inventé ce format. Ce qui m’a échappé, c’est qui s’en servirait. Et c’est toujours le cas.
Vous étiez en France pendant la dernière campagne présidentielle ?
Oui. Et je pensais vraiment que Royal allait gagner. C’est comme si elle avait un spot qui la suivait partout. Mais elle a perdu. On a essayé de m’expliquer pourquoi, mais personne n’y est arrivé. Puis je suis revenu quand Sarkozy a été élu et j’ai vu ses deux, trois heures de direct devant la presse. Il était incroyable ! Je dis pas que j’étais d’accord avec ce qu’il disait… Mais ni Barack Obama, ni personne – à part Bill Clinton – n’aurait pu faire ce qu’il a fait et y arriver de cette manière, je veux dire, il était vraiment impressionnant. C’est probablement comme ça qu’il a gagné, finalement.
Faut reconnaître qu’au niveau maîtrise de l’image, il est balèze !
Mais oui ! Il est spontané, il sait s’en servir. Il sait parler d’une manière que même Obama ne maîtrise pas. Obama peut te placer un pur discours, mais dans une situation spontanée comme ça, avec des reporters féroces, il ne survivrait pas deux heures. Je peux me tromper, mais enfin il n’a jamais essayé. Bill Clinton, il pourrait. C’est le meilleur. En un sens, Clinton et Sarkozy on beaucoup en commun.
Quand vous êtes-vous installé en France ?
En 1988. Parce que je devais écrire un bouquin qui se déroulait à Paris. Je pensais y passer une année, et puis je suis resté.
C’était politique ?
Pas du tout. Mon bouquin était politique mais pas l’exil.
1969, c’est un grand cru pour la science-fiction. Vous fréquentiez d’autres auteurs à l’époque ?
Tout le monde se connaissait, à l’époque. Mais ce qui était marrant en 69, c’est que j’aie écrit Jack Barron. Norman Mailer a écrit Pourquoi sommes-nous au Vietnam dans un style assez proche. Robert Heinlein a écrit Révolte sur la Lune et Brian Aldiss a écrit ce bouquin, L’Instant de l’éclipse. Ils n’avaient pas tous le même style, mais ils s’échappaient tous du style commun. On n’a pas pu s’influencer mutuellement parce qu’aucun de nous ne lisait ce que les autres écrivaient. Il y avait un truc qui flottait dans l’air. Pour comprendre les médias, de Marshall McLuhan, en faisait partie. J’ai appelé Norman Mailer pour savoir s’il l’avait lu, il m’a dit que oui. Alors en effet, McLuhan était une influence commune.
Parfois le bouquin devient poétique, j’ai eu l’impression de lire du Burroughs.
Oui, Burroughs était aussi une influence.
Ce sont des noms super respectés et qui apparaissent clairement quand on lit Jack Barron, pourtant, impossible de trouver vos bouquins dans une librairie classique. Faut aller dans les boutiques spécialisées, ou dans le rayon SF des mégastores. Alors OK, ce sont des bouquins d’anticipation, mais ils sont politiques, pédagogiques, ils auraient leur place dans de la littérature classique. Vous regrettez cette classification ?
C’est le problème quand on publie de la fiction, en règle générale. Et c’est pire aux États-Unis qu’ici. Parce que si c’est de la littérature générale, ils vont toujours se demander où la ranger. Au départ, Jack Barron a été publié comme de la littérature de base. C’est devenu de la SF ensuite. Mais j’ai des livres, comme En direct qui à la base était publié comme de la SF mais qui est devenu un polar. Comme il y avait deux flics dedans, c’était aussi bien. Les Miroirs de l’esprit avait été publié en SF puis c’est passé chez Folio. Je me souviens être allé au Virgin quand il est sorti. Je cherchais un Folio au rayon SF, en fait il était rangé dans « auteurs étrangers ». Ce problème de genre, à mon sens, ce n’est qu’un problème marketing et la solution qu’on a trouvée pour le résoudre.
Mais c’est pas un peu frustrant ?
Mais si ! Terriblement frustrant ! D’un autre côté, les best-sellers, qui sont encore une nouvelle catégorie, on les met où une fois qu’ils ne sont plus en vitrine ? Ils vont où quand on les remplace ? C’est un vrai problème. Et un autre problème, c’est aussi le nombre de sorties. On ne sait plus quoi en faire. S’il y avait moins de livres, ce serait facile. Aux États-Unis, Jack Barron est sorti comme de la SF, mais on ne l’a pas toujours critiqué en tant que tel. Je crois que le plus important, c’est que les livres fassent l’objet de critiques, et en France la situation est bien meilleure qu’aux États-Unis. On critique nos livres, quelle qu’en soit la catégorie. Il est parmi nous, par exemple. Voilà un bouquin qui va sortir aux États-Unis en mars, en anglais. Fayard l’a déjà publié en France. Fayard n’est pas un éditeur de SF, mais ils publient de la SF.
Qui va être rangée au rayon SF.
Oui, mais ça c’est pas l’éditeur qui décide, c’est le magasin. J’étais chez Gibert pour une dédicace quand il est sorti et ils l’avaient rangé dans les deux rayons. Ça c’est cool. En « nouveaux romans », et en SF. Si tu arrives à faire ça, c’est bien ! Ce qu’il faut, c’est ne pas faire une couverture qui limite le placement. Il faut que le libraire puisse choisir où il va mettre le livre. Mais, le marché de l’édition est très frustrant.
Quand vous avez commencé à écrire Jack Barron, vous vouliez faire de la SF, c’était une influence ou vous ne pensiez pas en terme de genre du tout ?
Quand je l’ai écrit, j’étais sous contrat avec un éditeur que le bouquin a horrifié, et il a rompu le contrat. Alors j’ai commencé à le vendre comme de la littérature traditionnelle parce que les éditeurs de SF n’en voulaient pas. Quand je l’écrivais… je veux dire, il y a une différence entre la définition littéraire de la SF et sa définition commerciale. En France, vous avez la SF, mais aussi l’anticipation, qui correspond, grossièrement, à ce que j’écris. Si vous me demandez, je dirais que j’écris de l’anticipation.
Et l’anticipation embrasse un spectre plus large.
Bien plus large. Houellebecq, c’est de l’anticipation !
À vrai dire, je pensais à lui en évoquant cette histoire de catégorisation.
Ses bouquins sont en partie influencés par la SF, et aux États-Unis, on le publie comme un auteur mainstream.
En France aussi, et personne ne vous dira qu’il écrit de la SF.
Écoutez… Trois de ses bouquins sont de la SF… avec un truc en plus. William Burroughs aussi. Il était très influencé par la SF. Je l’ai déjà rencontré et il m’a dit qu’il aurait vraiment aimé que Le Festin nu et Nova Express soient publiés sous un label SF. En fait, son premier bouquin, Junky, qui n’était pourtant pas de la SF, avait été publié par Ace, un éditeur de SF. Mais ça lui a permis de le publier.
Je voulais aussi évoquer Rêves de Fer, parce que ça, d’une certaine manière, c’était quand même une idée ultime. C’était quoi l’envie derrière ?
Deux choses. La première, c’était mon insatisfaction quant aux explications conventionnelles de comment l’Allemagne nazie avait pu s’installer. Au même moment, je traînais à Londres avec Michael Moorcock qui écrivait sa saga de Elric. Pour l’argent. Et je lui ai demandé comment il faisait pour en écrire autant. Alors il m’a répondu qu’il n’avait pas trop de succès au début, jusqu’à ce qu’il trouve la formule. Il m’a dit : « Tu prends un conflit, un cycle historique ou mythologique que tout le monde connaît, et tu balances une tonne de références freudiennes à l’intérieur. » Et là, j’ai tilté… « Grands dieux ! L’Allemagne nazie ! » Voilà la genèse de Rêves de Fer. Le lien entre une certaine heroic fantasy et l’Allemagne nazie.
Et il y a eu Les Miroirs de l’esprit où encore une fois, les médias sont un moyen d’accéder au pouvoir… Sauf que là c’était pas Hitler mais Ron Hubbard.
Là il ne s’agissait pas de pouvoir, mais de culte. Mais, je n’aime pas trop en parler parce que ça a été un peu chaud… En gros, quand je suis revenu de Londres à Los Angeles, j’ai essayé d’interviewer L. Ron Hubbard. Personne n’avait jamais réussi à le faire.
Vous connaissiez la scientologie à l’époque ?
Je connaissais la scientologie et j’avais mes réseaux. Alors que j’essayais d’interviewer Hubbard, on m’a présenté au ministère des Médias de la scientologie. Ils essayaient de m’embrouiller alors que tout ce que je voulais faire, c’était interviewer Hubbard. J’ai jamais réussi. Ils voulaient manipuler mon esprit. Et je ne savais pas que la scientologie fonctionnait de cette manière, j’ai découvert pas mal de choses à ce propos. Alors j’ai décidé d’écrire un bouquin. Et quand j’ai essayé de le faire publier, j’ai commencé par me faire cambrioler, j’ai eu des coups de fil anonymes… alors je ne veux pas trop en parler. À l’époque, c’était carrément dangereux. Ils poursuivaient n’importe qui en justice. J’avais écrit un papier dans Playboy pour en parler. C’était sur un ton sarcastique, mais ils sont tombés sur le dos de Playboy. Ils ont porté plainte contre l’éditeur des Miroirs de l’Esprit. Et ils étaient vraiment puissants. En France, le gouvernement a toujours été plus sévère concernant les cultes et les trucs comme la scientologie. J’ai eu un problème en Allemagne où j’écrivais un article sur la scientologie pour Der Spiegel, et j’avais demandé à être payé en cash. Pas de chèque, pas de transfert. Je voulais que mon nom n’apparaisse nulle part. C’était taré… Mais ils avaient les moyens de vous rendre taré.
Et récemment, vous avez écrit Welcome to Your Dream Time qui tourne autour du rêve lucide. Vous pouvez nous en parler un peu ?
Je l’ai terminé il y a quelques mois. Ça sortira chez Fayard, mais pas avant quelques années. Ça part de l’idée d’un appareil qui permet de créer des rêves comme on créerait de l’art. Comme un film, ou un jeu vidéo. C’est un appareil qu’on peut acheter. Et le lecteur est le personnage du livre. Ça raconte aussi comment les rêves démarrent comme des jeux vidéo avant de devenir sérieux, il commence à y avoir des problèmes avec des pirates, des cauchemars, et à la fin, si ça fonctionne vraiment, c’est un autre programme qui apprend au lecteur à avoir des rêves lucides.
Vous pratiquez le rêve lucide ?
Ça va au-delà du rêve lucide. Dans le rêve lucide, vous connaissez votre rêve. C’est là qu’est votre rêve, et vous pouvez le créer. C’est la prochaine étape et si le livre fonctionne, ça peut aller au-delà du stade littéraire. Les histoires sont les rêves. Le livre est presque intégralement écrit à deuxième personne du singulier, alors tout le monde n’y sera pas forcément sensible, mais c’est ce que j’ai essayé de faire à la fin avec un long chapitre qui s’appelle « Escalas », dans lequel vous avez une personnalité artificielle qui peut vous fournir les outils pour forger votre rêve, vous sortir d’un cauchemar parce qu’ils combattent les virus de cauchemars et si ça fonctionne, le livre fonctionne vraiment à un autre niveau.
Vous avez été critique cinéma et vous avez fini par écrire un film connu pour être un des pires films français, Vercingétorix… Racontez-nous un peu ça. Un pote se souvient vous avoir entendu hurler des insanités pendant le générique, à la projection de presse.
Oui, je me souviens d’avoir hurlé, mais je ne me rappelle pas pourquoi. Peut-être que c’est parce que Jacques Dorfmann, le producteur et réalisateur du film, n’était pas là. D’ailleurs à la fin, c’est moi qui avais dû affronter les journalistes parce que j’étais le seul de l’équipe à être allé à la projection. Il y avait un mec de Radio Nova qui est venu me prendre en direct à la sortie du film pour en parler et euh…
C’est Dorfmann qui vous avait entraîné dans le projet ?
Oui, enfin… Dorfmann faisait tout sur le film : producteur, co-auteur, réalisateur… J’aimais beaucoup Jacques, il voulait vraiment faire un truc sérieux, mais on lui a donné trop de pouvoir… Il n’écoutait personne. Mais c’était un film important, un film qui comptait pour beaucoup de gens. Le gouvernement voulait en faire un film qu’ils pourraient passer dans les lycées.
Et au final, c’était atroce.
On va dire que j’ai vu pire. Mais il a surtout hérité de cette réputation à cause du poids qu’il avait. Faut reconnaître que c’était un beau bordel. Jacques était vraiment égocentrique. Il ne comprenait pas qu’un film était avant tout une histoire de collaboration. Il se foutait de l’avis de tout le monde. Je me souviens, par exemple, que dès le début du projet, il était question d’une éclipse dans le scénario. Ils avaient déjà construit le village et le château, mais il allait y avoir une vraie éclipse, alors je suis allé voir Dorfmann et je lui ai dit : « Jacques, il faut que tu filmes l’éclipse ! On va avoir un film avec une vraie éclipse dedans ! » Lui, il m’a regardé, et il m’a fait : « Mmm…. Trop compliqué. » Et il n’a jamais filmé l’éclipse en question. C’est vraiment triste. Ç’aurait pu être un bon film…
Le Vercingétorix que vous avez écrit, c’était une adaptation du film ?
Ah non ! Le livre n’était pas une adaptation, je ne ferais jamais ça. Le truc c’est que Richard Shorr, un pote, était aussi l’ingé son des précédents films de Jacques. Il avait lu toutes les versions du scénario, et il m’a reparlé de la troisième, à quel point elle était bien, et comment je devrais en faire un bouquin. Alors je l’ai montrée à mon agent et j’ai signé un contrat pour écrire un livre basé sur cette troisième version, qui n’était pas celle qui avait été tournée. S’ils avaient tourné cette version, le film aurait marché. Mais ils ont tourné la septième…
Racontez-nous ce coup de téléphone que vous a passé Warren Beatty à propos de Orange mécanique.
Ah oui… En fait, il me disait que tout ce qu’il connaissait de moi, c’était mes critiques. On parlait de Orange mécanique à propos duquel j’avais écrit : « Au final, Orange mécanique est… une orange mécanique » et au bout d’un moment, il m’a dit : « Mais vous ne faites pas que ça, pas vrai ? » Je lui ai dit non – visiblement, il n’avait jamais lu un bouquin de moi – comment vous savez ça ? Et il m’a répondu que les critiques que j’écrivais ne pouvaient qu’être écrites par quelqu’un qui était aussi un créateur. Et ça m’a vraiment marqué en tant que critique. C’était un autre genre de critique.
Après avoir épinglé 2001 et Orange mécanique, vous avez fini par rencontrer Kubrick ? C’est un intouchable.
Oui et non. La première projection de 2001, qui a au lieu au Chinese Theater de Los Angeles, durait 40 minutes de plus que la version définitive. Je veux dire 40 minutes vraiment nulles ! Tous ceux avec qui je suis allé le voir se sont endormis. Ils se réveillaient en maugréant, est-ce qu’ils avaient raté quelque chose, et moi je leur répondais : « C’est chiant. » Kubrick, techniquement il est irréprochable, mais ses histoires ne vont jamais nulle part. Ses deux meilleurs films, c’est Les Sentiers de la gloire et Spartacus.
Mais ça c’est parce que vous êtes fan de Kirk Douglas.
C’est vrai. Mais Kubrick avait été engagé sur ces films… Je veux dire, vous devriez lire l’autobiographie de Kirk Douglas, c’est un super livre. Quand Kubrick bossait avec Douglas, c’était différent. Évidemment, je ne connais pas l’histoire de l’intérieur, mais Kirk Douglas savait ce qu’il voulait, il était producteur sur ces deux films, et il jouait dedans. Les deux avaient à la fois de bonnes histoires et un fond politique, et ils étaient servis par des bons scénarios. Parce qu’en plus, Kubrick oublie ses scénarios… Je ne sais pas combien de fois j’ai essayé de regarder Barry Lyndon, mais je ne l’ai jamais terminé.
Pourtant, Barry Lyndon, c’est sacrément politique.
Mais c’est lent, et complaisant. Je crois que le boulot de Kubrick ressemble à ce que je disais d’Orange mécanique. C’est très mécanique.
Godard disait un truc un peu similaire.
Et ce n’était pas du tout un directeur d’acteurs.
Comment en êtes-vous venu à travailler avec Richard Pinhas et Maurice Dantec ?
C’est une très longue histoire, qui remonte à il y a longtemps. Richard et moi, on se connaît depuis les années 1970. Il était fan de Bleue comme une orange et m’avait écrit pour qu’on se rencontre. Il était en Californie, et moi je me demandais ce que j’allais bien pouvoir dire à un fan de Bleue comme une orange mais on s’est quand même vus, et on a sympathisé. Des années plus tard, j’étais à Paris quand il bossait sur East West et il m’a dit : « Ça te dirait pas de venir enregistrer quelques morceaux sur l’album ? », mais moi, je sais pas faire ça, et il m’a rassuré : « Mais t’en fais pas, y aura un vocodeur. » Je chanterais et lui il trafiquerait ma voix en direct. Richard faisait déjà ça avant même d’avoir un ordinateur. Voilà comment a commencé ma collaboration musicale avec Richard. Puis des années plus tard, il m’a donné l’idée de Rock Machine. On a continué à faire des trucs. Je connaissais Dantec par ailleurs et ils voulaient tous les deux se rencontrer. Richard m’a dit : « Oh tu connais Maurice ? » et Dantec : « Oh tu connais Richard Pinhas. » Alors je les ai présentés et on a fini par faire Only Chaos Is Real. Six mois de studio. Maurice et moi on écrivait les textes et Richard mixait. On a fait quelques concerts avec différentes formations. Parfois on était là tous les trois, parfois non. Enfin voilà. Pour résumer la chose.
C’est par ce biais que vous êtes arrivé sur La Sirène rouge ?
Oh non, ça c’est une autre histoire ! Maurice m’avait amené à une fête avec plein de gens du cinéma. Il y avait un réalisateur qui voulait que je travaille sur La Sirène rouge. Il ne savait pas que je connaissais Maurice, ils sont venus me voir après la fête.
Ça s’est mieux passé que sur Vercingétorix ?
Non ! C’était pire ! Bien pire… On peut dire ce qu’on veut de Vercingétorix, au moins Jacques Dorfmann avait-il une vision sérieuse. Olivier Mégaton voulait des séquences cinématographiquement très exigeantes. Je devais sans cesse les récrire pour qu’elles puissent fonctionner mais Olivier n’en voulait pas, et plus j’écrivais, pire ça devenait. J’ai fini par lui dire, écoute, si tu veux niquer ce film, pas de problème, mais tu le niques toi-même. Au final, c’est un enchaînement décérébré de séquences de baston. Ça ressemble à de la violence MTV, sans aucun sens. C’était un mauvais film… Vous l’aimez ?
Non. Pas du tout.