J’ai fêté la Pâque juive avec la communauté des Hébreux noirs d’Israël

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reportage

J’ai fêté la Pâque juive avec la communauté des Hébreux noirs d’Israël

Cigarettes interdites, pas d'alcool et viande prohibée – les Black Hebrews ont un rapport plutôt straight-edge à leur spiritualité.

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Le temps commençait tout juste à se rafraîchir à Dimona, une petite ville cernée par le désert du Negev, dans le sud d'Israël. Sur la pelouse d'un parc, de nombreuses familles habillées en orange se prélassaient dans des guérites confectionnées à partir de grandes bâches, tandis que des enceintes diffusaient du reggae à haut volume depuis une estrade vide. Tout le monde parlait anglais, et l'absence d'odeur de viande grillée et de fumée se faisait ressentir. D'ailleurs, il n'y avait pas de fumée du tout – ni vapeurs de chicha ni cigarettes allumées.

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En Israël, il serait difficile de trouver un panorama similaire. C'est ici à Dimona que s'est installée la African Hebrew Israelite Nation of Jerusalem, un groupe spirituel fondé à Chicago dans les années 1960 qui prône un mode de vie ancré dans l'Ancien Testament. Comme tous les ans, ils célébraient le « New World Passover » – ou la « Pâque du Nouveau Monde ». L'occasion de commémorer l'exode de leur communauté depuis les États-Unis, leur voyage en Israël en passant par le Liberia et la prospérité du groupe aujourd'hui.

Les quelque 3 000 membres de l'African Hebrew Israelite Nation, aussi appelés Black Hebrews, se considèrent plus comme un mouvement à caractère social que religieux. Ils ne vont pas à la synagogue et ne prient pas. Ils pratiquent leur spiritualité en s'astreignant à un régime végétarien strict, en portant des habits faits exclusivement de fibres naturelles et en faisant du sport. Les drogues sont également prohibées, tout comme l'alcool, la cigarette et les préservatifs. Le groupe encourageait la polygynie – pratique qui permet à un homme d'avoir plusieurs femmes mais pas l'inverse – jusqu'au début des années 2000, date d'un accord entre la communauté et le gouvernement israélien afin d'obtenir le droit de séjour.

Le pasteur Elyakim Ben-Israel a rejoint la communauté à Dimona, après son émigration depuis les États-Unis en 1971. Pendant la Pâque, il s'est assis dans un coin du parc avec sa famille pour jouer aux échecs. Il m'a expliqué que l'histoire de leur communauté a débuté à Chicago, avec un ex-ouvrier métallurgique, Ben Ammi Ben-Israel, qui faisait alors partie des Black Israelites, une communauté noire-américaine qui affirmait descendre de la tribu biblique de Judas.

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Selon les Black Hebrews, l'ange Gabriel aurait rendu visite à Ben Ammi en 1966. « Il était endormi et a été réveillé par une vision », a confié Ben-Israel à VICE. « L'Ange Gabriel lui a dit qu'il était temps qu'il réunisse son peuple et qu'il retourne à la Terre promise d'Israël. »

Le pasteur m'a expliqué qu'après leur départ des États-Unis en 1967, la communauté s'est installée au Liberia avant d'arriver en Israël. Avec 350 personnes derrière lui, Ben Ami a cherché à s'installer dans la jungle afin de « se débarrasser de nombreuses mauvaises habitudes que nous avions acquises en Amérique ». Il a décrit cet épisode comme l'exode des juifs, qui, sortis d'Égypte, ont erré des années dans le désert. Ils sont restés au Liberia plus de deux ans, période durant laquelle certains sont morts de maladie tandis que de nombreux autres sont rentrés en Amérique. « Nous étions des novices en matière de survie, et nous devions vraiment compter les uns sur les autres et redécouvrir la synergie et les relations qui unissent l'homme à la terre. »

Les Black Hebrews arrivèrent en Israël en masse dans les années 1970, d'abord grâce à des titres de séjour, qu'ils ont indûment prolongés par la suite. Selon Ben-Israel, quand il est devenu évident pour le gouvernement que les Black Hebrews n'avaient pas l'intention de se convertir officiellement au judaïsme, leur permis de travail et leur droit à la sécurité sociale leurs ont été retirés, et on les a menacés d'expulsion. Les tensions ont atteint leur apogée vers le milieu des années 1980, lorsque l'armée a encerclé Dimona pour empêcher une manifestation et pousser la communauté au départ. La situation s'est tassée, sans violence. Au fil des ans, les Black Hebrews ont été acceptés par le gouvernement et se sont intégrés à la société israélienne.

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Tous les ans, les Black Hebrews portent la même couleur pour marquer le premier jour du festival de la Pâque. Leurs vêtements oranges contrastaient avec l'herbe verte du parc, tandis que des Black Israelites venus de tout Israël – mais aussi des États-Unis ou encore d'Afrique – se mêlaient aux Israéliens blancs venus observer les festivités.

Une petite procession s'est formée, de petits groupes d'enfants et de jeunes adultes se sont mis à danser dans la rue jusqu'à ce qu'ils atteignent une place du Village of Peace – le quartier de Dimona où réside la majorité des Black Hebrews, dans des maisons de plain-pied collées les unes aux autres. Les performances, les discours et les cérémonies diverses se sont succédées. À la nuit tombée, tout le monde est revenu au parc pour regarder les danseurs et les musiciens jouer sur scène.

La musique a retenti jusque tard dans la nuit. Je passais la nuit dans une petite maison du Village of Peace – à deux pas d'un restaurant végétalien et d'une clinique qui proposait toutes sortes de massages et lavements du colon – et je me suis endormi avant que la musique ne cesse.

Le festival a repris tôt le lendemain, alors que de puissants battements de tambours émanaient des enceintes du parc. On a eu le droit à de nouvelles performances, des tambours, de la danse et même une session de limbo. Quelqu'un a lu une lettre du Premier Ministre Benjamin Netanyahou dans laquelle il s'adressait à la communauté. M. Netanyahou – « son Excellence », d'après le lecteur – louait les progrès de la communauté et leurs efforts pour s'intégrer dans la communauté israélienne depuis leur arrivée dans le pays. La lettre mentionnait le fait que des Black Hebrews commençaient à envoyer leurs enfants faire leur service militaire, un acte qui, pour le Premier Ministre, « fait [d'eux] des membres à part entière d'Israël et renforce [leurs] liens avec la société de manière inimaginable. »

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Quand j'ai demandé au pasteur Ben-Israël s'il se considérait comme sioniste, il m'a expliqué que la communauté se revendiquait du sionisme biblique. Ben-Israël – le premier Black Hebrew à obtenir la citoyenneté israélienne – se voit comme un homme saint qui vit en Terre promise, selon les commandements de Dieu. Les aspects nationalistes du sionisme sont hors de propos. Comment est-ce que sa communauté gère les critiques selon lesquelles les Black Hebrews auraient moins le droit de vivre sur ce territoire que les Palestiniens ? « Nous n'essayons pas de justifier notre droit de vivre ici, m'a-t-il répondu. Nous définissons qui nous sommes, le sens de notre présence en Israël, et on en reste là. »

En parlant à Ahmahlyah Elyahshuv, un autre Black Hebrew de Dimona, il m'est apparu évident que les enjeux liés aux dangers du sionisme n'étaient tout simplement pas adressés par la communauté. Au départ hésitante à rejoindre la communauté à cause de sa perception du sionisme comme un système raciste, elle en est venue à penser que les considérations politiques « brouillaient le tableau ».

Les membres de la communauté des Black Hebrews pensent que s'ils étaient adoptés par tout le monde, leur comportement mettrait fin à toute dispute religieuse et politique. « C'est ce que nous faisons : on respire, on mange, on aime, m'a expliqué Elyahshuv. C'est notre essence, et nous sommes très heureux ainsi. »

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