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On a demandé à des Britanniques vivant en France s'ils avaient peur du Brexit

Et si les expats étaient eux aussi terrifiés, en fait ?

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Ce jeudi, les Britanniques votent une bonne fois pour toute par référendum afin de savoir si, oui ou non, ils quittaient définitivement l'Union européenne (UE). C'est la question du fameux « Brexit », abréviation de « British Exit », promise par le Premier ministre conservateur David Cameron alors qu'il briguait son second mandat à la tête du pouvoir britannique.

Le Brexit fait figure pour les uns de piège dans lequel Cameron est tombé pour tenter de regagner le soutien de ses ministres les plus europhobes. Ces derniers ont commencé à s'éloigner de lui en 2012 pour rejoindre les rangs du UKIP (Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni) de Nigel Farage. Pour les autres, ce référendum est au contraire une chance de décider de son propre avenir pour un pays qui n'a jamais franchement été très motivé par le projet européen.

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Si les Britanniques votent contre le Brexit, le pays pourra acquérir un « statut spécial » dans l'UE. Celui-ci, négocié par Cameron le 19 février dernier, devrait modifier quatre points majeurs des accords qui existent entre le Royaume-Uni et l'UE : l'immigration, la monnaie, le marché unique et la souveraineté. En cas de Brexit, tout le monde est plus ou moins d'accord pour dire qu'on ne sait pas trop ce qui se passera, à part que ce sera le bordel. À tel point que même les Allemands demandent aux Britanniques de rester. Le flou est encore plus épais autour de ce qui se passerait pour les expatriés britanniques à travers l'UE – au nombre de 2 millions – en cas de Brexit.

À douze jours de la question décisive, certains sondages indiquaient que 55 % des Britanniques comptaient voter pour la sortie, avec donc 45 % contre. Étant moi-même un Britannique vivant en France, souffrant de surcroît de sévères défaillances en savoir-faire administratif français, j'ai voulu savoir s'il était enfin temps que je prenne la nationalité française. J'ai donc demandé à mes compatriotes expatriés si le Brexit les inquiétait, s'ils pensaient que leur vie en serait changée et ce qu'ils aimeraient dire aux Britanniques qui hésitent encore.

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William Setters, traducteur, en France depuis 10 ans
Le Brexit me met en colère. Je repense à toutes les opportunités que m'a offert le fait que le Royaume-Uni soit membre de l'UE, et je vois des gens – surtout riches et puissants – faire campagne pour priver les générations futures de tout cela. Tous les arguments que j'entends en faveur du Brexit sonnent faux pour moi. Toute la campagne me paraît malhonnête et, à un certain degré, malveillante. J'espère que les Britanniques choisiront de rester, pour que plus de gens puissent avoir les mêmes opportunités que j'ai eues.

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Je peux voter, vu que ça ne fait pas si longtemps que je suis à l'étranger [les Britanniques qui vivent depuis moins de 15 ans à l'étranger peuvent voter, NLDR]. Je pense que les expatriés devraient pouvoir le faire, et pas seulement dans ce référendum ! Mais particulièrement dans ce cas car le résultat concernera tout le monde, même les expatriés qui vivent hors d'Europe.

Vu l'incertitude qui en résultera, j'ai demandé la nationalité française il y deux ans environ, donc un Brexit ne me posera pas de problème au niveau personnel. Je me fais en revanche beaucoup de souci pour mes amis, surtout pour mes collègues qui travaillent dans le secteur public des États membres et de la Communauté. La question des citoyens britanniques travaillant dans le secteur public à l'étranger, qui nécessite la citoyenneté européenne, ne semble pas avoir été abordée.

Je n'aime pas les tactiques alarmistes utilisées par les campagnes contre le Brexit, mais je dirais aux gens qui n'ont pas encore décidé de penser sérieusement à tout ce que le Royaume-Uni a à perdre. L'UE n'est pas parfaite, mais elle a accompli des choses merveilleuses, qui sont sans doute moins visibles au Royaume-Uni à cause de son isolation géographique, mais aussi à cause du fait qu'il a choisi de ne pas participer à certaines des réussites les plus emblématiques de l'Europe, telles que la monnaie unique et l'espace Schengen. Ces deux éléments sont fortement critiqués en ce moment, mais il s'agit de choses qui ont fait une vraie différence dans la vie des gens et ont rapproché les pays entre eux.

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Philip Turle, rédacteur en chef de la rédaction anglaise de RFI, en France depuis 30 ans
Je suis vraiment déçu que des expatriés comme moi, qui vivent à l'étranger depuis plus de 15 ans, n'aient pas le droit de voter dans ce référendum. C'est un référendum qui nous concernera aussi. Il y a tout un tas de questions qui restent sans réponse : si le Royaume-Uni décide de quitter l'UE, qu'adviendra-t-il de tous ces gens qui y vivent et y travaillent ? Personne n'en parle jamais dans les médias au Royaume-Uni. Le Daily Express et le Daily Mail parlent sans cesse de migrants qui veulent venir au Royaume-Uni, comme si le monde entier voulait y vivre, mais jamais des Britanniques qui vivent en Europe. Je serais donc victime d'un référendum qui aura sans doute une influence sur ma vie si le Royaume-Uni quitte l'UE, et sur lequel je n'ai pas mon mot à dire. Je trouve ça scandaleux.

Je pense que la plupart des gens au Royaume-Uni ne savent pas grand-chose sur l'Europe. Ils pensent que c'est une mauvaise chose parce qu'elle est sans cesse utilisée comme bouc émissaire pour tout ce qui ne va pas au Royaume-Uni. Les gens ont l'air de penser que Bruxelles est nuisible et n'apporte jamais de solution aux problèmes du Royaume-Uni, ce qui n'est pas vrai.

La campagne pour le Brexit a du mal à trouver des gens haut placés qui soutiendraient leurs idées. Le seul moyen qu'ils ont trouvé est de dire que personne ne sait ce qui va se passer si on sort, et qu'on ne peut pas le savoir tant qu'on reste dans l'UE. Ils manquent de grands décisionnaires pour les soutenir, à part des gens comme Donald Trump ou Vladimir Poutine, qui ne sont pas forcément des figures auxquelles la plupart des Britanniques s'identifient.

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Je ne pense pas qu'on nous dira de tous rentrer chez nous en cas de Brexit. On pourrait en revanche avoir besoin d'une carte de séjour, comme avant. Ça dépend aussi de ce que fera la Grande-Bretagne : si elle imposera la même chose aux Européens qui vivent là-bas. Si le Brexit perd, ce sera un énorme soulagement pour David Cameron, même si je pense qu'au fond, il n'est pas très pro-Européen. Tout comme Jeremy Corbyn [le chef du parti travailliste], qui a été forcé de dire qu'on devrait rester, mais qui, au final, est plutôt anti-Europe.

Au final, ce sont ceux qui ne savent pas encore qui vont décider, car ils vont faire leur choix une fois devant l'urne. À ces derniers, je dirais de voter pour rester dans l'UE, parce que l'union fait la force et que se retrouver seul, c'est risqué.

Gregory, doctorant en philosophie et en droit, en France depuis 25 ans
Les Britanniques sont à peine au courant qu'ils font partie de l'UE. J'étais en fac de droit en Angleterre pendant deux ans, et la plupart des étudiants étaient capables de dire très précisément ce qu'était le Commonwealth, mais pas vraiment l'UE. Les centres d'intérêts britanniques ne se trouvent pas en Europe, mais plutôt dans les anciennes colonies. Dans les universités comme Oxford ou Cambridge, il y a un tiers d'Anglais et deux tiers de Canadiens, d'Indiens, de Néo-Zélandais, d'Australiens, de Sud-Africains, de tous les États du Commonwealth et des anciennes colonies. En France, on ne mesure pas à quel point le Commonwealth est important pour eux. Ce n'est pas comme s'ils allaient se retrouver sans filet de sauvetage. Le Royaume-Uni pourrait être complètement lâché par l'Europe, il a encore le reste du monde occidental avec lequel il peut avoir des relations commerciales privilégiées. On est passés complètement à côté de cette question dans le débat sur le Brexit.

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Un Brexit m'apportera peut-être des complications administratives. Je vais peut-être devoir décider une fois pour toute si je veux être Français, au lieu de garder le cul entre deux chaises. Économiquement, le Royaume-Uni n'est de toute manière pas dans l'espace Schengen et on oublie qu'il y a un tas de pays qui sont dans le même cas, mais qui ont des relations commerciales et politiques privilégiées avec d'autres pays. La Suisse, par exemple, n'est pas un pays membre de l'UE mais ils ont les mêmes avantages commerciaux que les membres. C'est juste que ça s'y fait autrement au niveau juridique : au lieu de signer un traité général avec l'UE, ils font du copier-coller du même traité, avec exactement le même contenu, avec chacun des États membres. Le Royaume-Uni, s'il quittait l'UE, pourrait faire de cette façon.

David Cameron a l'intention que le vote contre le Brexit passe pour ensuite avoir un pouvoir de négociation. C'est exactement ce qu'il s'est passé en Grèce, où on imaginait que le « Non » allait avoir pour résultat une sortie de l'UE, mais ça a résulté sur un formidable pouvoir de renégociation. Ça a notamment révélé à l'Allemagne qu'elle ne voulait pas que la Grèce sorte. Ça pourrait être exactement la même chose avec le Brexit.

Je dirais aux Britanniques qui vont voter de s'assurer de comprendre ce qu'est l'UE avant. Si même les étudiants en droit européen et international n'ont qu'une compréhension très approximative de ce qu'est l'UE, l'inculture politique du Britannique moyen risque de peser.

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Grace Freeman, employée dans une organisation internationale, en France depuis 16 ans
Après 16 ans en France, je ne m'imagine pas retourner vivre au Royaume-Uni. Le régime fiscal me manquerait ! Tout comme les boulangeries. D'un point de vue purement égoïste, les prix des vols vers le Royaume-Uni augmenteront probablement, et j'adore aller y acheter mon curry et mon thé. Même les vêtements sont parfois moitié prix là-bas.

En cas de Brexit, le Royaume-Uni devra souffrir économiquement avant de pouvoir en tirer quoi que ce soit. Rome ne s'est pas faite en un jour, l'Europe non plus. C'est une raison d'être pour créer une zone de libre-échange, une aubaine pour le Royaume-Uni. Le continent est aussi une porte sur l'Afrique et la Russie. Être un électron libre impliquerait sans doute plus de bureaucratie qu'être un partenaire commercial européen.

La campagne pour le Brexit a ses chances. Elle profite surtout des divisions au sein de la campagne du parti conservateur. Le pays est bien plus à droite qu'il ne l'était il y a une quinzaine d'années. Si la campagne contre le Brexit l'emporte, le Royaume-Uni continuera comme avant, mais pourra sans doute en tirer quelque chose, parce que les gens ont vraiment peur de perdre une économie forte.

Peut-être que mon opinion ne compte pas tellement, vu que je travaille dans une organisation internationale. En cas de Brexit, je ne serais donc pas obligée d'obtenir un permis de séjour. Ce serait par contre pénible pour mon mari, qui est lui-aussi Anglais. J'ai toujours été plus passionnée pour l'Europe que pour la Grande-Bretagne, il ne faut donc pas s'attendre à trop de patriotisme de ma part.

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Aux indécis, je dirais que, si vous aimez voyager en Europe et dépendez de produits fabriqués en Europe, comme les voitures, faîtes en sorte de rester en Europe parce que, au final, il y aura un prix à payer si on quitte le marché unique. Le Royaume-Uni est plus fort au sein de l'Europe.

Paul Underwood, professeur d'anglais à la retraite, en France depuis 40 ans
Je pense que le Brexit est une idée ridicule. Il est absurde de penser que le Royaume-Uni peut vivre dans un splendide isolement, alors que sa destinée est clairement de faire partie de l'Europe, en ayant une influence sur les décisions qui y sont prises. Il y a beaucoup de choses à critiquer dans l'UE, mais la quitter n'est pas une option. Notre partie de l'Europe, au moins, est en paix depuis 70 ans et ça, c'est une chose envers laquelle on devrait être reconnaissant.

David Cameron joue avec le feu en prenant le risque de sacrifier son pays dans le but de régler les affaires internes de son parti. De toute façon, je ne suis pas fan de référendums. Je pense que le gouvernement a été élu pour gouverner (même suis je suis un partisan travailliste/socialiste de longue date) et qu'ici, il esquive ses responsabilités. Et organiser un référendum qu'on n'est pas sûr de gagner, c'est de la pure folie.

Je ne pourrai pas voter, vu que je vis en France depuis trop longtemps. Je ne pense toutefois pas que les expatriés devraient pouvoir voter parce qu'ils ont fait le choix de vivre à l'étranger. En revanche, j'aimerais que tous les Européens (et les autres) qui vivent au Royaume-Uni puissent voter.

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Malheureusement, le Brexit a ses chances de gagner et ses partisans semblent pouvoir faire, en toute impunité, les déclarations les plus scandaleuses, comme dire que le Royaume-Uni se fait envahir par des hordes d'étrangers. Si le Brexit gagne, rien ne changera pour moi, sauf si le Front national arrive ensuite au pouvoir en France, auquel cas je retournerai outre-Manche. Si le Brexit perd, les choses continueront comme avant. Je ne pense toutefois pas que les Britanniques deviendront de fervents partisans de l'UE. Et je suppose que dans 40 ans, un politicien débile décidera qu'il faut organiser un autre référendum. Ce référendum est bien trop important pour qu'il y ait encore des indécis aujourd'hui. Voter pour rester en Europe est un vote pour l'avenir. Voter pour quitter l'UE serait un pas en arrière vers un passé glorieux qui n'a jamais existé.

Jamie Smith, professeur agrégé d'anglais, en France depuis quatre ans
Je suis contre le Brexit, en raison de la grande incertitude qu'il y a autour. Je pense que vu le positionnement du Royaume-Uni, quitter l'UE serait simplement une mauvaise idée. En ce qui me concerne, c'est mon deuxième référendum majeur en deux ans, comme je suis Écossais et que j'ai voté en 2014 [sur l'indépendance de l'Écosse, NDLR]. Observer ce référendum de l'étranger peut être parfois un peu inquiétant. Il y a un an, je n'étais pas sûr de pouvoir voter car il y avait de l'incertitude quant au droit de vote des expatriés britanniques, mais heureusement, j'ai le droit. En revanche, je n'avais pas eu le droit de voter dans le référendum écossais, parce qu'il fallait y vivre pour pouvoir voter.

Je n'ai pas encore la nationalité française, mais il s'agit de quelque chose que j'envisageais, indépendamment de la question du Brexit. Mais le résultat de ce référendum pourrait accélérer les choses en ce sens pour moi.

Si le Brexit passe, je pense qu'il y aura des négociations par rapport aux Britanniques qui vivent en France : est-ce qu'on aura toujours le droit de travailler ici ? Aura-t-on besoin d'un permis de travail ? En ce qui me concerne, j'imagine qu'en tant que fonctionnaire, je pourrais continuer à travailler ici, ou en tout cas accélérer ma procédure d'acquisition de la nationalité française. Mais je pourrais être confronté à un gros dilemme : à cause du chaos politique que cela provoquerait, peut-être que les négociations feront que je n'aurai pas le droit d'avoir la double nationalité. Et je n'ai vraiment pas envie de renoncer à ma nationalité britannique.

Ce référendum aura secoué l'Europe, qui, je pense, souffrira également beaucoup sans le Royaume-Uni aujourd'hui. J'ai l'impression que les gens pensent que ce n'est pas le cas, mais le Royaume-Uni a toujours un rôle important à jouer. Le référendum déclenchera aussi des référendums dans d'autres États et, à terme, il aura affaibli le projet européen au niveau politique. En France déjà, l'extrême droite remet largement en question la position du pays au sein de l'Europe. Quoiqu'il arrive, avec ce référendum, je pense que ça aura une influence sur les élections de 2017 en France, où la question de l'Europe sera largement débattue.

Aux Britanniques qui n'ont pas encore pris leur décision, je dirais d'abord d'aller voter. Beaucoup de gens sont incertains et ont l'air de dire qu'ils vont laisser le vote aux autres. Je les prierais aussi de bien vouloir voter contre le Brexit ! Nous sommes plus forts au sein de l'Europe aujourd'hui. Tout cela date d'il y a très longtemps, des négociations de paix de la Seconde Guerre mondiale. Avec un Brexit, on briserait tout ça. D'une manière très pratique, je dirais : « Voulez-vous vraiment devoir demander un visa à chaque fois que vous partez en vacances ? Et pensez à l'impact que cela aura sur l'importation de vins français et de cigarettes du continent vers le Royaume-Uni ! » Je pense que ces questions n'ont pas été assez abordées dans le débat !

Sur un autre point, j'étais vraiment contre l'indépendance de l'Écosse en 2014. Il se pourrait que l'Écosse remette la question à jour si le Brexit passe et, dans ce cas, je reconsidèrerais peut-être ma position sur la question. Ce serait un autre dilemme.

@Patricknrandall