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Culture

La Scène goth d’Hawaï et son inéluctable déclin

Quand la jeunesse de l'île américaine troque ses tongs et ses planches de surf contre du mascara et des dents de vampire.

Je me trouve dans un petit boui-boui du Chinatown d'Honolulu. Alors qu'une DJ revêtue d'un corset passe Head Like a Hole de NIN, une femme gesticule telle une marionnette victorienne. L'étrange Noël de Monsieur Jack est diffusé sur l'écran derrière le bar, illuminé par une lumière rouge cerise. L'odeur de cigarettes aux clous de girofle que l'on fume sur le trottoir de l'hôtel mi-luxueux mi-miteux voisin se répand à l'intérieur du bar. Avec un peu d'imagination, on pourrait se croire en 1994. En regardant autour de soi, on aperçoit des gens tout de noir vêtus, rassemblés pour célébrer la seule nuit gothique d'Hawaï – dont le nom « Kore » sera changé en « Vortex » quelques mois plus tard. En les regardant, on se rend compte que les jours de gloire du goth sont finis.

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Ces cinq dernières années, le nombre d'événements goths organisés aux États-Unis a fortement diminué, tout comme le nombre de participants à ceux qui existent encore. À New York, il n'y en a plus que deux par semaine maximum. À San Francisco, même les célèbres soirées « Death Guild » n'attirent plus autant – cela certainement car la génération 2.0 revendique désormais plus son identité sur Internet qu'en personne. « Organisez une nuit reggae : les gens viendront », m'a expliqué la DJ et promotrice Goth Nocturna, qu'on pourrait prendre pour la cousine de Siouxsie SIoux.

Je suis née et j'ai grandi à Honolulu. Au milieu des années 90, le goth était en plein essor. Je dansais sur du Cocteau Twins ou du Gene Loves Jezebel plusieurs nuits par semaine dans les bars et entrepôts désaffectés du coin. Il y avait plein d'endroits exclusivement réservés à la scène goth : le Sub Club, le Valentino's et le Temple. Je me souviens aussi des soirées « Dungeon », qui se déroulaient dans un complexe de plusieurs salles pouvant accueillir mille personnes. Le goth a beau avoir vu le jour dans les années 80, l'engouement pour cette contre-culture n'a atteint son pic que dans la décennie suivante. Les années 90 étaient idéales pour les jeunes d'Hawaï qui souhaitaient revendiquer leur identité et qui en avaient marre du style relax typique de l'île.

Toutes les photos sont de Joseph Maida

Ces jours-ci, à Oahu, la culture alternative a une odeur d'EDM. La troisième vague goth, ou plutôt ce qu'il en reste, est un croisement entre le post-punk, le rock industriel et le cyber goth (avec plus de synthés, d'extensions de cheveux et une touche de punk japonais). Tous les mois, une nuit goth/industrielle est organisée dans une salle de billard. Pour le reste, il existe quelques soirées dans lesquelles vous pouvez entendre une chanson des Cures ainsi qu'une poignée d'événements annuels organisés dans la douleur par deux promoteurs qui souhaitent garder la scène goth en vie.

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« En Allemagne, vous ne verriez que des goths à une nuit goth, explique Nocturna. Mais ici, on ne voit pas grand monde. Ça devient de pire en pire ; les gens ne sont plus intéressés par ça. Enfin, certains le sont encore un peu, mais je n'ai aucune idée de la meilleure manière de les faire sortir de chez eux. »

Nocturna m'a expliqué qu'à la fin des années 90 et au début des années 2000, les gens comme elle et moi qui fréquentaient la scène goth se sont mariés, ont eu des enfants et restent désormais chez eux pour écouter leurs chansons préférées. En plus de ça, les jeunes qui se revendiquent en « marge » n'arrivent pas à s'épanouir à Hawaï ; ils ne supportent plus l'ambiance chill, alors ils mettent les voiles – c'est ce que j'ai fait il y a quinze ans. « Je ne vois presque plus personne, m'a confié Nocturna. Ce n'est plus la même chose. »

Je me souviens de Nocturna à la belle époque : elle apparaissait comme par magie sur la piste de danse pendant une transition dark. C'était toujours avant minuit, quand tout le monde commençait à être bourré. Elle virevoltait dans son espace à elle, agitant ses bras en l'air et fermant les yeux. C'était l'une des seules ici qui venait vraiment pour la musique ; une fille qui n'en avait rien à foutre des dynamiques sociopolitiques goths et de ce que les gens pouvaient penser.

« Ce n'est pas une phase pour moi, avoue Nocturna. J'ai toujours fait ça. J'ai conservé ma collection de disques ; pouvoir les jouer à la radio me pousse à continuer. » Feast of Friends, le céleste radio show goth industriel que Nocturna anime sur KTUH, dure depuis quatorze ans. Quand les choses ont commencé à ralentir dans les années 2000, elle a décidé de créer son propre truc. Il y a quelques années, elle a vu diminuer le nombre de gens qui se pointaient et s'est aperçue qu'elle était la seule promotrice goth qui restait à Hawaï. En réponse, elle a commencé à organiser des événements annuels, plus grands, comme Miss Vamp Hawaï, un concours de beauté goth – celui-ci a donné naissance à une émission de télé réalité. « J'ai arrêté d'organiser des événements mensuels parce qu'ils n'attiraient plus grand monde. Ça ne vaut plus la peine de se démener pour une vingtaine de personnes. »

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Au contraire, certains goths refusent de voir leur contre-culture mourir et sont prêts à tout pour la raviver. « Nephilim Halls », un petit groupe de vingtenaires dégoûtés par la fermeture de clubs goths d'Honolulu comme le Pink Cadillac et le 1738 au milieu des années 2000, a créé un site web en 2011. Cela fait maintenant quatre ans qu'il sert à tenir informé la communauté goth d'Hawaï. Quand Nocturna a commencé à se concentrer sur des événements plus grands il y a deux ans, les Nephilim ont eux-aussi décidé d'organiser leurs propres soirées, parmi lesquelles on compte les nuits « Kore » et « Vortex ».

Deux des responsables de Nephilim, Void et DJ Nightfox, avouent que le mouvement bat désormais de l'aile, mais que cela ne les refroidit pas pour autant. « Nous sommes chanceux que notre scène fluctue moins que d'autres, comme la dubstep par exemple, explique Nightfox. La dubstep a explosé ici. On en jouait partout dans les boîtes, et soudainement, ça s'est éteint. Le goth a eu des moments d'essor et de fléchissement, mais il n'a jamais vraiment disparu. »

D'autres, comme David Johnson, sont déçus. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, ce goth militaire de profession et natif de Californie, m'avoue : « Hawaï, ça craint. » Aujourd'hui, il se remémore avec nostalgie des soirées qui lui ont permis de « rencontrer la plupart de [ses] amis et même [sa] femme » et regrette que la scène goth ne soit plus similaire à celle de San Francisco. Lors des soirées, lui et ces mecs blonds avec leurs tee-shirts Korn se remarquent facilement dans une marée de femmes en bustiers.

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D'après Nightfox, nombreux sont les militaires goths sur l'île. Toujours est-il qu'il est difficile de maintenir une clientèle avec des types comme eux, qui ne restent à Hawaï que quelques années, et des adolescents qui fuient vers le continent une fois diplômé. « On perd tout le temps nos militaires, mais dès qu'ils partent, de nouveaux arrivent. C'est difficile de les trouver, mais on sait qu'ils sont là, quelque part. »

Un autre problème que rencontrent les promoteurs locaux : trop d'alohaamour, compassion en hawaïen – et pas assez de pragmatisme financier. « On ne fait pas ça pour l'argent, m'assure néanmoins Void. On fait ça parce qu'on veut écouter de la musique et traîner avec nos potes. C'est pourquoi on continue à faire ça. » Personnellement, je peux confirmer : pendant un moment, en 1999, j'ai dirigé une série d'événements goths deux fois par semaine dans un bar gay. J'étais très douée pour designer des flyers avec des collages photo de Robert Smith. En revanche, c'était difficile de faire venir des gens, de les intéresser et de faire payer mes potes. Je devenais amie avec tous les gens que je rencontrais et je me faisais très peu de thune parce que je les laissais tous rentrer gratos.

Cependant, être goth à Hawaï a aussi ses avantages. Par exemple, quand on vit sur une petite île, tout le monde est un potentiel ami. Les gens sont proches les uns des autres. Même si j'ai quitté la mouvance il y a plus de dix ans, j'en fais toujours partie. Nocturna m'a même confié qu'elle avait demandé à mon petit frère – qui a des pommettes saillantes – s'il voulait participer au concours du Comte Dracula, l'équivalent masculin de Miss Vamp.

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Dans ma jeunesse, des mouvances distinctes qui allaient du punk au hip-hop se sont mélangées. Même si vous vous revendiquiez goth, vous supportiez vos potes rappeurs, vous vous pointiez à un concert de ska un jeudi soir, juste parce que c'était la seule chose à faire. Toutes les mouvances semblent désormais plus petites – les metalheads, goths, punks, danseurs du ventre, geeks et autres. L'esprit est néanmoins toujours là. Même le goth le plus terrible et le plus blanc que le plus blanc des culs te retournera ton sourire.

Quand j'explique aux gens que j'avais pour habitude de fréquenter la scène goth d'Hawaï, ils se moquent de moi ou sont abasourdis. Après tout, ils ont raison : c'est impossible de se morfondre dans les ténèbres sous le soleil. J'ai beau avoir porté des bottes en cuir noir à la place de tongs, dansé dans ma chambre sur du Peter Murphy, je ne me suis jamais trop prise au sérieux et j'ai toujours été respectueuse envers ceux qui m'ont respectée. C'est un truc typique d'Hawaï qui rend cette mouvance authentique et moins traditionnelle que le hard-core goth standard. Aujourd'hui, cet esprit est toujours présent – à la soirée « Kore », tout le monde était chaleureux, accueillant. Il y avait bien plus de gens debout en train de rire qu'assis à tirer la gueule derrière leur mascara et leurs grands manteaux noirs.

J'ai demandé à Nocturna si, comme beaucoup de ses vieux amis et connaissances, elle avait déjà envisagé de quitter l'île pour aller dans une plus grande ville. Si elle aimerait bien, ses devoirs familiaux la retiennent à Hawaï. « En plus, j'aime beaucoup être ici, ajoute-t-elle. Vous ne verrez jamais de lever ou de coucher de soleil comme ceux d'Hawaï. »

Jessica est sur Twitter.