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LE NUMÉRO MORTS DE RIRE

La fin des comédies françaises populaires

Il y a à peu près dix ans, j’ai commencé la fac et mes parents se sont abonnés à Noos. Animé d’une profonde tolérance quant aux objets culturels diffusés par ce réseau...

Il y a à peu près dix ans, j’ai commencé la fac et mes parents se sont abonnés à Noos. Animé d’une profonde tolérance quant aux objets culturels diffusés par ce réseau, je me suis donc mis à bien « scotcher la télé » comme on disait à l’époque, et notamment les comédies populaires françaises considérées par expérience comme de très bons passe-temps – j’étais déjà fan de

La Chèvre, Les Bronzés, Viens chez moi, j’habite chez une copine, Les Visiteurs, Le Dîner de cons

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et autres films savoureux et sans prétention. Mais j’ai assez vite compris que ces comédies qui jadis me distrayaient tant étaient en train de sérieusement baisser de niveau. Je ne dis pas qu’il n’y avait jamais eu de trucs merdiques avant ça, on s’est bien tapé la série du

Gendarme de Saint-Tropez

, celle des

Charlots

, les Max Pécas et plus tard les films avec Michel Leeb ou Nagui, ou encore quelques tentatives pénibles de comédies semi-fantastiques comme

Les Anges gardiens

(Depardieu et Clavier) ou ce truc insupportable avec Balasko et Daniel Auteuil en Belzébuth. Mais là, en errant sur la « NoosZone », c’était comme s’il n’y avait eu que ça, que de la comédie industrielle médiocre, débitée au kilomètre et déclinée en différentes versions selon la cible – aventure, action, sentimentale, cul, ethno/socio, « tendancielle », SF, intimiste, onirique, « avec acteur intello parachuté », bref. Ça n’a pas été forcément facile d’admettre que le monde de la comédie sombrait ainsi, parce qu’on exige quand même un minimum de respect de la part de ce genre de productions. On a envie de rire, pas forcément comme une baleine, mais juste raisonnablement, histoire de zapper qu’on vit chez ses parents, de faire passer la gueule de bois et de donner un semblant de consistance au temps qui avance en pilotage automatique. Et on se retrouve donc à attendre quelque chose de ces films – pas un truc de ouf mais pas rien non plus, quoi – et quand on se rend compte qu’en fait, eh bah

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ils s’en tapent complètement des gens qui les regardent

, qu’ils ne cherchent qu’à profiter de la faiblesse du spectateur et de sa détresse ­sensible, on se sent forcément encore plus déprimé, frustré et amer.

Bref, depuis dix ans, sur Noos et ailleurs, j’ai vu quantité de ces comédies françaises soi-disant populaires, et je suis resté abattu facilement les trois-quarts du temps, même après avoir changé de chaîne. Ce qu’il y a de structurellement mauvais dans ces comédies – citons en vrac des succès massifs comme

Les Bronzés 3, La Vérité si je mens 2, Le Boulet, Disco, 3 Zéros, Camping 1

et

2,

la série des

Taxi, Jet Set 1

et

2, Pédale Dure, Chouchou, Astérix 1

et

, et j’en passe –, ce n’est même pas qu’elles ne sont pas drôles, bien que cela constitue en soi un réel problème, c’est qu’elles tout simplement mal faites, bâclées, poussives : elles ne font même pas sourire. C’est avant tout cela qui les rend si dures à regarder, parfois franchement affligeantes, et dans certains cas carrément néfastes, avilissantes, voire contraires aux principes élémentaires du savoir-vivre humain.

À force de moins en moins supporter ces films et de plus en plus m’étonner de la bonne santé de l’industrie qui les fabrique, j’ai fini par réfléchir aux différents maux dont ils souffrent et à l’inconfort et l’embarras, conscients ou non, qu’ils provoquent chez les millions de gens qui les regardent. J’ai ainsi pu dresser une sorte de tableau clinique des symptômes de la comédie populaire française de merde.

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Le premier symptôme de ces divertissements malades, je le disais, c’est la

facture

du film, sa stricte indigence formelle. Quand on regarde des navets comme

Disco, Chouchou, Cyprien

, on a l’impression d’être devant des chutes, des scènes non retenues : malgré une histoire censée être excitante (généralement celle d’un personnage haut en couleur ou qui va se révéler haut en couleur) on s’ennuie déjà au bout de dix minutes, tout est surexpliqué, le rythme patauge et la caméra en fait des tonnes. La différence avec les comédies indigentes d’autrefois, c’est que pas mal de ces comédies indigentes d’aujourd’hui chargent la barque en développant une ambition scénaristique énigmatique, avec des petites intrigues parallèles, des pseudo-rebondissements et des running jokes parfois complexes : le problème, c’est qu’en l’absence de tout rythme, de toute fluidité visuelle, on s’en fout un peu. Ces péripéties sont juste des « éléments narratifs » qui, parce que dissociés les uns des autres, ne disent jamais rien de plus que ce qu’ils sont isolément (« il trompe sa femme » dans

Camping

, « leur fils est gay » dans

Les Bronzés 3

, « le curé est accro au chocolat » dans

Chouchou

, « il fume plein de joints » dans

Nos amis les flics

). Ils font juste acte de présence histoire de (mal) remplir le vide.

Exactement comme le filmage, les dialogues eux aussi ne font souvent rien d’autre que confirmer ce qu’on comprend déjà implicitement : « Ah mais dis donc qui c’est que je vois là, ce serait pas le roi de la disco ? », « Ah tu te souviens des conneries qu’on faisait quand on était jeunes, c’était la belle époque hein ? Mais aujourd’hui c’est fini », etc. Le reste du temps, les acteurs se contentent de sortir mécaniquement des blagues qui jouent sur des références rancies par les années, quoique perpétuées par la culture télé/village de vacances/BDE/machine à café (le « Un peu de Benco ? » de Dubosc dans

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Camping

), l’obsession morbide de la formule qui fait mouche à ressortir en société (« Je voulais décompresser mais là je suis compressé » dans

Coco

) et surtout une absence totale d’osmose entre des acteurs qui donnent souvent l’impression de jouer sans se prêter la moindre attention mutuelle, voire de ne pas avoir saisi que le tournage avait commencé et d’être encore en train de préparer leur rôle – c’est le cas des

Bronzés 3

par exemple, qui ressemble parfois à s’y méprendre à une répétition filmée, et j’exagère à peine en disant que ça a quelque chose d’obscène, proche du mauvais film porno que de les voir aussi peu investis dans leur tâche. Et quand ils sont un peu plus motivés, certains acteurs, comme José Garcia (qui peut par ailleurs être un bon acteur quand il est bien dirigé) ou Mathilde Seigner (qui elle, en revanche, est systématiquement mauvaise et prisonnière de son personnage) se lancent dans de soi-disant performances d’acteur hyper contrôlées. Et quand on tombe sur des acteurs qu’on a bien aimés par ailleurs mais qui cachetonnent un peu trop, on leur en veut de se fourvoyer comme ça – comme quand vous voyez un bon pote fraterniser avec des connards – et ça ne fait qu’augmenter le malaise et la rancœur éprouvés face à l’écran : je vous le dis, c’est une question de santé publique.

D’une manière générale, notamment avec tous les films où jouent des types venus de la télé et du stand-up, l’histoire et les dialogues n’exigent rien d’autre de leur part que, là aussi, la confirmation qu’ils sont bien les comiques qu’on a vus ailleurs, avec les mêmes gimmicks, les mêmes registres. C’est la même chose avec les adaptations de livres ou de BD. En fait, les résultats sont presque des dossiers de presse filmés – ou une longue bande annonce, voire carrément un documentaire promotionnel bas de gamme – et parfois certains personnages se présentent peu ou prou comme ils ont dû être pitchés dans le scénario puis dans le kit presse envoyé aux journalistes. La mécanique comique des comédies populaires de merde est donc complètement tautologique : San Antonio est drôle, donc on va le mettre dans un film, et puis voilà ça va être drôle. Il va faire quoi dans le film ? On sait pas trop, c’est pas grave, il va juste être là, c’est l’essentiel, son image et sa réputation doivent suffire à faire rire. J’imagine très bien producteurs et réalisateurs sortir d’un air super content d’eux qu’ils ont « juste voulu faire un film sur un dragueur loser/un travelo algérien/un gangster barbu, et puis c’est tout, je fais confiance à Frank/Gad/José pour s’occuper du reste », comme s’ils avaient pris un risque incroyable ou que leur démarche se voulait carrément conceptuelle par son minimalisme.

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Du coup évidemment, et c’est le troisième symptôme, toute l’expérience de rigolade que sont censées procurer les comédies se résume à quelques instants de rire commandé, servile, automatisé, qui flottent au milieu d’une heure et demie de vent, de zone grise. Le comique vif, construit, ajusté, fait de situations combinées et de quiproquos, qui brillait par exemple dans, je sais pas,

Le Distrait

(avec Pierre Richard) ou

Le Dîner de cons

, c’est fini aujourd’hui. L’histoire, et l’ensemble de ce qu’on voit et comprend sur l’écran ne sert maintenant que de prétexte à ces quelques pauvres moments de consolation. Peu importe que le spectateur se fasse chier la plupart du temps, ce qui compte, ce sont les petits bouts de prêt-à-rire qu’on va mettre dans la bande-annonce. Comme le disait Adorno à propos d’autre chose (la variété américaine des années 1930, si vous voulez savoir), c’est le tout qui est sacrifié aux parties. Et ici, le tout, c’est ce qui fait qu’on passe un bon moment, comme on dit, ce truc enlevé, fluide, maîtrisé. Et si une chose est claire ici, c’est qu’on ne passe

vraiment

pas un

bon

moment devant

Camping, Chouchou, San Antonio

ou

Les Bronzés 3

. Si les gens y croient ou s’en convainquent, c’est parce qu’ils ont payé et que ça les déprimerait encore plus de se dire que là, vraiment, ils ne sont pas en train de rigoler. La télé, on est habitués à ne pas rire, mais le cinéma c’est censé être toujours mieux non ?

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Un des derniers gros signes distinctifs des comédies populaires de merde, c’est sans aucun doute leur direction artistique : j’imagine que comme tout le budget part dans les cachets des acteurs, il reste à peu près que dalle pour assurer un semblant de suivi visuel et sonore. Les plans sont plats, mais ça, à la limite, c’est secondaire parce que ça reste fonctionnel, mais c’est ensuite dans les couleurs, la prise de son et la musique que ça commence vraiment à chier. Les images sont criardes, trop chargées, comme si – voir l’intrigue pseudo-complexe décrite plus haut – elles cherchaient à convaincre le spectateur qu’il est en train d’en avoir pour son argent – malgré ça, c’est le prix ­plancher sur d’autres choses : j’ai par exemple été sidéré de voir que le générique des

Bronzés 3

était fait avec une typo du genre Comic Sans MS jaune. Le son, qu’il s’agisse des bruitages, des voix ou de la musique est souvent beaucoup trop fort, agressif, irritant, le moindre cri vous perce les tympans, et dans une grosse salle, c’est carrément l’épreuve – imaginez une tirade de Mathilde Seigner ou de Depardieu avec un son Dolby Surround 5.1. Là aussi, même principe : saturer l’espace de perception du spectateur pour qu’il se sente « rempli » – comme à la télé, en gros. En ce qui concerne précisément la musique, le problème couvre selon moi à peu près tout le cinéma français et américain, mais je tiens juste à dire que dans les comédies populaires françaises le problème est aggravé par le fait que l’illustration sonore vient souvent créer un semblant d’animation dans des segments laissés totalement à l’abandon. Quand on entend dans

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San Antonio

une sorte de ritournelle néo-jazzy big band loungisante accompagner une scène de poursuite « à la papa », je peux vous dire qu’on ressent un profond malaise esthétique qui donne envie de cesser d’écouter de la musique pour toujours. Et je ne parle pas des costumes, qui ont maintenant toujours l’air de

costumes trouvés par une costumière dans un magasin de costumes

(un phénomène particulièrement visible dans

Le Mac, Le Boulet

, ou encore une fois le quasi irregardable

Chouchou

), et non de « vrais » habits, ou disons d’habits censés être vrais. Haine du réel, c’est compliqué de savoir pourquoi ces productions fonctionnent toutes comme ça, et c’est une autre question.

En résumé, la majeure partie de la production comique du cinéma français n’a qu’un mérite, et il est très involontaire, c’est de nous renvoyer l’image d’un spectateur misérable qui a besoin de rigoler comme il va aux putes, de s’identifier à des « idées » rassemblées dans un ensemble neutre et complètement ni fait ni à faire. Tout n’est pas mauvais, heureusement, et certains succès sont mérités. Citons les

Ch’tis

par exemple, qui est beaucoup moins naze qu’on pourrait le penser. Ou

Coco

qui, malgré plein de défauts, est presque virtuose dans son style nouveau riche, ou encore

Incognito

qui, en dépit de sa fin moralement hyper douteuse pour un film populaire, comporte des scènes bien fendardes. Mais ça n’empêche que les comédies de merde continuent d’attirer le public en masse avec des films qui n’en sont pas vraiment, qui sont plutôt des mauvais délires d’anciens pubards imbuvables et imbus d’eux-mêmes qui se prennent pour des rois du divertissement et bouclent l’écriture de leurs projets en trois réunions. « Alors là, je vois bien Dubosc en short et tee-shirt trop serré, il roule en Fuego, il gère trop le pastis et les merguez, ce serait bon ça, non ? » Et en fait, à ce stade de la réunion, c’est comme si le film était déjà terminé. En même temps, avec les millions de spectateurs qu’ils font venir, ce serait difficile de ne pas être sûr de son bon droit. Mais, on va encore citer Adorno : « Le spectacle n’a pas commencé que le public l’aime déjà. »