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Arrêtons de mentir : je n'ai jamais rien pigé à Instagram

Hé, vous savez ce qui n'est pas nouveau, donc tout le monde pourrait arrêter de s'exciter dessus ? Avoir un appareil photo intégré à son téléphone.

Hé, vous savez ce qui n'est pas nouveau, donc tout le monde pourrait arrêter de s'exciter dessus ? Avoir un appareil photo intégré à son téléphone. Mon portable m'a coûté 28 euros et il a un putain d'appareil photo intégré. S'exciter sur le fait d'avoir un appareil photo dans son téléphone, c'est comme s'exciter de prendre le métro ou de passer une chanson avec son ordinateur portable. C'est plus la peine.

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Et pourtant, la moitié des pubs pour téléphones portables tournent autour des appareils photos qui sont intégrés dedans. Généralement, on y voit une mère souriante photographiant son chiard qui fait du snowboard et qui l'immortalise dans un tweet, et le message, c'est qu'il faudrait tous qu'on fasse ça. On nous dit que la vie nous file entre les doigts, et que si on ne prend pas en photo chaque moment insignifiant de nos misérables petites existences – comme Guy Pearce dansMemento –, ces moments nous seront perdus à jamais. C'est comme si on nous disait de ne pas nous fier à nos propres souvenirs.

Et on ne nous encourage pas seulement à être les photographes de soirée de nos propres existences : on nous dit aussi qu'on devrait immortaliser chaque repas, comme si on préparait une rétrospective de nos errances digestives pour Beaubourg. Cette idée trouve son parangon et est perpétuée avec ferveur grâce à un truc appelé Instagram. Vous en avez peut-être entendu parler.

Je sais pas si c'est lié au tournant du siècle – peut-être qu'on s'est laissé emballer par l'idée qu'on était le « peuple élu » parce que nos vies se sont étalées sur deux millénaires différents ? – mais un truc dans l'atmosphère nous a fait tomber amoureux de nous-mêmes. Notre ego démesuré est probablement la raison pour laquelle on a été assez complaisants avec nous-mêmes pour considérer que Travis et des jeans qui ressemblaient à des tentes constituaient une « culture », et pour croire dur comme fer qu'un artiste était en résidence dans chacun de nous. On n'avait plus à être des membres constructifs de la société, on pouvait tous gagner notre vie en concevant des logos pour des bars à soupe et en gérant nos propres cafés/galeries d'art/labels de grime. Vous n'avez pas l'argent, le talent, l'intelligence ou la motivation requis pour le faire ? Pas de souci, faites-le quand même.

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Vous pensez que je généralise ? Eh bien, en 2001, je me suis pointé au collège un matin et mon professeur d'art m'a appris que le conseil m'avait désigné pour que je peigne une fresque murale dans un couloir. Ça m'a troublé, en partie parce que j'avais 12 ans et en partie parce que j'étais assez âgé pour savoir que j'étais un artiste de merde. J'ai décliné, j'ai changé d'option l'année suivante et j'ai tué le rêve de mon prof d'art. J'ai passé le reste de mon adolescence à raconter à des bourges intellos que j'avais laissé de côté ma carrière artistique pour pouvoir me concentrer sur la littérature et la philosophie.

Dans la lumière froide de la queue à l'ANPE, la plupart d'entre nous réalisent que tout ça n'était que de la merde et c'est d'ailleurs probablement la raison pour laquelle chaque personne âgée de moins de 30 ans est un individu insupportable avec un aplomb comparable à un prince népalais en exil (je m'inclus dans cette considération). L'ère de Jack Lang a engendré une culture d'obsession rampante de soi-même et d'aspirations merdiques qui nous ont ramené Mickaël Vendetta et Samir Nasri plutôt que la prochaine Marie Curie.

Puis y'a eu Banksy, qui a prouvé à tout le monde que tout ce qu'il fallait pour réussir en tant qu'artiste, c'était une série de métaphores politiques mal renseignées de centre-gauche, et une compréhension rudimentaire du graphisme. Et là, des gens pas sérieux comme Alan Yentob ou Alain De Botton se mettent à vous appeler le « Goya de Shoreditch » ou une connerie dans le genre.

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Bien sûr, ça fait un bout de temps que c'est comme ça, et il suffit d'aller à une exposition organisé dans un studio de la Cité internationale des Arts pour se rendre compte que la grande majorité des « créatifs » modernes auraient juste dû prendre un job à Quick. Récemment, cependant, cette idée saugrenue selon laquelle n'importe qui peut devenir le roi de l'expression personnelle a trouvé son point d'orgue par le biais improbable d'une application créée pour les téléphones portables dotés d'un appareil photo.

Pour ceux d'entre vous qui ne le sauraient pas – je suppose que vous êtes trop occupé à préparer des gâteaux pour vos petits-enfants  –, l'objectif d'Instagram est de fournir une excuse aux gens qui n'ont pas le moindre début de goût pour vomir leur vocation artistique contrariée sur les gens avec qui ils sont allés à l'école. C'est l'équivalent artistique d'un name-dropping de célébrités, c'est un mensonge permanent sur une vie dont tout le monde se fout, toujours justifié par une excuse de merde du type : « Paris n'est-elle pas belle aujourd'hui ? » – alors qu'on sait tous que la raison qui fait que cette photo existe c'est que vous voulez prouver que vous avez réussi à rentrer au Wanderlust grâce à votre nouveau pantalon couleur framboise.

Bien sûr, il y a plein de gens à peu près décents qui postent des images intéressantes et pas forcément dénuées de goût, mais c'est la culture associée, à laquelle tant de personnes souhaitent coller, qui pose problème. L'esthétique, les thèmes, les tropes. Instagram n'est peut-être qu'une appli photo, mais c'est aussi une arme de choix pour les gens qui appellent les stars qu'ils n'ont jamais rencontrées par leur prénom. C'est pour les gens qui font passer les critiques des chroniqueurs du Fooding pour leur propre opinion. C'est pour les gens qui ont vraiment acheté le dernier album d'Animal Collective.

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Il y a plein d'aspects d'Instagram qui seront à jamais problématiques, mais laissons de côté les connotations et les motivations pour l'instant, et intéressons-nous à l'esthétique.

Tout d'abord, y'a ce filtre dégueu digne d'un sous-Windows Moviemaker dont vous êtes obligé de recouvrir chacun de vos clichés. Que les choses soient claires : ça ne fait pas de ce que vous avez pu avoir l'idée de prendre en photo un truc intemporel ou classe, mais plus un Polaroïd moisi d'une fille depuis longtemps oubliée que le lieutenant Bernard Léonetti pourrait trouver dans l'armoire des preuves de la saison 3 de P.J. Alors je suis peut-être pas Jean Baudrillard, mais Instagram, ça fait cheap et minable. Je me sens nauséeux quand je regarde ces images – elles me rappellent l'appart de ma grand-mère, qui n'avait pas été redécoré jusqu'à ce que mon père et mon oncle décident de le vendre en viager. Ça me rappelle la mort et les pets. Ça veut peut-être dire que j'ai développé une sorte de phobie des clichés Instagram – peut-être que j'ai été violé par un jean A.P.C. dans une vie antérieure – mais je peux juste pas blairer l'esthétique d'Instagram.

Y'a aussi le fait que la plupart des photos sont des photos de bouffe – qui doit être délicieuse en vrai, j'en suis sûr –, mais passée à travers le filtre diabolique d'Instagram, elle finit par ressembler à ces photos qu'on voit dans les vieux livres de recettes Tupperware au micro-ondes pour femmes au foyer envahies de pulsions morbides.

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Et c'est quoi le but de ces photos, de toute façon ? Ouais, évidemment que je comprends l'idée de vouloir « capturer le moment présent », des moments chouettes, amusants, familiaux, dans un but nostalgique, mais dites-moi, sérieusement, combien de ces photos vont résister à l'épreuve du temps ? On est devenus des putains de touristes de nos propres vies, prenant inlassablement en photo tout ce qu'on fait, quoi que l'on fasse. Beaucoup de ces images ne quitteront jamais la carte mémoire dans laquelle elles sont enfermées ; c'est la version numérique de ces appareils photo jetables qu'on utilisait en colo et dont on ne faisait jamais développer la pellicule.

Même si vous vous en servez juste pour prêcher le lol, Instagram cesse d'être utile. Le côté « éprouvé par le temps » ruine toute tentative de blague à base d'amis endormis dans leur propre vomi ou d'organes génitaux apparents.

Peut-être est-ce juste une tentative de se raccrocher à un monde qui nous fuit, de capturer ces moments mondains qui, une fois assemblés, semblent imprimer un sens à notre existence, un peu comme une tapisserie de Bayeux mais avec moins de morts et plus d'ongles vernis. Peut-être que je ne suis qu'un connard cynique dont le téléphone est à peine capable d'envoyer un SMS. Peut-être qu'Instagram a une valeur, après tout.

Je pense que le cœur du problème est que ce truc est malhonnête. Toute photo digne de ce nom capture une sorte de vérité, quelque chose que l'on n'aurait pas remarqué à l'œil nu. Ou au moins, une bonne photo présente une vision déformée et digne d'intérêt de la réalité. Instagram, d'un autre côté, ne nous propose qu'un mensonge esthétique thématisé. C'est une version filtrée et mise en scène du monde réel, ce qui est OK si vous êtes Tim Burton, mais les utilisateurs d'Instagram pensent que c'est du journalisme de rue.

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Quiconque voit une émeute, une attaque terroriste ou une immolation par le feu ne va pas perdre son temps à déterminer s'il faut qu'il utilise le filtre « Valencia » ou « Nashville » pour mettre en valeur le drapeau français en feu. Ce sont des gens avec beaucoup trop de temps libre et pas assez d'originalité qui habitent le monde d'Instagram.

Peut-être qu'Instagram n'est pas un truc sur lequel il faut s'énerver, peut-être que c'est une juste une façon un peu nulle de partager ses photos avec d'autres gens qui aiment faire ce genre de choses, mais Instagram n'est pas un club exclusif. C'est surtout utilisé par des gens suffisants pour nous infliger la vision de leur existence suffisante et coûteuse, et là, ça devient toute autre chose.

C'est représentatif des gens qui gagnent beaucoup trop d'argent par rapport à leur niveau de culture. Sauf qu'être dans le bon resto au bon moment a remplacé la Mercedes d'occasion.

Désolé Instagram, mais je pige rien à votre concept (à part quand les rappeurs l'utilisent, parce qu'ils postent des photos d'eux en train de pêcher dans un jacuzzi, ce qui est authentiquement génial).

Photos par : on s'en fout, ça vient d'Instagram

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