Crime

La « plus grande arnaque mondiale liée au cannabis » est en train de s’effondrer

Des centaines de milliers de personnes auraient investi dans JuicyFields, une société qui s’engageait à mettre en relation des investisseurs en ligne avec des fermes de cannabis. Mais on soupçonne aujourd’hui qu’il s’agissait d’une pyramide de Ponzi.
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IMAGE D’ARCHIVE D’UNE CULTURE DE WEED. PHOTO : EDWIN REMSBERG/VWPICS/UNIVERSAL IMAGES GROUP VIA GETTY IMAGES.

En mars dernier, il était impossible pour quiconque passait devant cet hôtel de Barcelone de ne pas remarquer les deux Lamborghini garées devant. Décorées avec le logo de l’entreprise JuicyFields, les caisses clinquantes diffusaient un message clair aux magnats de l’industrie internationale du cannabis alors réunis à l’intérieur pour une conférence : hey les gars, c’est ici qu’on fait du fric.

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Mais qu’est-ce que JuicyFields ? Basée à l’origine en Allemagne avant de venir s’installer à Amsterdam au début de l’année, la société s’est présentée comme une entreprise capable d’enrichir les investisseurs, appelés « e-growers », en plaçant leurs économies dans des plantations légales de cannabis. Or aujourd’hui, JuicyFields semble être la plus grande arnaque de tous les temps dans l’industrie du cannabis.

Depuis la mi-juillet, les investisseurs ne peuvent plus accéder à leurs comptes clients. Jusqu’à 500 000 investisseurs — c’est le nombre que JuicyFields avait reporté au dernier décompte — pourraient être affectés. Le préjudice potentiel pourrait se situer entre quelques dizaines de millions et plusieurs milliards d’euros.

Vous avez vous-même investi de l’argent dans JuicyFields ou possédez des informations sur cette histoire ? Contactez tim.geyer@vice.com.

JuicyFields était très connu dans le monde hispanophone. Le cabinet d’avocats espagnol Martinez-Bianco représente 1 400 clients qui affirment avoir perdu de l’argent à cause de JuicyFields. Le cabinet a utilisé les données d’Etherscan, une plateforme de cryptoanalyse, pour estimer que plus de 5 milliards d’euros ont transité par les portefeuilles de cryptomonnaies de JuicyFields. Rien qu’en Espagne, Martinez-Bianco rapporte que 28 000 personnes auraient été impliquées, certains investisseurs étant soupçonnés d’avoir perdu jusqu’à 180 000 €.

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L’entreprise, alors basée à Berlin, a été mise en ligne début 2020, s’autodéfinissant comme une « plateforme de crowdgrowing de cannabis ». L’équipe marketing de JuicyFields s’est servie de l’application de messagerie Telegram, de petits sites d’infos et de forums en ligne spécialisés dans les cryptomonnaies pour diffuser la nouvelle : il y avait moyen d’obtenir des parts financières dans des fermes de cannabis en investissant des sommes entre 50 € et 180 000 €.

Pour ce faire, les intéressés devaient créer un compte utilisateur par lequel toutes les transactions auraient lieu. Trois mois plus tard, il leur a été dit qu’après que le cannabis médical aurait été cultivé, récolté et vendu, ils pourraient engranger des bénéfices allant jusqu’à 66 %.

Sur la plateforme en ligne de JuicyFields, les utilisateurs d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine pouvaient non seulement voir pousser leurs plantes, mais aussi leur fric. Dans plusieurs groupes Telegram, de nombreux membres de la communauté JuicyFields ont fait état de bénéfices versés par la société — simplement sous forme de virement bancaire ou de cryptomonnaie.

Tout cela a duré jusqu’au 11 juillet de cette année, jour où les groupes de discussion Telegram ont commencé à voir fleurir des messages inquiets en provenance d’investisseurs qui ne pouvaient soudainement plus accéder à leurs comptes JuicyFields. Presque au même moment, les employés de JuicyFields ont annoncé une grève pour cause de salaires impayés.

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Alors que l’inquiétude autour de JuicyFields grandissait, l’entreprise, alors sponsor du « Mary Jane », un salon du cannabis de Berlin qui se tenait la même semaine à la mi-juillet, a semblé se retrancher dans le silence. Les organisateurs de JuicyFields sont soudainement devenus injoignables. Les profils Facebook, Twitter et Instagram de l’entreprise n’étaient plus accessibles, et tous leurs contenus ont progressivement disparu de YouTube.

Selon les médias, JuicyFields pourrait avoir imité un système de Ponzi, une arnaque pyramidale qui utilise l’argent des investisseurs pour rembourser d’autres investisseurs afin de susciter des commentaires euphoriques de la part des clients. Cela a aidé l’entreprise à se construire une image forte, qu’elle a diffusée avec vigueur, non seulement via des voitures de luxe, mais également sur les réseaux sociaux via des influenceurs, avec de la pub en ligne et lors de salons professionnels. Le buzz généré a réussi à éteindre les quelques voix qui émettaient des doutes autour des annonces de rendements fantastiques promis par JuicyFields. Pourtant, il y avait des signes avant-coureurs.

En mai, la commission nationale financière espagnole (CNMV) avait placé JuicyFields sur la liste des sociétés non autorisées à mener des activités d’investissement. Et en mars, l’autorité fédérale allemande de surveillance financière (BaFin) avait déjà émis un avertissement officiel concernant JuicyFields. En juin, elle a interdit à la société d’opérer en Allemagne parce que JuicyFields avait enfreint la loi en ne publiant pas la documentation financière nécessaire sur ses offres d’investissement. À cette époque, JuicyFields avait déjà fait transférer son siège de Berlin à Amsterdam.

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Malgré tout cela, les affaires ont apparemment continué de tourner. Comme le rapportent les journalistes de la radio publique allemande Deutsche Welle, il y avait encore moyen d’investir virtuellement dans des plants de chanvre, même après l’interdiction prononcée par l’Allemagne.

Ces plants de cannabis ont-ils jamais existé ? Les seuls à le savoir, les boss de JuicyField, ont disparu des radars. Le PDG et fondateur initial de la société, l’Américain Alan Glanse, qui a nié toute responsabilité dans l’arnaque, a démissionné au début de l’année. Le Sud-Africain Willem van der Merwe, présenté comme le nouveau PDG, aurait démissionné à la mi-juillet.

Selon les recherches du magazine financier allemand Finanztest, la piste des personnes derrière JuicyFields mène à une société holding suisse et aux membres d’une famille aristocratique allemande. Le journal espagnol El País Financiero a découvert qu’un groupe de trois hommes avec des passeports russes était derrière JuicyFields, une version soutenue par Glanse, l’ancien PDG.

La saga JuicyFields intervient peu de temps après que Ruja Ignatova, une germano-bulgare connue sous le nom de Cryptoqueen, ait été inscrite sur la liste des fugitifs les plus recherchés par le FBI pour avoir prétendument délesté des investisseurs de 4 milliards de dollars dans une escroquerie d’investissement en cryptomonnaie, OneCoin.

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Aujourd’hui, le parquet de Berlin enquête sur Juicy Grow GmbH et son directeur général. Selon Finanztest, l’autorité fédérale allemande de surveillance financière (BaFin) a fixé une astreinte d’un million d’euros à l’encontre de Juicy Holdings B. V.

« Il y a une énorme demande pour la légalisation du cannabis et les investissements dans ce domaine », a déclaré Charlotte Bowyer, conseillère chez Hanway Associates, un consultant britannique spécialisé dans l’industrie du cannabis. « Mais une partie du problème est le manque d’information. De nombreux investisseurs ne savent pas distinguer un bon investissement dans le cannabis d’un mauvais. »

« Les entreprises publiques sont fortement réglementées quant à ce qu’elles peuvent et ne peuvent pas dire aux investisseurs non avertis. Actuellement, il n’en existe pas beaucoup sur les marchés boursiers européens pour satisfaire cette demande. »

Après que son nouveau gouvernement ait annoncé l’an dernier son intention de légaliser le cannabis récréatif, l’Allemagne est en passe de devenir l’un des plus grands marchés légaux de weed dans le monde. En mai, le ministre de la Santé, Karl Lauterbach, a annoncé que le gouvernement rédigerait un projet de loi d’ici la fin de l’année 2022, et qu’il devrait avoir force de loi à la fin de l’année 2023.

Entre-temps, une déclaration énigmatique a été publiée sur le site Web de JuicyFields, juicyfields.io. On peut y lire que les utilisateurs doivent envoyer un selfie vidéo avec leur carte d’identité officielle afin de se faire rembourser. Cette démarche, qui comporte des risques évidents, ressemble elle aussi à un joli scam.

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