Etudiants covid confinement
ALEXANDRE ET ZOEY - PHOTO DE LUIS ALEJANDRO CUÉLLAR POUR VICE 
Life

Vivre et étudier dans un mouchoir de poche au temps du Covid-19

« J’avais des hallucinations où je me voyais me jeter par ma fenêtre du 5ème étage. »

Depuis bientôt un an, certains étudiants n’ont plus eu un seul cours en présentiel. Alors que les bancs de la fac et des grandes écoles sont vides, chacun tente de rester studieux du mieux qu’il peut. Souvent sur le lit, le canapé ou la table de la cuisine, ceux qui ont la chance d’étudier sur un bureau en ce moment se comptant sur les doigts d’une main. Des difficultés qui s’accentuent lorsque ces mêmes étudiants se retrouvent à faire cours dans des petits espaces confinés.

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Des nouvelles manières d’étudier qui ne sont pas sans conséquence sur la santé mentale. Ces dernières semaines, plusieurs étudiants ont tenté de mettre fin à leurs jours. Une récente étude, publiée en janvier par Ipsos pour la Fondation FondaMental, alerte sur les risques de cette crise sanitaire sur le long terme chez les jeunes Français. Près des deux tiers des 18-25 ans estiment que la crise sanitaire « aura des conséquences négatives sur leur santé mentale». 29% ont évoqué des pensées suicidaires. On est allé à la rencontre d’étudiants parisiens confinés dans des petites surfaces faute de budget pour s’offrir plus grand.

Zoey et Alexandre dans un 20 mètres carrés

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Avoir cours depuis son lit n’est déjà pas facile, ça l’est encore moins à deux. Zoey, étudiante en master de journalisme, et Alexandre, étudiant en master de marketing, sont en couple depuis cinq ans et habitent depuis quelques mois dans cet appartement de 20 mètres carrés. Alors qu’ils étaient en échange universitaire à Los Angeles aux États-Unis, la crise sanitaire a frappé sans crier gare et les a forcé à rentrer précipitamment en France pour le premier confinement en mars dernier.

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Le couple ne s’imaginait pas devoir travailler en permanence ensemble en prenant cet appartement choisi pour sa localisation idéale à Paris contre 900€ de loyer par mois. Mais très rapidement, les problèmes sont apparus. Des traces de moisissures accueillent Zoey et Alexandre. L’explication donnée par le propriétaire : un manque d’aération de la part du couple. Autre gros souci : la luminosité. À 10h du matin, on pourrait presque croire que le soleil est sur le point de se coucher tant le filet de lumière qui s’échappe de la fenêtre est faible. Un grand immeuble face à leur logement obscurcit le moindre rayon de soleil. Un détail qui a son importance lorsqu’on travaille toute la journée depuis chez soi.

« Paris c’est trop cher et trop petit. Tout est fermé maintenant, il n’y a plus d’intérêt d’y être. »

« J’avais tellement mal aux yeux que j’ai fini par m’acheter des lunettes contre la lumière bleue de l’ordinateur » affirme Zoey fatiguée d’alterner entre visio depuis son lit ou sa cuisine. Pour ne pas trop se déranger lorsqu’ils doivent interagir à distance, le couple essaye de se mettre dans une pièce différente. Pour le reste, ils travaillent l’un à côté de l’autre, casque sur les oreilles, allongés sur le lit. Adossé ainsi, Alexandre a rapidement mal aux genoux et au dos mais garde le moral grâce à sa copine : « Je me dis que je pourrais être seul dans un petit appart au moins on est deux » raconte-t-il en souriant à Zoey.

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Pour l’étudiante, c’est plus compliqué. « Pendant le deuxième confinement, j’ai paniqué, je voulais tout de suite partir. Je ne voulais pas être enfermée ici, ça me rendait claustrophobe. » Chacun tente de se détendre comme il peut à la fin de la journée : console pour Alexandre, yoga pour Zoey. Pour payer le loyer, Alexandre a la chance d’être en alternance et Zoey a l’aide de son père et fait toutes les semaines du babysitting « même s’il y a beaucoup moins de demandes depuis la crise. »

Ce petit espace et le confinement obligé des étudiants ne sont pas des conditions idéales pour un couple. Fortement attachés l’un à l’autre, les étudiants espéraient mieux : « C’est tendu, on avait de beaux espoirs, c’est la première fois qu’on habite ensemble et c’est compliqué de se marcher dessus en permanence. »

Par peur d’un troisième confinement imminent, le couple a choisi de déménager. Ils cherchent activement un appartement en banlieue pour avoir plus grand : « Paris c’est trop cher et trop petit. Tout est fermé maintenant, il n’y a plus d’intérêt d’y être » déclare Zoey.

Xavier dans un 10 mètres carrés

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Xavier, étudiant en master d’ingénierie culturelle et management, habite dans ces appartements où, une fois la porte ouverte, on a tout vu. Si sur le bail de sa location, il est indiqué 10 mètres carrés il est évident qu’il vit dans beaucoup moins que ça. « J’ai un couloir qui fait au moins 2 mètres carrés et une salle de bain assez grande, ce qui fait que je me retrouve à vivre dans une pièce qui fait littéralement la taille de mon matelas. » Et même moins que ça puisque lorsque Xavier déplie son matelas, ce dernier est trop grand, il rebique sur le mur ce qui oblige l’étudiant à dormir en diagonale pour s’allonger de tout son long.

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Un logement qu’il paye 500€ par mois et qui le change de son dernier appartement de 30 mètres carrés. « C’était agréable de naviguer entre différents espaces surtout quand on est confiné. Alors que là mon lit c’est aussi mon bureau, ma salle à manger et mon dressing. » Après un mois et demi de cours avec sa promotion à la rentrée scolaire en septembre, tout est passé en distanciel. « Ce n’est pas suffisant pour créer des amitiés mais c’est déjà ça comparé à des universités. » Sa classe tente de garder le contact par des appels ou des petites réunions chez les uns et les autres. Xavier travaille entièrement depuis son lit, à force d’être toujours dans la même position, son dos et ses jambes le font souffrir. Lors de certaines périodes intensives, il peut rester sur son ordinateur de 9h à 1h du matin pour gérer les cours et les devoirs à rendre. Qu’en est-il des courses pendant le couvre-feu dans ce cas ? « C’est serré mais il faut le faire, je n’ai pas le choix. »

« Pour l’instant, j’essaye de voir mon appartement comme un partenaire plus qu’une cellule, mais je dis bien pour l’instant. »

Les confinements à répétition et les études à distance ont énormément pesé sur le moral de Xavier qui a, ces dernières semaines, eu des pensées suicidaires : « J’avais des hallucinations où je me voyais me jeter par ma fenêtre du 5ème étage. Même lorsque je sortais dehors je n’avais que ça en tête. » Depuis quelques jours, l’étudiant sort la tête de l’eau et prend plusieurs fois par jour de l’huile de CBD pour « stabiliser ses émotions et garder du recul sur la situation ». Aujourd’hui, il va mieux mais rien n’est sûr pour demain.

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Xavier a décoré sa chambre dans le but de se sentir le plus à l’aise possible. « Pour l’instant, j’essaye de voir mon appartement comme un partenaire plus qu’une cellule, mais je dis bien pour l’instant. J’ai peur à force de me sentir étouffer comme un lion en cage. D’autant que j’ai plein d’énergie à revendre. » C’est là l’une des principales difficultés que rencontrent de nombreux étudiants en ce moment. Malgré cette envie d’étudier et de se surpasser, certains se retrouvent abandonnés sur le bas côté de la route. Certains camarades de Xavier n’ont par exemple toujours pas trouvé de stage, obligatoire pour la validation du master.

La simple idée d’être confiné dans cet appartement angoisse l’étudiant. Particulièrement sensible aux interactions sociales, Xavier a besoin d’échanger, discuter et de partager des regards pour se sentir en vie. Ce dernier préfère prendre le risque d’attraper à nouveau le Covid-19 en classe plutôt que de rester enfermé dans son 10 mètres carrés et de continuer à travailler depuis son lit. « C’est le seul lieu potentiel pour se sociabiliser. C’est ça qui fait l’essence des études, pouvoir échanger. C’est de la transmission, un contact qui est essentiel. »

Lénora dans un 12 mètres carrés

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Depuis mars 2020, Lénora, étudiante en master de droit international, a eu très peu de cours dans son université. Elle avait justement choisi ce 12 mètres carrés, à 540€ de loyer, pour sa proximité avec sa fac. « De base, j’ai déjà beaucoup de mal à travailler de chez moi, je préfère les bibliothèques où j’ai un contact visuel avec d’autres étudiants en train de travailler. » Dans son appartement, il n’y a pas la place pour un bureau alors elle travaille sur son canapé tant bien que mal.

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« Au premier semestre, j’étais à la limite du décrochage scolaire parce que je n’allais plus en cours. »

Avec les mois qui passent, Lénora a de plus en plus de mal à suivre les cours. « Depuis la rentrée, j’aime moins mes cours, j’ai du mal à motiver toute seule vu qu’il n’y a plus l’acte de se déplacer. Au premier semestre, j’étais à la limite du décrochage scolaire parce que je n’allais plus en cours. » Livrés à eux-mêmes, certains étudiants n’ont même pas besoin d’être présents en cours, l’assiduité en TD a été suspendue pour éviter de pénaliser les étudiants contaminés par le Covid-19. Si Lénora ne comprend pas un cours, elle a maintenant tendance à décrocher et éteindre tout simplement son ordinateur.

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Durant le confinement, Lénora n’a pas supporté son studio. Sans pièces différentes pour distinguer le travail, de la détente, tout est confus dans l’esprit de l’étudiante qui n’a plus envie faire quoi que ce soit. Avec le temps, sa motivation s’étiole. « Pour les étudiants, c’est comme si le confinement ne s’était jamais arrêté. Les étudiants n’ont ni fac, ni vie sociale » raconte-t-elle. Cette dernière broie du noir face à une charge de travail toujours plus importante et un manque de bienveillance de la part de ses professeurs.

En ce moment, avec le couvre-feu à 18h, Lénora doit faire le choix entre ne pas prendre l’air ou moins travailler. « Je ne suis pas toute seule à aller mal, tout le monde va mal dans son coin. C’est plus dur de trouver du soutien dans ces circonstances, on se comprend mais on est tous plus faibles. » L’étudiante espère voir les portes de son université réouvrir bientôt, quitte à prendre des risques ou seulement assister à certains cours en petits groupes.

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Ellen dans un 22 mètres carrés

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Ellen, étudiante en master de médiation du patrimoine et de l'exposition, a posé ses valises dans son appartement le jour même de l’annonce de la fermeture des bars à 22h dans la capitale. Après une enfance dans la campagne normande et des études à Lorient, elle attendait avec impatience d’étudier à Paris et découvrir la ville et toute son offre culturelle. Elle n’a pour l’instant pas encore eu cette chance. Après deux semaines de cours masquée à la rentrée, elle n’a plus eu l’occasion de voir ses camarades de promo autrement que par écrans interposés.

Après avoir vécu dans une maison chez ses parents, Ellen a tenu à décorer de sorte à se sentir chez elle. Dès la porte franchie, les nombreuses plantes et bouquets attirent tout de suite le regard. Ellen a arrêté de les compter mais pense en avoir une cinquantaine. « C’est assez petit mais j’essaye d’être assez organisée et même s’il y a beaucoup de choses dans cet espace que ce soit rangé et propre. » Elle se refuse à travailler depuis son lit et s’installe tous les matins sur une petite table qu’elle a installée face à sa fenêtre qui donne vue sur des rails de train. Une rigueur à laquelle elle tient pour supporter cette vie à distance.

« C’est frustrant de faire des études et de ne pas savoir ce que ça va donner dans deux ans. »

« Après le premier confinement, ça n’allait pas trop niveau santé mentale et j’ai travaillé sur moi pour éviter que ça recommence. Heureusement que je ne suis pas toute seule sinon ce serait différent. » Ses camarades et elle se partagent des notes de cours sur un drive pour se soutenir et s’entraider à distance. Si Ellen supporte bien cet enseignement à distance c’est aussi grâce à un stage qu’elle effectue deux jours par semaine où elle intervient dans les écoles pour y présenter des oeuvres culturelles. Beaucoup de ses camarades s’inquiètent de ne pas trouver un stage ou un emploi dans le secteur culture particulièrement mis à mal par la crise sanitaire. « C’est frustrant de faire des études et de ne pas savoir ce que ça va donner dans deux ans. J’essaye de rester positive en me disant que la culture n’a pas disparu mais qu’elle est toujours présente sous des formes différentes comme le numérique. »

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Si Ellen vit bien le manque d’espace dans son appartement, elle aimerait plus de compréhension de la part des professeurs. Pour certains, travailler depuis chez soi est souvent synonyme de plus de temps pour étudier. « Ils se disent qu’on a plein de temps pour bosser du coup on nous donne toujours un petit truc en plus mais si tous les profs font ça on se retrouve avec une charge de travail assez élevée. »

Hormis sa soeur qui habite aussi la capitale, Ellen voit peu de monde en dehors de son travail. Ses études qui la passionnent la font tenir et espérer des jours meilleurs. Témoin de la détresse psychologique de nombreux de ses camarades, Ellen souhaite une réouverture des universités pour que la santé mentale soit aussi prise en compte dans les choix gouvernementaux.

Ilhame dans un 13 mètres carrés

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Alors qu’elle y habite depuis maintenant presque deux ans, Ilhame, étudiante en master de communication est décidée, elle va déménager. Alors qu’elle paye 620€ par mois pour ce 13 mètres carrés et ses toilettes sur le palier, la crise sanitaire aura eu raison d’elle. Après avoir bien vécu le premier confinement où elle a passé beaucoup de temps dans sa cour particulièrement fleurie avec ses voisins, les études et le travail à distance ont remis en question son petit studio. « Je suis en alternance à distance et j’ai cours aussi en visio. J’ai télé école, télétravail, c’est la télé vie » raconte-t-elle en riant.

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« Tu dois organiser toute ta vie autour de ta pause déj’ et essayer de jongler entre tout ce que tu peux faire. »

Depuis l’annonce du couvre-feu, Ilhame vit beaucoup moins bien cette situation. « Ta vie est en pause, si tu finis les cours et le travail à 18h tu ne peux plus sortir. Tu dois organiser toute ta vie autour de ta pause déj’ et essayer de jongler entre tout ce que tu peux faire. » Laverie, courses, poste, l’étudiante court dans tous les sens au lieu de déjeuner et de faire une véritable pause.

Ilhame a pris conscience de l’importance d’avoir plus d’espace en passant plus de temps dans le peu de mètres carrés qu’elle s’était accordée. « Je me suis dit qu’il était peut-être temps de passer à l’étape supérieure. Je cherche ailleurs, je vais essayer de mettre plus de budget sur le loyer pour avoir plus de place. » Elle a préféré rentrer chez son père en Franche-Comté lors du deuxième confinement pour éviter de rester enfermée sans pouvoir sortir.

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Ilhame alterne toute la journée entre sa petite table qui lui sert de bureau et son canapé dépliant. La jeune femme préfère amplement travailler pour son alternance qu’avoir cours à distance. « C’est plus dur d’avoir les cours en ligne, on doit écouter des gens parler de 9h à 18h. C’est logique de ne pas pouvoir suivre 24h/24. » Parfois, elle décroche ou profite d’un cours moins intéressant pour faire sa lessive ou ses courses.

Ilhame n’a jamais eu l’occasion d’avoir cours en présentiel avec sa classe. Pourtant, de véritables amitiés se sont forgées. Sans s’être jamais vu, des groupes d’amis virtuels se sont formés en dehors des cours. Ils peuvent passer des heures par caméras interposées pour se parler. « On s’est raconté des trucs très personnels alors qu’on ne s’est jamais vu en vrai. On est dans le même bateau et la même merde, ça nous a tout de suite rapprochés. » De nature optimiste, Ilhame s’accroche même si certaines journées lui paraissent plus longues ou stressantes que d’ordinaire. Elle compte à présent sur ses alertes immobilières pour travailler dans de meilleures conditions.

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