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FRANCE

Une « Nuit debout », une semaine après le début du mouvement

VICE News a passé une nuit sur la Place de la République à Paris avec les militants du mouvement « Nuit Debout », né le 31 mars dernier au soir de la manifestation contre le projet de réforme du Code du travail.
La place de la République pendant la "Nuit Debout". Le 8 avril 2016. (Photo de Pierre-Louis Caron / VICE News)

Le mouvement « Nuit Debout »est né le soir du 31 mars dernier, comme un prolongement de la journée de manifestations contre le projet de réforme du Code du travail que le gouvernement français cherche à faire voter. « Ce soir on ne rentre pas chez nous », avaient alors scandé les manifestants.

Sept jours plus tard, les militants, sympathisants et passants curieux occupaient toujours la Place de la République à Paris, véritable épicentre d'un mouvement qui fait des émules dans d'autres villes françaises. VICE News s'est rendu sur place dans la nuit de jeudi à vendredi pour comprendre comment fonctionne cette « occupation pacifique et légale », comme la décrivent de nombreux militants.

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Il est presque minuit, le thermomètre affiche 8 degrés et un vent frais traverse la Place de la République, faisant se gondoler les bâches tendues entre les arbres. Quelques heures plus tôt ce jeudi, aux alentours de 18 heures, une assemblée générale s'est tenue comme chaque jour à l'extrémité est de cette place. Elle a réuni des centaines de personnes venues — ou revenues — écouter pêle-mêle des militants associatifs, un professeur de philosophie et un rappeur amateur. Si aucun comptage officiel n'existe, les personnes que nous croisons sont unanimes : le mouvement s'amplifie et attire de plus en plus de monde chaque soir.

Un stand de merguez sur la place de la République (Photo de Pierre-Louis Caron / VICE News)

Du monde, à cette heure, il y en a toujours eu sur cette place symbolique de Paris, qui est notamment devenue un lieu de recueillement populaire suite aux attaques terroristes de janvier et de novembre 2015. Mais pas autant, et pas de cette manière. Plus habituée à voir défiler les badauds et les fêtards se pressant pour attraper les derniers métros, la Place de la République prend ce soir des allures de forum public. Des petits groupes de 3 à 4 personnes se tiennent debout justement, et échangent à propos de sujets divers : les impôts, le travail, la culture. « À quoi sert l'Europe ? », peut-on lire plus loin sur une pancarte qui surplombe un groupe plus fourni, pris dans un débat mouvementé concernant les relations entre l'UE et ses voisins plus pauvres d'Afrique et du Proche-Orient.

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Face à la scène improvisée qui sert de tribune pour les assemblées générales, ils sont encore nombreux à écouter, assis ou allongés, les intervenants s'étant inscrits sur le registre. Au micro, les messages sont hétéroclites. Les charges contre la loi travail et contre « l'esclavage moderne » y sont nombreuses, mais laissent parfois place à des discours demandant la fin des violences policières, des médias plus transparents, ou encore l'indépendance de la Guyane française. On y déclame aussi des poèmes et du rap plus ou moins engagé.

Dans le public, les réactions sont souvent partagées, mais les applaudissements — réels ou simulés — l'emportent tout de même. Il est aussi question de l'aide apportée aux migrants qui vivent sous le métro de Stalingrad au nord de Paris. Un jeune homme, parmi les derniers à prendre la parole, s'interroge alors sur la tournure que prend ce rassemblement. « Une révolution alcoolisée, ça n'ira pas bien loin », lance-t-il notamment en direction des nombreux stands de vente de bière qui s'activent derrière le public et les groupes d'échange.

D'après plusieurs militants rencontrés près d'un espace cantine — où des plats ont été servis plus tôt ce soir-là à prix libre —, les vendeurs aussi sont de plus en plus nombreux sur la place depuis quelques jours. Ils sont équipés de groupes électrogènes et ont installé des comptoirs où sont disposées des piles de sandwiches aux merguez, accompagnés de bières en cannette.

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Vers 1 heure 30 du matin, les groupes de jeunes danseurs éméchés semblent plus nombreux que les cercles de discussion. Malgré l'état d'urgence en vigueur, les forces de l'ordre sont très peu présentes dans les environs. Certains évoquent la présence de policiers en civil dans la foule, mais aucun agent de police en uniforme interrogé ne nous a confirmé cette information.

Sur fond d'alcool, certains groupes s'empoignent parfois, sans gravité. Des militants portant un brassard blanc — on les appelle la « brigade sérénité » — sont plusieurs fois appelés pour séparer les bagarreurs. À la vue des appareils photo, certains se crispent. Les regards sont méfiants dans certains coins de la place, surtout aux abords des structures faites de palettes et de bâches.

Un stand pour réécrire la Constitution (Photo de Pierre-Louis Caron / VICE News)

Autour de la statue centrale, des groupes de musique et des fanfares se succèdent, « pour garder les gens éveillés » nous explique un trompettiste qui prend une pause au milieu des bougies et des pancartes dénonçant le terrorisme. Il joue depuis plus d'une heure avec quelques amis. Non loin de là, nous rencontrons Louis, un ingénieur électronique au chômage qui anime un atelier où chacun peut participer à l'écriture d'une nouvelle constitution pour la France. « Je suis arrivé à 18h et je vais bientôt rentrer, je n'aime pas rester au-delà de 3 heures du matin », nous confie-t-il.

La mission de Louis, c'est d'inciter les passants à s'inscrire pour participer à une conférence de rédaction de la Constitution prévue pour le 23 avril prochain. « Mais c'est dans trop longtemps ça », lui lance une jeune femme, alors qu'elle le prend en photo pour le compte Twitter de la Nuit Debout. « Oui mais cela fait 2 ans que nous animons cet atelier, et puis on ne réécrit pas une constitution sur un coin de place avec des gens qui restent assis 5 minutes et puis s'en vont », lui répond-il.

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Vers 2 heures du matin, plusieurs tentes sont déjà installées. Des gens dorment aussi sous des grands auvents. Assis sur un banc à côté de sa tente pliée, Baptiste, 23 ans, observe le flux de passants qui ne tarit pas. Ses yeux sont fatigués mais il ne veut pas dormir tout de suite. « Si on m'avait dit qu'il y aurait un tel rassemblement sous l'état d'urgence, je vous aurais ri au nez. Mais là c'est exceptionnel, je m'en souviendrai de cette nuit. »

Une nouvelle soirée d'occupation est attendue ce « vendredi 39 mars » — les militants ont effet décider de prolonger le mois de mars en guise de symbole — sur la place de la République, en banlieue parisienne et dans plusieurs villes de France. Le mouvement dispose désormais de sa « Radio Debout » accessible en ligne, ainsi que d'une émission de télévision quotidienne diffusée sur YouTube.


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