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témoignage

J'ai été séquestrée par l'homme que j'aimais

« Dans ce cycle infernal de la violence, j’ai perdu mes amis un à un. Il m’a isolé de tout. Mes copines n’étaient sans doute pas assez bien pour lui, et il était persuadé que mes potes voulaient tous me baiser. »
MV
propos rapportés par Mazdak Vafaei Shalmani
Une femme assis dans un escalator
Photo: Debora Ramos 

Mélanie* a déposé deux plaintes contre David* en mai et juillet 2017 : la première pour violence conjugale et la seconde pour harcèlement. Face aux risques, David a décidé de partir se cacher en Corse, avant de revenir il y a peu sur Paris et de reprendre aussitôt contact avec elle. Mélanie, qui depuis a refait sa vie, veut aujourd'hui sortir du silence. Elle a passé une semaine avec l'un de nos journalistes pour lui raconter comment l'homme qui l'aimait l'a séquestré et isolait de ses amis et sa famille.

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***

J'ai rencontré David dans un restaurant où je faisais une petite mission d’intérim. Il m’a tout de suite pris sous son aile. Agé de 38 ans, il menait deux vies : d'un côté le restaurant et sa femme qui l’attendait tous les soirs à la maison, et de l'autre les nuits parisiennes, la cocaïne et ses poufiasses d'un soir.

Quand il m’a rencontrée il savait qui j’étais : je suis une femme de mon temps, je ne suis pas vierge, j'aime la vie. Au bout de quelques mois, j’ai couché avec lui : une nuit unique et intense, quelques fractions de secondes gravées dans le vide au-dessus du temps. Au commencement, il m’a fait me sentir exceptionnelle. Au restaurant, c’était d’ailleurs David et Mélanie contre le reste du monde.

Il n’allait au travail que quand j’y étais. Il avait demandé à la direction de faire correspondre nos horaires de service, ce qui avait été refusé dans un premier temps. David s’absentait alors systématiquement à chaque fois que je n’étais pas là. Il ne supportait pas de me laisser seule une seule seconde. Il était alors en train de poser les premières pierres de la prison qui allait m’entourer.

Il accompagnait chacun de mes pas lorsque j’étais chez moi, mais aussi en dehors. Les premiers signes annonciateurs d'un futur calvaire sont vite arrivés : un jour, un homme s’est immiscé entre nous. J’avais eu le malheur d'adresser la parole à un autre homme. David s’est alors muré dans un mutisme des mauvais jours. Et après des heures de silence, il a explosé et m’a traitée de tous les noms : « Pute, salope, comment tu as pu me faire ça ? C’était quoi ? » Il ne s'agissait que d'un « autre » qui a tenté de franchir la barrière qui nous séparait, David et moi, du monde. Pour une fois, j’avais fait passer une conversation avant sa petite personne. La violence de ses insultes n'étaient que les brefs prémices des coups qu’il m’a portés plus tard.

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Ma manière d’être, ma liberté sans faille, cette révolte qui m’anime tous les jours, c’est ce qu’il avait aimé chez moi. Et c’est aussi ce qu’il a combattu à mesure que sa situation personnelle se dégradait. Il a perdu sa femme, son boulot et tapait deux grammes de cocaïne par jour. Les insultes se sont multipliées. Les crises de couple sont devenues notre quotidien. J’étais devenue une victime consentante enfermée dans une prison dorée.

J’ai toujours eu la clé pour sortir mais j’ai mis beaucoup de temps à l’utiliser. Il s’est isolé de tout et m'a ensuite isolée de tout. Mes amis n’étaient pas au courant de ma situation. Beaucoup d’entre eux le voyaient mais se mentaient. Il y a des attitudes qui ne trompent pas. Certains ont grandi avec moi, me connaissent pas cœur, et ont remarqué que quelques chose clochait. Mais ils étaient gênés par mes appels au secours, et embarrassés par ma peine. Ils ne comprenaient pas pourquoi je restais avec lui, pourquoi je m'entêtais à poursuivre cette relation.

Petit à petit, je m’abandonnais dans la douleur et l’autisme. Dans ce cycle infernal de la violence, verbale et physique, j’ai perdu mes amis un à un. Il m’a isolée de tous mes cercles. Mes copines n’étaient sans doute pas assez bien pour lui et il pensait que mes potes voulaient tous me baiser. Mes amis étaient fatigués de me voir souffrir, épuisés de me voir geindre, sans vouloir réaliser que l’horreur se cachait derrière l’amour.

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« Pendant ce temps là, mes amis voyaient de loin une petite fille amoureuse qui préférait voir son mec plutôt que de passer du temps et s'amuser avec eux. S’amuser, je ne savais même plus exactement ce que ça voulait dire. »

Lorsque je n’étais pas en cours j’étais avec lui. Lorsque je n’étais pas au travail, j’étais avec lui. Il avait une emprise totale sur moi, un droit de vie et de mort. Il régnait sur mon corps et sur mon âme. C’était ça le véritable isolement. Je devais régulièrement lui dresser mon emploi du temps détaillé par sms. Il contrôlait le moindre de mes faits et gestes.

Pendant ce temps là, mes amis voyaient de loin une petite fille amoureuse qui préférait voir son mec plutôt que de passer du temps et s'amuser avec eux. S’amuser, je ne savais même plus exactement ce que ça voulait dire. Un jour, il a cru que je l’avais trompé. L’isolement s’est alors intensifié. Il m’a séquestrée pendant 5 jours dans un appartement, il gardait la clé sur lui. Lorsqu’il sortait, il refermait la porte. Je le suppliais de sortir. Il me demandait de me calmer. Il n’y avait plus rien à faire. Il est devenu mon geôlier, mon maton, mon preneur d’otage.Il m’a finalement laissée sortir, et je lui ai pardonné. Il était mon tyran et, aveuglée, je pensais qu'il ne me restait plus que lui.

J’ai finalement eu le courage d’appeler mes parents pour tout leur raconter, eux qui ignoraient tout du calvaire que je vivais. Un moment de lucidité, de présence. Un seul coup de fil a suffi à me libérer. Mes parents ont très bien réagi, avec recul, maturité et amour. En quelques minutes, je suis passé du stade d’esclave à celui de femme libre. Quelque fois, il suffit de peu.

Aujourd’hui je suis libre et je me reconstruis. Je ne sais pas si on réussira à m’enfermer encore. J’enchaîne les relations sans trop penser au lendemain. La liberté de marcher sans rendre de comptes c’est peut être ça, la vraie liberté. C’est avec mes amis, quand je rencontre des mecs et des nanas que je ne connais pas, que je me sens libre. Quand mes amis ont compris qu’ils avaient fermé les yeux sans trop comprendre, sans trop savoir, sur cette terrible expérience, ils se sont regroupés autour de moi. Au lieu de se morfondre, à coups de regrets, quelques fois il suffit de parler. Mon corps m’appartient, et il ne sera plus jamais dans les griffes d’un homme quel qu’il soit.

Si vous subissez des violences conjugales, vous pouvez contacter le 3919.

*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l'anonymat de la victime.

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