Les grills sont les nouveaux tatouages

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Culture

Les grills sont les nouveaux tatouages

Voici les types de personnes qui portent des grills : les fumeurs de Backwoods, les hypebeasts ou hipsters buveurs de latte épicé et ceux qui tripent sur le heavy métal ou les modifications corporelles.

Pour moi, le grill est l’ultime bijou du rappeur. Le Saint-Graal buccal dont j’ai toujours rêvé. Mais s’il avait autrefois une image très street et semblait réservé aux rappeurs ou aux gangsters, son image est en pleine évolution depuis quelques années. Ce qui me fait un peu penser au parcours des tatouages, autrefois réservés aux bums, aux marins et aux gars de prison.

Ma première rencontre avec un grill remonte probablement au jour où j’ai acheté l’album de Method Man en 1994. J’ai dû regarder le livret pendant des heures. J’aimais déjà les dents en or, mais je n’avais jamais vu quelque chose comme ça. Pour moi, ça venait vraiment accentuer le côté raw et grimy du personnage.

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J’avais envie d’en avoir un, mais j’avais juste 13 ans et il n’y en avait pas dans le catalogue Sears, où j’encerclais mes choix de cadeaux de Noël. Cancel le projet.

Au début des années 2000, je suis finalement un rappeur. Les grills ont de plus en plus la cote grâce au dirty south, qui a pris le contrôle des radios et des MTV de ce monde avec son esthétisme beaucoup plus bling-bling. Des gars comme Paul Wall ont pratiquement bâti leur réputation et leur carrière autour des grills, et le nombre de références dans les chansons a atteint un niveau presque ridicule, comme en témoigne ce classique de Nelly.

C’est autour de cette période que Vico Frio, un des premiers à faire des grills à Montréal, est entré dans la business. « J’ai grandi dans Dade County à Miami. Pour te situer, c’est de là que viennent Trick Daddy et Rick Ross. Là-bas, tout le monde portait des grills, c’était un peu comme porter des boucles d’oreilles. Les enfants ont des grills, d’où je viens. »

Un grill bottom 8 serti de diamants, fait par Vico Frio

Vers 2005, Vico déménage à Montréal dans le quartier Saint-Michel, et les gars du coin lui demandent sans cesse d’où vient son grill. « J’ai toujours voulu me lancer en business, et, comme c’était un produit que je connaissais bien, la courbe d’apprentissage était petite. Tout ce que j’avais besoin, c’était le matériel pour faire le moule et prendre l’empreinte dentaire des clients. Je le fais toujours moi-même pour les gros clients, mais pour les projets en bas de 1000 $, je réfère mes clients à ma dentiste, histoire de sauver du temps. »

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Vico Frio avec une chaudière de moules ayant servi à faire des grills pour ses clients

Vico a développé un partenariat avec sa dentiste après qu’elle a été impressionnée par la qualité du grill qu’il portait. « Elle m’a demandé qui l’avait fait et, quand je lui ai dit que je l’avais fait moi-même, elle était très impressionnée. Elle a dit que ça se voyait que c’était du travail très professionnel. Depuis ce temps, je lui envoie des clients et elle fait de même. »

Jack, des fabricants de grills KC & Jack, est aussi arrivé à Montréal en 2005, mais en provenance de la Côte d’Ivoire. C’est ici qu’il est tombé en amour avec la culture hip-hop et tout ce qui vient avec elle, dont les bijoux. « Je n’écoutais pas de rap en Côte d’Ivoire, parce que ce n’était pas aussi accessible qu’ici. » Après sept ans d’université et deux diplômes, Jack s’est rendu compte qu’il n’aimait pas ce qu’il faisait et avait besoin de changement. « Je venais de faire faire mon premier grill par Vico, et un ami a lancé l’idée en joke de se lancer dans cette business. Je croyais qu’il était sérieux, alors j’ai commencé à faire des recherches. »

Les outils de travail chez KC & Jack

Il a donc appris les bases de la joaillerie par lui-même, dans des livres et sur YouTube. « Après environ sept mois de pratique, je me suis lancé sur le marché en plaçant des annonces sur Kijiji et parallèlement je mettais mon site web sur pied. »

Avec la montée de la popularité des grills est aussi arrivée une nouvelle clientèle. Les Lil Wayne et autres artistes hip-hop ont rendu le bijou cool en dehors de la rue, et les vedettes d’Hollywood se sont mises à en porter. Lorsqu’une Kim K, un Kanye ou une Cara Delevigne s’affichent avec quelque chose de nouveau, il est certain que ça se transporte dans les tendances à l’international.

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« Au début, mes clients étaient tous des gars de la rue, me dit Vico. Ensuite, j’ai commencé à avoir des clients qui tripent tattoos et modifications corporelles, parce que c’était déjà devenu populaire dans ces milieux-là aux États-Unis, et ça a fini par catch-up ici il y a deux ou trois ans. Ensuite, j’ai eu les clients qui sont plus du type hypebeast, ceux qui sont à fond dans la culture hip-hop de l’internet ou dans le vintage Tommy et les trucs comme ça. » Selon lui, il y a maintenant différentes catégories de gens qui s’intéressent aux grills : les fumeurs de Backwoods, les hypebeast ou hipsters buveurs de latte épicé et ceux qui tripent sur le heavy métal ou les modifications corporelles.

Un grill de 6 dents, dont deux serties de diamants, par Vico Frio

La venue d’une nouvelle clientèle a aussi contribué à un changement dans les designs. « J’ai beaucoup de clients qui ne viennent pas du milieu du rap et qui ne sont pas nécessairement prêts à se faire faire un bottom de 6 ou 8 dents, par exemple, me dit Jack. Souvent, ça va être une ou deux dents, et les designs sont parfois plus originaux, plus délicats ou féminins. » Même chose du côté de Vico : « J’ai plusieurs clients qui commencent par deux dents, puis ensuite ils reviennent pour un whole bottom ou quelque chose de plus complexe. »

Encore une fois, le parallèle avec les tatouages est inévitable. Il n’est pas rare que quelqu’un débute avec l’idée d’en avoir un seul, pour finir par en avoir sur plusieurs parties du corps.

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Bottom 6 drip par KC & Jack

Quant à l’incontournable question de l’appropriation culturelle, rien n’est noir ou blanc pour Vico. « Je n’ai aucun problème à faire un grill pour n’importe qui, en autant que la personne respecte d’où ça vient et l’incorpore dans son propre style de façon naturelle. Si, par exemple, Marie-Mai s’en faisait faire un, ça pourrait être ben correct, mais pas si elle se mettait à agir différemment ou à faire comme si elle avait inventé quelque chose. »

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Différents designs de Vico Frio

Il ne faut pas oublier que le grill est devenu un accessoire de mode, mais son origine remonte aux Afro-Américains qui ont décidé de se retourner contre un système qui ne les traitait pas en égaux, en faisant de l’argent illégalement. « Porter un grill démontrait que tu n’étais pas pauvre. T’étais contre le système, mais tu réussissais à subvenir aux besoins de ta famille par tes propres moyens », conclut Vico.

Suivez Vico Frio sur Instagram.

KC & Jack organise un pop-up shop le 25 novembre au 3841, boul. Saint-Laurent, à Montréal.